ArMor - La vie de Chantier


Mercredi 22 août 

Lorsque j’émerge du sac de couchage où j’ai grelotté toute la nuit – ce qui confirme l’urgence d’aménager une nouvelle cabane  - Pascal est déjà sur le chantier. 
Un soleil rayonnant nous accueille dans la fillod que le chef centrale a décidé d’aménager. 


 La base d'ArMor dans la lumière du matin
Photo de Pascal Grijol

Malgré la pluie qui est tombée toute la nuit, le béton du sol est sec, contrairement à l’ancienne cabane qui prend l’eau par tous les trous. Je retrouve Pascal dans la « fillod établis » où il m’explique ma première mission : démonter toutes les fenêtres plus ou moins intactes des différentes fillods de la base, pour les installer sur les quatre ouvertures de la future cabane. Après avoir fait sauter les quatre taquets maintenant la fenêtre dans l’encadrement, je m’attaque au joint à l’aide du cutter, perchée au sommet d’une brouette  bancale. Derrière moi, les goélands plongent sans répit vers l’eau d’une clarté qui invite à faire trempette (un bain à 3°C tout de même)


 Ils en ressortent avec les moules qui tapissent le fond de vase. C’est une friandise iodée qui se mérite, et pour la déguster ils doivent d’abord la lâcher de quelques mètres de haut sur un rocher. Les goélands répètent cette opération sans relâche, jusqu’à ce que la coquille explose. 

 "A la pêche aux moules moules moules !"

Une fois les quatre fenêtres démontées, je rejoins l’EDK dans la future cabane. Pendant que je réinstalle les fenêtres, Guillaume se charge du montage de l’installation électrique et des lumières. Pendant ce temps, Pascal et Baptiste s’occupent de l’extérieur, resserrant les boulons qui maintiennent les tôles du toit. 


 Puis ils s’attaquent à la porte qui nécessite de sacrées rénovations : soudure de nouveaux gonds, nettoyage, remodelage, fixation d’une tarjette pour la maintenir fermée contre vents et tempêtes.  

 Guillaume EDK se dirigeant vers la fillod "établis"


 Fenêtres en place

 Soudeur à l'oeuvre

 Maintenant que la cabane est « hors d’air », nous pouvons passer à l’aménagement intérieur. Pour cela, nous commençons par gratter la rouille qui s’est accumulée près des fuites, avant de passer un enduit anti-rouille. Baptiste en profite pour laisser parler sa fibre artistique en peignant un serpent géant sur la face ouest. 





 
Puis vient l’heure du grand ménage, balais et aspirateurs passent en action. 

Des dizaines d’années de poussière entrent soudain en suspension dans l’air, dessinant des lignes de lumière s’échappant des trous « d’aération » dans la tôle. 


Allergiques, s’abstenir.
 

La nuit commence à tomber lorsque nous ramenons les deux rouleaux de lino depuis la « fillod stockage ». 
Après les avoir nettoyés de l’eau et du sel gagnés durant le voyage sur le chaland, Pascal et moi nous attaquons à l’étalage de la colle à Lino pendant que Guillaume et Baptiste déroulent lentement les rouleaux. 

 Nettoyage

 Collage

 Découpage

Pose du Lino(1) : check !
 (1) : qui aime la mayo
Un dernier petit coup de serpillère, et voilà la première journée de chantier qui s’achève sous un beau croissant de lune.




Jeudi 23 août
















« Tiens tiens, de la neige sur mon sac de couchage. »
 J’ignore si c’est le froid ou bien la hâte de reprendre les travaux qui me tirent du duvet ce matin, toujours est-il que l’ancienne cabane est tellement étanche qu’il neige littéralement sur les matelas de la chambre que je partage avec Baptiste. Comme d’habitude, Pascal est déjà à pied d’œuvre lorsque je glisse un nez dehors.


 Une tempête de neige se déchaîne, si bien que c’est à peine si j’arrive à distinguer la future cabane à quelques mètres de là. Heureusement que nous n’avons pas eu ce temps-là la veille pour tous les travaux d’extérieur !

Le retour du Skua... dans la tourmente


Pendant que Pascal bricole sur l’établis et rafistole des portes pour les vieilles fillods, je réinstalle d’autres fenêtres sur celles-ci afin de les protéger un minimum des dégâts de l’hiver austral. Nous en profitons pour nettoyer tous ces bâtiments qui sont à l’abandon depuis 1994, envahis par la poussière et les chats dont nous découvrons ça et là des restes de déjeuner. Cela nous donne l’occasion de découvrir également quelques trésors, comme ce carrelage intact dissimulé sous des kilos de bois cassé, ou bien cette petite pièce de 10 centimes de francs datant de 1982 (je n’étais même pas née !). 


Sans porte, l'établis se transforme en patinoire

 A la fin de l’après-midi, la « fillod établis » a enfin une porte à peu près étanche (ce qui évitera de bricoler dans un tapis de neige) et des fermetures intérieures et extérieures. Pascal nous fait pour cela une belle démonstration de récupération, faisant du neuf avec du très vieux !


 Lorsque le soleil infléchit déjà sa course, descendant au-dessus du lac d’Armor, Guillaume y installe sur le rivage une pompe à eau. Un long tuyau court jusqu’à la cabane où il dépose deux cuves qui serviront de réserve d’eau douce. A peine quelques minutes pour les remplir, puis c’est au tour de Pascal et moi d’entrer en action. 








Pendant que le chef de chantier va chercher les outils de plomberie, je fixe l’évier flambant neuf, marquant enfin l’installation du premier mobilier de la cabane. Puis, après un cours accéléré de plomberie, me voilà à percer (avec une certaine appréhension) la tôle afin de faire passer les tuyaux d’entrée et de sortie d’eau. Aïe, le trou de l’évacuation est un poil trop haut – pas de soucis pour Pascal, on chauffe un peu le tuyau et voilà qu’il lui donne la forme adéquate pour s’emboîter sans mal dans le siphon. Pour une première expérience de plomberie, je ne suis pas déçue du résultat !


 Après Martine à la campagne...
BiBette et la plomberie !
 Ca manque cruellement de classe...
Mais c'est efficace

  Eau courante et évacuation d'eau : check !

 Nouvelle soirée bien occupée en perspective, il fait nuit noire depuis déjà longtemps et nous sommes encore à pied d’œuvre dans la future cabane (que je suis très tentée de baptiser « Ty Nevez : La nouvelle maison » en breton). 



A tour de rôle pour découper le joint


Cela fait 24h que nous avons fixé le lino, il est temps de faire le joint entre les deux pans. Et ça n’est pas une mince affaire, avec le froid qui règne…



Vendredi 24 août

 Elaphoglossum Randii
Fougère endémique de Kerguele
que l'on ne trouve plus désormais 
ue dans des failles rocheuses au-dessus d'ArMor

Dernier jour de chantier, cet après-midi il faut recharger tout le matériel sur le chaland, seul moment où la marée permet à Gwenn – qui est resté à bord tout le long de la manip’ pour réaliser la révision des 800 heures de navigation – de venir à quai.
Pendant que Pascal fait des finitions sur Ty Nevez et dans les vieilles fillods, avec Guillaume et Baptiste nous nous attaquons au tri des stocks de nourriture de l’ancienne cabane. Des dizaines de kilos de conserves et salades en boîtes se sont accumulés depuis des années, et nous battons un record en retrouvant du Viandox de 1996 ! 

 L'ancienne cabane

 Ty Nevez à la fin des trois jours de travaux
(ornée de l'expression spontanée de la fibre artistique de Baptiste)




Après le déjeuner, l’heure de la manutention arrive. Il faut transporter tout le matériel, groupes électrogènes, outils, déchets et matériel perso jusqu’au quai où Gwenn vient coller le chaland. Près du panneau ArMor dont la peinture reflète les années d’abandon, un chou de Kerguelen pousse au milieu des coquilles de moules. 


Nous finissons à peine de charger le chaland que des chants nous parviennent depuis les hauteurs de la base. Voilà les ResNat qui reviennent en chanson et en cadence du fjord Bossière où ils ont fait un comptage canards d’Eaton.


Léquipe Bossière - ArMor (Photo ResNat)
De gauche à droite
 Thibaut ResNat
Denis Bosco
Gwenn Mécano Chaland
Thomas Ornitho ResNat
Baptiste Géner
Véronique BiBette
Guillaume EDK
Pascal Chef Centrale
Alexis Chasseur ResNat

 Ils arrivent à point nommé pour nous aider à finir toutes les vivres fournies par l'équipe cuisine : ce soir, ce sera soirée Barbecue au clair de lune, sous les étoiles.

















Samedi 25 août - Epilogue
 















Lorsque j’atteins enfin le point le plus haut, je m'immobilise, le souffle coupé. Pas par l’effort de l’ascension que nous venons de faire mais par la vue que celle-ci nous offre. 
10h, nous voilà parvenus au sommet du Volcan du Diable. 

 Le Volcan du diable

Son nom lui vient de sa couleur noire ainsi que de la forme des rochers qui ornent ses pentes à pic,  sculptés en pointe à l’image de cornes de Lucifer. Ici plus que n’importe où ailleurs où j’ai pu aller jusqu’à présent sur Kerguelen, chaque roche et chaque détail de cette petite montagne nous rappellent l’origine volcanique de l’archipel. La pente est faite de ces cailloux noirs aérés et aiguisés comme des couteaux où la chaussure s’enfonce jusqu’à mi-mollet, si bien qu’il est presque plus difficile d’y marcher que dans de la neige poudreuse. Ça et là, des bombes rocheuses atterries il y a des millions d’années trahissent la nature explosive du volcan.  

 
 Traces de glissades dans la roche volcanique

Mais quelle vue au sommet ! 


ArMor est masqué derrière les falaises qui l’entourent, mais l’on bénéficie d’un panorama incroyable sur l’ensemble du golfe du Morbihan, avec au loin la petite Port-Aux-Français. A l’opposé, au sud, la presqu’île Jeanne d’Arc dont l’extrémité nord se prolonge par le hallage des Swains séparant le golfe de la baie des Swains où la superbe île Gaby, drapée dans son manteau blanc, semble léviter au-dessus d’une eau turquoise qui se mèle à l’océan Indien. A l’ouest, la pyramide Branca est le seul témoin de la présence, au-delà, du splendide Mont Ross qui aujourd’hui reste caché derrière son rideau de nuages. 

 La Grande Terre avec la pyramide Branca et l'enveloppe de nuage du mont Ross

 Le Golfe du Morbihan, à droite de la photo, Pointe Suzanne

 L'île Gaby comme dans un rêve

 Après m’être abreuvée de toutes ces images, je tourne de nouveau mon regard vers le lac d’Enfer dont on distingue un fin torrent qui s’échappe pour rejoindre le lac d’ArMor. Je crois que j’ai aimé cet endroit dès le premier instant où j’y ai posé le pied...

Le lac d'ArMor
 On distingue encore une averse de neige qui le survole à l'extrémité ouest

 Connaissez-vous cette sensation, lorsque l’on visite un appartement ou une maison ? On cherche un nouveau logement, et l’on visite cinq, dix, quinze habitations différentes, qui nous conviennent plus ou moins. Et puis, un jour, on ouvre une porte. Et quand on passe le seuil, avant même de tout visiter, avant même de dépasser l’entrée, on sait déjà que c’est là. C’est le bon. C’est à cet endroit que l’on voudra s’installer. On se sent déjà chez soi. C’est exactement ce qui m’est arrivé avec ArMor. Dès que mes yeux se sont posés sur ces bâtiments pastels, sur ces cabanes aux fenêtres défoncées, sur cet immense lac d’ArMor dont les déversoirs encadrent la base, dès que j’ai senti l’air iodé du golfe se mêler à la fraîcheur piquante du lac, je me suis sentie chez moi, à ma place. 


 Les réserves d'eau douce et d'eau salée de l'ancienne station d'élevage de saumons
Photo Pascal Grijol

J’ai passé quelques trop courtes journées à apprendre tant de choses auprès de Guillaume, Baptiste et surtout Pascal, pour retaper et aménager une cabane où je ne pourrai peut-être jamais vivre une manip’ « normale ». Mais j’y ai apprécié chaque seconde, chaque moment de soleil comme de vent et de neige.



Lorsque nous rejoignons définitvement le chaland en zodiac au retour du Volcan du Diable, je fixe cet endroit avec un petit pincement au cœur. 
 


Arrivée à la passerelle, je m’installe à côté de Denis le bosco. Gwenn sépare la patte d’oie du mouillage et nous faisons demi-tour. 

 





 Dernier regard sur ArMor



On me demande :
« Alors, tu as aimé ? »
Et je réponds
 « C’était bien… », dans un demi-sourire mélancolique, de celui qui orne le visage de ceux qui quittent un endroit tant aimé, sans savoir s’ils pourront y revenir un jour.


La vie de chantier - Prologue

















Il y a peu de temps, en présentant les espèces animales introduites sur Kerguelen, j’en suis arrivée à parler d’ArMor, une ancienne station d’élevage de saumons. En écrivant ces lignes à ce moment-là, je ne m’attendais pas à pouvoir m’y rendre à peine quelques jours plus tard.


 Le Ross émergeant entre la brume et les nuages


Congé à PJDA - Week-end du 18-20 août 2012


Le chaland quitte la flottille de PAF au petit matin dans un calme comme seules les aubes d’un bout de monde perdu peuvent en offrir, même si aujourd’hui il semble particulièrement exceptionnel. En effet, pas un souffle de vent ne vient rider la surface du golfe soudain plus lisse qu’un lac. Une écharpe de brouillard s’accroche aux îles qui semblent émerger d’un rêve étrange en entendant le ronronnement du chaland. 

 
 L'île Mayès comme dans un rêve

Ces géantes de pierre secouent alors leurs larges épaules pour faire glisser la couverture de nuage blanc, laissant furtivement apparaître la noirceur de leurs côtes sculptées de grèves ou de falaises. Puis, alors que l’Aventure II s’éloigne déjà, le silence retombe sur Mayès, Australia ou Longue en  même temps que le voile de brume se referme sur elles, les isolant de nouveau du reste du golfe. 
 


Le chaland est plein, aussi bien en matériel qu’en passagers. Quatorze à bord, Denis et Gwenn pour l’équipage, et douze VAT en partance pour un week-end de détente entre nous. Seul Guillaume Magné-Sismo n’a pu se libérer de l’étreinte de PAF, contraint d’assurer la routine de Géophy. 
Voilà 9 mois que nous sommes tous arrivés à Kerguelen, et même presque 11 mois pour Maxime, Alexis et Thibaut qui nous avait précédés via la campagne océanographique KEOPS d’Octobre 2011. Pourtant, rares sont les occasions que nous avons de passer du temps tous ensemble, les autres VAT étant tous accaparés par leurs manips respectives, éparpillées sur le territoire de Kerguelen. 

 Les 12 (sur 13) VAT de la mission Ker62
Photo de Thibaut ResNat

Pour ce week-end de loisir – à l’exception des ResNat qui doivent effectuer un comptage de canards sur l’estran du hallage des Swains, fine bande de terre reliant la presqu’île Jeanne d’Arc à la Grande Terre – nous avons décidé de nous retrouver dans les ruines de Port Jeanne d’Arc, comme cela semble être la tradition à chaque génération de VAT. 

Comptage canards par la ResNat


Je ne suis plus venue ici depuis Noël, et c’est avec le même émerveillement que je redécouvre les ruines de cette ancienne station baleinière où les fantômes des familles qui vécurent ici semblent encore se glisser entre les tas de tôle rouillée qui se décomposent inexorablement. 





Quel calme, quelle détente. Pas de contrainte horaire, j’ai même oublié ma montre sur le bureau de ma chambre en partant, si bien que je me sens d’autant plus déconnectée. Chacun vaque à ses occupations selon l’envie, ici l’on lit, là l’on joue à la belote tandis qu’une partie de scrabble acharnée s’est entamée à l’autre extrémité de la table. Profitant de belles éclaircies entre deux averses, je sors chaque jour randonner aux alentours de la cabane. 



 Après la côte où nous découvrons un étonnant phénomène géologique que même Thibaut Ornitho (qui a également étudié la géologie) ne peut expliquer, je passe un long moment à observer le vol rapide de sternes qui pêchent devant un arc-en-ciel qui a emménagé devant PJDA. 

 La falaise du bord de mer est coupée nette comme avec une scie circulaire géante



 Puis je rejoins Nath, Thomas et Thibaut ornitho qui remontent la vallée du charbon par la rive gauche. 

 La vallée du charbon, PJDA sur le rivage et l'île Longue au loin

Le lendemain, je retourne dans la vallée du charbon avec Thibaut ResNat cette fois-ci, puis de là nous poussons jusqu’à la vallée des neiges d’où nous profitons d’une superbe vue sur Ronarc’h et l’extrémité sud du Golfe. 

 La vallée des neiges (et Thibaut ResNat), l'île Longue et au loin la presqu'île Ronarc'h

 Sculptures géologiques

En traversant une cascade, je réalise que l’Azorelle se remet à verdir. 


Ces épais coussins de végétation rase, auxquels l’on fait toujours extrêmement attention en raison de sa pousse lente et fragile, avait viré au marron durant l’hiver. Et voilà que de jolis cœurs verts surgissent au centre de chaque corolle d’anciennes feuilles marron. L’hiver serait-il en train de reculer ? Comme pour confirmer mes soupçons, en rentrant à la cabane nous croisons un skua. Je n’en avais plus vu depuis bien avant la midwinter, ces pétrels au plumage marron abandonnant nos côtes pour l’hiver. Le retour du skua annonce donc le retour imminent de quantités d’autres espèces. La période des parades nuptiales reprendra d’ici quelques semaines. 

 Le dôme rouge devant la "cascade jaune"

Ce week-end loisir se clôturera en beauté avec l’ascension du Dôme Rouge. Comme à Noël, celle-ci se fera sous la pluie et le vent, mais même si l’horizon est obstrué par de lourds nuages gris, le point de vue depuis le sommet sur le hallage des Swains et le golfe est superbe. Et d’ici, on prend la mesure de toute la longueur de la bien nommée Longue.

 Au sommet

 La vue sur le golfe depuis le dôme rouge

En attendant le retour du soleil qui précèdera sans doute celui des animaux qui redonneront vie et animation à Kerguelen, notre week-end à PJDA touche à son terme. Le chaland revient chercher les autres VAT qui vont chacun se dispatcher sur différent sites du golfe pour les dernières manips avant l’OP. 

Pour ma part, je ne le vois que de loin. Ma semaine de congés ne fait que commencer : direction ArMor.


Transit PJDA-ArMor – mardi 21 août 2012 

Cette ancienne station d’élevage de saumons est à l’abandon depuis 1994, date à laquelle l’ambition de commercialiser des filets de saumons de Kerguelen s’est avérée surréaliste en raison de la crise économique qui a entraîné derrière elle une hausse vertigineuse du prix du carburant – ne rendant plus du tout rentable cet élevage en raison des frais de transports. Après quelques cessions de nettoyage et dépollution du site par le groupe des marins, Pascal le chef Centrale a monté une dernière manip afin de réhabiliter l’une de fillods. L’ancienne demeure, désormais cabane pour les scientifiques de passage, prend l’eau par tous les trous de ses murs ou de ses fenêtres. Pascal a donc décidé de déplacer l’abri vers une fillod plus saine. C’est pour cette raison que Baptiste et moi le rejoignons à ArMor afin de l’aider dans sa tâche.



Le transit entre PJDA et ArMor se fait sous une pluie continue, qui associée au vent qui souffle par violentes rafales à 45 nœuds, nous glace jusqu’aux os. Si bien que nous ne nous arrêterons même pas pour déjeuner, trop impatient d’arriver et bien incapable de se réchauffer dès que l’on s’arrête de marcher. Malgré tout, la randonnée de 3h30 entre les deux sites est superbe, nous faisant osciller entre différentes vallées et barres rocheuses. En arrivant au pied du volcan du diable, nous repérons un groupe de quelques rennes au loin. Alors que je fixe mes pieds afin d’éviter les énormes tapis d’Azorelle qui couvrent le sol de roche volcanique pulvérisée, Baptiste me fait signe de regarder plus loin. Je tombe alors nez à nez avec un renne isolé du groupe. Il n’est qu’à quelques mètres à peine, je n’en avais encore jamais vu de si près. L’animal nous contemple pendant quelques secondes, il est bien difficile de dire à cet instant lequel, de l’homme ou du renne, est le plus curieux. Puis, après un bruyant souffle envoyant un nuage de fumée blanche, il fait demi-tour, repartant au petit trot vers le groupe qui ne semble pas avoir remarqué notre présence. Lorsque nous parvenons à l’endroit où il se tenait, on ne peut que constater l’ampleur des dégâts que provoque un renne dans les fragiles coussins d’Azorelle. La plupart des touffes sont éventrées, retournées par ses sabots ou ses bois, afin d’en grignoter les racines. Difficile de ne pas prendre conscience de l’impact dévastateur lié à l’introduction d’un animal pourtant si fascinant. 

 
Nous contournons le volcan du diable dont nous avions initialement prévu d’aller saluer le sommet, mais dont le projet a été bien vite abandonné devant la météo exécrable. Encore trente minutes de marche au bord des lacs d’enfer puis d’Armor, et enfin, la base apparaît. Des bâtiments bariolés aux couleurs pastel, posés sur les rochers entre les deux eaux agitées, l’une du lac, l’autre du golfe.
Côté mer, le chaland aussi arrive tout juste. A peine le temps de poser notre sac à dos, de saluer Denis et Gwenn sur le chaland, Pascal et Guillaume EDK pour le chantier, mais aussi les trois ResNat, et nous voilà à décharger les kilos de matériel de bricolage. Nous sommes le 21 août, et pour moi, la vie de chantier va commencer.
 
















Ce soir les vêtements sèchent
Demain, le chantier commence !