Ker en vue !! - lundi 12 décembre 2011, au large du glacier Ampère


Les manœuvres de l'hélicoptère ont débuté à 5h ce matin.

Le réveil de ma colocataire de cabine m'a tiré du lit à 3h. Déborah et deux de ses collègues glaciologues vont vivre trois semaines sur le glacier Ampère afin d'y effectuer des relevés. Cette immense langue de glace qui dégouline depuis la calotte Cook est suivie de près chaque année et la baie où mouille actuellement le Marion Dufresne n'est autre que l'empreinte laissée par celui-ci à une lointaine époque. Depuis, comme tous les glaciers, à l'image de la mer de glace à Chamonix, il ne cesse de reculer. La Mortadelle, l'un des deux sites où ils vont s'installer pour les semaines à venir, était autrefois au pied du glacier. Il leur faut désormais marcher plusieurs heures pour rejoindre le premier mètre de glace.



Voilà donc le premier regard posé sur Kerguelen, mon radeau de fortune pour les douze prochains mois. C'est magnifique. Voilà deux heures déjà que j'arpente le pont en tout sens, incapable de me lasser du spectacle de ces hautes montagnes aux sommets coquettement mouchetés de neige. De longues crevasses entaillent la roche noire, sculptées par les innombrables torrents de cet archipel à la pluviométrie plus que généreuse. Du vert et du rouge viennent ponctuer ce paysage de début du monde, à l'ère où la vie commençait à peine à tracer son chemin parmi un décor minéral.

Pour saluer notre arrivée, Kerguelen est généreuse : la mer est paisible, le vent amoindri par ces hautes murailles naturelles et un magnifique rayon de soleil matinal inonde le paysage, faisant encore plus ressortir ce contraste de couleurs brutes. Ciel bleu, mer grise, roche noire, ocre et verts des mousses et plantes rases.
Et enfin, le blanc. Blanc du glacier au loin, et blanc des neiges, qui semblent vouloir nous rappeler que quelque part, à 13 000 km d'ici, ceux que nous aimons s'apprêtent tranquillement à fêter Noël.

* * * * *
Pour satisfaire votre curiosité !

 Situées à plus de 12 000 kilomètres des Alpes, les îles Kerguelen abritent le plus gros glacier français : la calotte Cook (environ 500 km2 en 1963). Le glacier Ampère est un glacier de la Grande Terre, l'île principale des îles Kerguelen, dans les Terres australes et antarctiques françaises. Il s'agit de l'un des glaciers du glacier Cook qui occupe la partie occidentale de l'île.


J-1 et H+1 - dimanche 11 décembre 2011, 48ème parallèle sud


Me voilà enfin un peu plus vigoureuse, suffisamment pour vous écrire quelques lignes.
   
Tout d'abord, petite explication du titre : J-1 avant l'arrivée en vue de Ker (qui est prévue pour demain matin, vers 3h - au moment du lever du soleil). Mais H+1 aux montres cette nuit, du fait de notre inexorable avancée vers l'est - nous en sommes donc désormais à 4 heures de décalage horaire avec Paris.


Position du Marion le 11Dec à 18 H00 Temps Universel

Quelle horrible journée hier. Vendredi soir, lorsque nous avons quitté le mouillage de Crozet, j'avais commencé à sentir que ce retour brutal au roulis des 40ème rugissants ne plaisait pas particulièrement à mon estomac, mais une fois couchée les effets s'estompent.
Seulement, après une nuit avec peu de sommeil et surtout beaucoup de froid (il y a encore la climatisation dans les chambres + une fuite d'air par le hublot qui me tombe directement sur le visage), les éléments déchaînés ont eu raison de ma résistance au mal de mer.
Sitôt levée je me suis précipitée dehors - l'air frais (glacial en l'occurrence) m'a toujours fait du bien dans ces cas-là. Après deux heures passées sur la coupée à se prendre des paquets de mer dans l'objectif de l'appareil photo (il faut bien rentabiliser ces heures inactives en tentant de capturer quelques vidéos pour vous illustrer l'état de la houle - qui paraît-il était plutôt calme...), il a bien fallut que je me résigne à rentrer. Après un bref passage à l'hôpital pour faire un coucou nauséeux à Martin et Johan (respectivement nouveau et ancien médecin de bord) je n'ai pas eu d'autre solution que de retourner me coucher.

Un peu avant l'appel du second service du déjeuner, j'ai tenté une verticalisation hasardeuse.
Piteux résultat : jambes flageolantes, frissons, estomac si renversé qu'un chirurgien viscéral aurait bien eu du mal à s'y retrouver...
C'est atroce cette sensation d'être embarqué involontaire sur un manège à sensation complètement déréglé, duquel tu sais que tu vas devoir endurer encore deux jours les sursauts insupportables, sans pouvoir en descendre ni appuyer sur le bouton rouge d'arrêt d'urgence...
J'ai tout de même vaillamment affronté les coursives du navire où l'on aurait pu tourner un remake de Matrix (vous voyez le moment où ils courent sur les murs ?). A mon arrivée au forum (le bar qui est en continuité avec la salle à manger), Laëtitia et Martin n'ont pas eu besoin que je leur explique mon état - j'étais apparemment blanche comme un linge. Petit saut à l'hôpital pour prendre un cachet de Nautamine (j'ai abandonné la secte de la Scopolamine, ça bloquait l'accommodation et je ne voyais plus rien), et me voilà assise à table en train de regarder mon assiette de tomates comme si on y avait glissé un poison mortel. Une bouchée, deux bouchées, Laëtitia me conseille de prendre un verre de coca pour avoir un peu de sucre (il se trouve que j'avais déjà sauté le petit-déjeuner). Au moment où ils allaient nous servir le plat principal, je décide d'abandonner la bataille et quitte la salle à manger en zigzagant.
Et il était temps, à mi-chemin de l'escalier, j'ai dû renoncer à rejoindre ma cabine et je me suis à nouveau précipitée dehors - mais cette fois-ci l'air frais n'a pas pu y faire grand chose.
" Abandonnez le navire ! Solides et liquides d'abord !"

C'est assez cliché, repeindre la coque en rouge tomate, la tête penchée par-dessus bord. Heureusement, il n'y avait personne sur la coupée à ce moment-là...

            "Bref, j'ai testé le manège du 48ème parallèle."

Après une après-midi entière clouée au lit, un deuxième comprimé de Nautamine a 17h, j'ai finalement pu me lever le soir et avaler enfin quelque chose de consistant au dîner. Je ne suis pas prête d'oublier cette heureusement brève expérience du mal de mer grandeur nature.
Ce matin, grâce à ma nouvelle meilleure amie Nautamine, même si je suis encore loin d'être parfaitement vaillante, je peux tout de même me tenir debout et même fixer l'écran sans avoir l'impression qu'un groupe d'acrobates jouent aux équilibristes entre mon cerveau et mon estomac.

Voilà une bonne raison supplémentaire d'avoir hâte d'arriver à Kerguelen. En plus, mon père pourra enfin abandonner le rôle de relais postal (c'est grâce à lui que vous pouvez lire ces messages depuis que nous avons embarqué sur le Marion), et je serai en mesure de relever enfin ma boîte mail habituelle ("Bonjour, vous avez 578 messages non lus" :-) )

A très bientôt sur la terre ferme !

mal de mer


Presque une estampe japonaise !



En plein coeur des 40èmes rugissants... Aïe aïe aïe
Je ne peux pas écrire plus
Rendez-vous à la prochaine accalmie
ICI vous pouvez visualiser la position présente du Marion Dufresne (M)


La vraie estampe de Katsushika Hokusai





Vive l'été sub-antarctique ! Vendredi 9 décembre 2011 - Archipel de Crozet, entre Pointe Basse et la baie du Marin

Dernier jour au large de l'île de la Possession. Les derniers à n'avoir pas pu mettre le pied sur l'archipel y ont été déposés par hélico ce matin, puis nous avons quitté les rivages d'Alfred Faure pour rallier Pointe Basse où toutes les tentatives d'approche avaient échoué jusqu'à présent en raison du brouillard. C'est la dernière occasion de ravitailler les refuges qui sont à respectivement deux et six heures de marche de la base (ravitaillement en nourriture, matériel médical et matériel logistique).



Gorfou macaroni

Ceux qui ont eu la chance de débarquer hier avec les touristes ont pu admirer la baie américaine (plus communément nommée B-US). Une immense vallée verdoyante (herbe et mousse d'un vert émeraude) coincée entre deux arêtes montagneuses, se finissant par une longue plage de sable noir. Vierge de toute installation humaine (contrairement à la baie du Marin), c'est le lieu de résidence d'une colonie de manchots royaux pas le moins du monde intimidés par la visite de ces humains bariolés. Ils partagent les lieux avec des gorfous macaronis (http://www.manchots.com/fr/especes/macaroni.php) ainsi que des manchots papous, et quelques éléphants de mer nonchalants. Tout cela sous le regard attentif - pour ne pas dire carnassier - de quelques orques longeant inlassablement le rivage, attendant une éventuelle proie.

Waaaaaa, des orques ! S'il y a bien un endroit où l'on peut en voir, c'est ici, à Crozet. Je ne faisais malheureusement pas partie du voyage ; les places dans l'hélicoptère sont chères, et je devais rester à bord du Marion pour tenir la permanence médicale. C'est l'un des choses que l'on doit apprendre ici : les îles sub-antarctiques ne se dévoilent qu'avec parcimonie.

manchots papous (la neige ici est en trop !)

La météo du jour n'a rien de commun avec celle de mercredi dernier (jour de rencontre avec les manchots), qui faisait figure d'exception.

Mais l'absence de soleil ne prive pas pour autant le paysage d'une splendeur hostile, certes, mais avant tout hypnotisante : ciel gris clair au plafond nuageux si bas que l'on croirait qu'il tente d'escalader les sommets de Crozet, neige recouvrant les versants exposés de certaines montagnes, écume des vagues pulvérisée par un vent violent soufflant en rafales, d'énormes volutes de buée s'échappant de nos lèvres bleuies... Les doigts gelés sont figés sur l'objectif de l'appareil photo, et de grosses gouttes de pluie nous giflent le visage comme si elles avaient été de véritables grélons. Et oui, c'est pourtant bien l'été !


Et dire que Kerguelen est encore plus bas dans l'hémisphère... Direction le 48ème parallèle !
Lepage : Dessin de la bande dessinée Voyage au pays ...

Au large d'une île de brume - 8 décembre 2011, Marion Dufresne

Deuxième jour en vue de Crozet. Ou plutôt, deuxième jour au large d'une montagne de brume. L'île de la Possession s'est de nouveau drapée dans son linceul de brouillard, ralentissant considérablement les échanges entre le Marion Dufresne et la base. Certains des nouveaux hivernants qui ont passé la nuit sur Alfred Faure ont put regagner le bord afin de rejoindre Pointe Basse où ils doivent installer du matériel, mais suite à cela l'hélicoptère a été contraint de rester au sol. 

J'ai encore du mal à me remettre de l'incroyable journée d'hier - cette nuit a été hantée de manchots royaux, d'albatros, de pétrels et de skuas. Une ou deux baleines sont même venus se glisser entre les mailles de mon sommeil, puisque nous avons eu la chance d'en croiser avant-hier soir au moment du dîner. Sitôt l'annonce faite au micro du bord, nous avons tous abandonnés nos assiettes pour se précipiter sur la coupée tribord. D'abord le regard fébrile scrute en vain les vagues assombries par le crépuscule. Puis soudain, quelqu'un pousse un grand cri en tendant le doigt vers la poupe, et l'on devine enfin le panache d'eau expulsé par cet animal mythique. Nous n'avons pu qu'entrapercevoir son dos noir lorsqu'elle se glissait vers la surface pour respirer, et les ornithos - avec leur appareil photo dont l'objectif nous fait pâlir d'envie - ont pu capturer quelques images furtives de leurs nageoires caudales, tendues vers le ciel avant de replonger vers ces abysses sans fond.

Imaginez donc quelle est la probabilité de tomber sur un tel animal, au milieu d'un océan si vaste ? Quelle chance de croiser un tel mammifère marin qui parcourt inlassablement des milliers de kilomètres !



Quelle chance d'être ici.