A la découverte de Port-Aux-Français - Troisième partie




















Quand il fait beau, depuis les marches de la Résidence, on bénéficie d’une vue imprenable sur toute la partie sud-est des Kerguelen, depuis le mont Ross  à main droite jusqu’à la presqu’île du Prince de Galles à main gauche, en passant par la presqu’île Jeanne d’Arc, le golfe du Morbihan, la presqu’île Ronarc’h et la passe royale. A deux kilomètres de la flottille, l’îlot Channer forme un radeau immobile face à Port-Aux-Français, et surtout un point de repère que les bateaux doivent contourner, du Marion Dufresne au plus petit palangrier, afin d’éviter de s’échouer dans les hauts fonds ou d’empêtrer son hélice dans ces bains d’algues impénétrables. 
 

Tout en fixant la forme parfaitement symétrique du Pouce, le sommet le plus reconnaissable de la presqu’île Ronarc’h qui nous contemple chaque jour du haut de ses 744m, je quitte la Résidence pour redescendre vers les L. Quelle ironie que d’être condamnée à contempler chaque jour une montagne si envoûtante, ses pentes nervurées de blanc semblant lui donner vie, sans jamais pouvoir l’approcher, et encore moins la gravir… 


Après avoir dépassé le L10, je rejoins le L7 qui marque l’angle de la route parallèle à celle où s’alignent L10, L9 et L8. Le L7 est l’ancien bâtiment des marins, reconvertie en une salle de sport flambant neuve depuis la mission 62. A quelques appareils près dont la mécanique ou l’électronique nous jouent des tours, nous sommes particulièrement bien équipés – et il ne se passe pas une journée sans qu’une dizaine de personnes  ne viennent y dépenser les kilos en trop que les cuisines nous ont fait gagner.   





Le L7 fait face à l’ancienne salle de sport, une vieille fillod qui tombe en ruines et où ne reste plus qu’un vieux pan d’escalade qui mériterait bien une petite cure de rajeunissement. 
 

Dans le prolongement du L7, direction le « centre ville », viennent logiquement L6 et L5, récemment remis à neuf par l’équipe infra – le L6 n’est d’ailleurs pas encore achevé. 

 L6, L5, L4 et Louison

Face à eux, le plus haut bâtiment de PAF : le Louison. C’est le seul, avec la tour météo et TiKer, à posséder un étage ; il abrite les chambres de l’équipe infra, de l’armée de terre et, durant l’été, de certains campagnards. Son nom provient de l’amante de Yves de Kerguelen qu’il fit venir clandestinement lors de son second séjour dans « ses îles de la Désolation ». 

 Le Louison émergeant au-dessus des derniers L

La petite route – si on peut appeler comme cela un étroit passage de béton – cède la place à un terre-plein de cailloux irréguliers qui vient se terminer au pied du dernier de cette enfilade de blanc, rouge et bleu : le L4, qui héberge les chambres et bureau des employés de la Réserve Naturelle des TAAF (dont le nombre va passer de trois cet hiver à plus d’une dizaine cet été !).

L'équipe de la ResNat devant le L4 (photo de la Réserve Naturelle)
Thibaut - espèces introduites (saumons et rennes)
Thomas - ornithologue
Alexis - chasseur

 A l’autre extrémité du L4, on rejoint la rue principale qui descend depuis le BCR, juste sous la tour météo. On arrive alors sur le rond point, marqué par le mât des couleurs au pied duquel se déroulent toutes les cérémonies officielles. Sur toutes les photos anciennes de PAF que j’ai pu retrouver, le mât des couleurs y figure systématiquement : il ne faut pas oublier que la base a toujours été habitée par des militaires – c’est donc un lieu incontournable, à se demander s’il n’a pas été construit avant tout le reste ? 

 Cérémonie du 14 juillet - aux tout débuts de la base

Et justement, nous sommes aujourd’hui le 11 novembre 2012 : voilà 94 ans que nous célébrons l’armistice de la première guerre mondiale, à une époque où l’on a trop tendance à croire que cela fait désormais « partie du passé ». Le peu d’actualités que je reçois ici (même si j’ai tendance à préférer – peut-être à tort – ne pas trop suivre les informations) nous démontrent chaque jour que les leçons tirées de la guerre 14-18 ont été bien vite oubliées… C’est la première cérémonie de la mission 63, la dernière pour Laëtitia qui, en tant que capitaine du service de santé des armées, fait la revue des troupes avec le DisKer, le représentant de l’IPEV (aujourd’hui Lala en l’absence de Baptiste) et le commandant des troupes. Chaque cérémonie aura eu sa particularité météorologique : après un 8 mai sous des trombes d’eau, le 14 juillet sous la neige, nous bénéficions aujourd’hui d’une fin de matinée ensoleillée, même si le vent nous gèle les mains et fait voler drapeaux et casquettes…





Les trois armes de la mission 63
Marine - Armée de terre - Armée de l'air



 Charles à la sono


 La médaille des TAAF



 Tandis que je tourne autour des militaires tous bien alignés (marine, armée de terre, armée de l’air) pour le « reportage photo », je vois de l’autre côté de la route les quatre derniers bâtiments de vie : en fait les trois premiers L – le L3 (logement des cuisines), le L2 (bureau de l’IPEV et logement des chefs des opérations logistiques pendant l’été) et enfin le L1 (armée de l’air) – et pour finir Ker Avel, l’hôtel « Trois Godons » de PAF (il paraît que ça n’est pas très confortable…) qui sert durant les OP, en campagne d’été et pour héberger des voyageurs de passage (comme les commandos de la mission pétrel 2012 – pour qui c’était au contraire du grand luxe après 10 jours de tente sous la neige). Entre le L2 et le L3 se dresse un grand arbre dont la taille ne dépasse pas celles des bâtiments - c'est un tuya, en fait constitué de 6 pieds différents, le tuya étant le seul arbre des terres antarctiques et sub-antarctiques (on ne peut compter le phylica d'Amsterdam qui est une île sub-tropicale). On trouve un autre tuya sur Kerguelen, devant SAMUKER (mais ça, c'est une histoire que je vous conterai plus tard...)
 
 
 


A côté du mât des couleurs, un long piquet de bois peint en blanc, couvert de flèches. Cet objet est à une base polaire ce qu’est le mât des couleurs à une base militaire : incontournable. Sur les flèches, des dizaines de nom, suivi de nombre à plusieurs chiffres : y sont gravés les villes d’origine de gens passés ici et qui, par cette flèche, rappellent à leurs successeurs dans quelle direction se trouve « la maison », et à quelle distance : 4500, 12 550, 15 675, la surenchère donne le tournis ! Tout autant de noms qui font rêver ou rendent nostalgiques : La Réunion, CapeTown, Paris, Moscou, le Béarn… Ne manque plus qu’une petite flèche blanche et noire pointant vers… chez moi.

 Lever de soleil derrière TiKer 
(les fenêtres illuminées trahissent les cuisines déjà au travail)

Pour prolonger cette ivresse, je m’offre un petit tour de rond point qui, après 360° de rotation, me ramène devant TiKer. En breton, TyKer veut dire : la maison de la ville – c’est-à-dire la mairie. A PAF, TiKer c’est le centre névralgique de la base : cet immense bâtiment bleu et blanc abrite en effet les cuisines, la boulangerie, la salle à manger et l’inévitable Totoche, le bar. Outre ce lieu de détente et d’éventuelles soirées, on bénéficie également de billards, de baby foot, d’une table de ping-pong et autres cibles de fléchettes, sans compter la salle de musique.








TiKer, c’est là que travaille chaque jour l’équipe cuisine qui nous sert matin, midi et soir des repas variés, tâche pas toujours aisée quand on sait que les produits frais (légumes et fruits) disparaissent à peu près en trois semaines après le passage du Marion-Dufresne. 





 

  Vaisselle collective après chaque repas







On y mange bien, très bien, trop bien même, à en juger par l’assiduité avec laquelle certains font chauffer les appareils à la salle de sport… Mais la nourriture ici a une place centrale : les cuisines, c’est l’équipe la plus importante de toute la base ; le bien-être global d’une mission dépendra en grande partie de la qualité des repas servis (y compris de la fréquence des gâteaux préparés) – je ne connais pas grand monde sur base qui soit ainsi jugé pluri-quotidiennement pendant les six, huit, douze mois qu’ils passeront sur Ker. Rien que pour cela, on peut leur dire : chapeau !




Fin de journée à TiKer... (sous l'oeil attentif d'un goéland opportuniste)


 








... et début de nuit sur TiKer endormi !

Flash spécial

Nous interrompons notre programme en cours pour un flash  météo exceptionnel :

" Cette nuit, la météo capricieuse depuis maintenant quelques semaines sur Kerguelen concède enfin un peu de champ libre au-dessus de Port-Aux-Français, permettant aux nuages bas de se séparer, ouvrant tel un hublot tendu vers la voie lactée, ou encore une arène dont les gladiateurs s'appellent Orion, Andromède et autres constellations.

C'est l'occasion pour le veilleur nocturne d'admirer les étoiles, et, parfois, d'autres spectacles bien suprenants jouant avec la frange des nuages à l'horizon...

Nous tenons cependant à rappeler à nos lecteurs qu'il faudra bien penser à prendre bonnets, gants et bonnes chaussures avant de s'aventurer dehors, sous peine de rentrer chez soi les mains raides, les pieds mouillés et la goutte au nez !"


N'empêche, ça valait le coup de se geler les doigts...! :-)

A la découverte de Port-Aux-Français - Deuxième partie












 La résidence sur les hauteurs de Central Park

Lorsque l’on quitte Central Park en remontant un petit chemin de cailloux chaotique (l’espace « vert » de PAF se situant dans un creux où toute l’eau vient s’accumuler) on arrive à un nouveau carrefour. Je décide de poursuivre tout droit, en direction des L. 


Le L10 de l'IPEV

 Un L est le nom donné aux bâtiments de plain pied où logent la plupart des personnes de PAF. Chaque bâtiment est construit sur le même modèle : un sas d’entrée où s’entassent chaussures, bottes, gore-tex, bâtons de marche, etc…, puis un long couloir où s’ouvrent les chambres de part et d’autre. En face de la porte d’entrée on accède à la salle commune, avec frigo, évier et canapés. Chaque bâtiment est muni d’une buanderie, et les salles de bain sont désormais individuelles, attenantes à chaque chambre. Je passe d’abord devant le L10, où sont installés la majeure partie des VAT. Deux vélos sont appuyés contre son bardage beige et rouge, à côté d’un tonneau où poussent des choux de Ker : bâtiment certifié « EcoBio »! 

Le L9 (et l'un des véhicules de l'IPEV : le BioTruck)

 Vient ensuite le L9 tout de bleu vêtu, où logent les VAT ornithos Maxime et Thibaut, Guillaume-Pacha et les très prochains campagnards d’été ornithos et éthoTAAF (scientifiques étudiant le comportement des oiseaux marins). 
 
  Le L8 (... la marine ?)
 
Muni d’une terrasse et d’un sapin en métal, le L8 qui lui succède se distingue facilement des autres. L’ancre marine posée de guingois dans l’herbe ne laisse peu de doute sur l’identité de ses habitants : les marins !

 Les trois derniers L et leur décoration 100% Kerguelen
(+ un réverbère en mode Tour de Pise)

En atteignant le bout de la rue, je tombe sur le plus vieux bâtiment de PAF : la tour météo. Il servait autrefois comme lieu de travail des météos lors des premières missions. Mais de nos jours, ses parois triangulaires recèlent un  trésor : il est devenu la bibliothèque de Ker, toute rénovée en bois brut dont l’odeur boisée continue de nous charmer tandis que l’on flâne entre ses rayonnages ou sur internet pour lequel un ordinateur est mis à disposition de tous. Etrange bâtiment en forme de triangle, dont le toit dessine une flèche rouge qui pointe vers le sud. 




Laissant la bibliothèque derrière moi, je remonte la rue, direction le BCR. Sur le chemin on se glisse dans la « zone industrielle » de PAF : à gauche, au-dessus d’anciennes fillods quasiment désaffectées, se dressent les bâtiments jumeaux de l’Appro et de l’Infra. 

 La tour météo dans le dos, nous pénètrons dans la ZI-Ker !
Vue depuis le haut de la rue, en regardant vers la tour météo



Le premier, celui de l’Appro, héberge le bureau du Chef Appro, qui gère à la fois la Coop, le seul magasin de PAF (quelques livres, quelques souvenirs et cadeaux pour la famille, soutien de l’homme [autrement dit alcool, confiseries, cigarettes, produits d’hygiène]), les stocks de matériel mis à disposition des hivernants (vêtements de travail, matériel de bureau, matériel de loisirs), et surtout tout ce qui entre ou sort du district (commandes pour les services, rapatriement du matériel, évacuation des déchets, etc…). L’autre moitié du long bâtiment bleu est occupé par le magasin des cuisines, où toute la nourriture non frigorifiée est stockée. Le bâtiment infra, strictement identique d’extérieur, abrite le bureau du chef infra et toute la réserve matérielle nécessaire au travail de l’équipe infra qui assure l’entretien, la rénovation et la construction de la base. 
 Coucher de soleil hivernal sur le bâtiment Infra
 
De l’autre côté de la route, à ma droite, se dresse l’immense hangar du garage. C’est là que sont gérés et réparés l’ensemble des véhicules de Ker (voitures, tracteurs, engins de levage et autres grues), mais aussi tous les engins mécaniques utilisés à PAF (bétonnière, marteau-piqueur, groupes électrogènes, etc... ce qui fait grimper le nombre d'appareils à plus d'une centaine ! 




Attenant au garage, une ancienne forge sert encore d’atelier de soudure – ou accessoirement d’atelier pour artiste débordant d’idées ! :-)

La centrale avec la caserne de pompiers

 La station essence (gratuite !) de PAF

et les cheminées des trois groupes



En dépassant le garage, le BCR apparaît dans une impasse, avec à sa droite les immenses bâtiments de la centrale. La Centrale est gérée par les marins et fournit l’électricité et le chauffage à l’ensemble de la base, avec ses trois énormes moteurs (affectueusement surnommés Choupette, Jean et Anaïs). C’est ici aussi que se trouve la caserne de pompiers (gérée par le Chef Sécu surnommé Pimpon, et où sont formés chaque semaines les trois groupes de six volontaires pour le GPS). A sa gauche se trouvent d’autres hangars où sont abrités une grande partie des frigos et congélateurs de la cuisine. 

Au sommet de l'une des deux éoliennes

Laissant la centrale sur ma droite, surmontée de ses deux grandes éoliennes (un peu d’écologie n’a jamais fait de mal), je monte jusqu’au BCR – autrement Bureau Communication et Radios -  là où se trouve la gérance postale, les techniciens télécom et le centre de gestion des appels radios avec le personnel hors base et les navires sur zone. On est alors au point le plus haut de la base, que l’on domine tout en pouvant observer le golfe du Morbihan, et, au-delà, la presqu’île Ronarch’.



En redescendant, plutôt que de rebrousser chemin entre le garage et l’appro, je tourne à droite au-dessus de l’infra. Une petite route me conduit ainsi jusqu’à la résidence. C’est ici l’un des bâtiments les plus récents de PAF, la première partie, côté Central Park, héberge la mairie et les appartements du DisKer. 

 La mairie et résidence du DisKer

 Dans son prolongement est venue la compléter plus récemment la Résidence 2, pour le logement du personnel CNES et Météo-France. C’est aussi ici que j’ai installé ma salle de relaxation musculaire, pour proposer des séances de massage plusieurs fois par semaine.

  La résidence CNES-Météo

Je jette un œil curieux sur la base en contrebas : même avec les mois, je continue à poser sur ces bâtiments un regard à la fois étonné et fasciné. Avant de venir ici, on passe tant d’heures à guetter chaque photo, chaque vidéo qui pourrait lever le voile, ne serait-ce qu’un peu, sur le mystère de ce lieu dont on rêve depuis des années. De sorte que, même en y habitant depuis des mois, je continue à m’émerveiller, pour ne pas dire m’émouvoir, d’avoir la chance d’être passé de l’autre côté du miroir, et de marcher ainsi entre ces bâtiments qui, pourtant, n’ont rien de bien extraordinaire – si ce n’est le lieu où ils se trouvent. 

Est-ce donc cela, ce que l’on ressent, lorsque l’on passe du rêve à la réalité ?

Crépuscule de Noël devant le L8


A la découverte de Port-Aux-Français - Première partie











La fin approche lentement mais sûrement et je réalise peu à peu que les mois passés ici touchent à leur fin. 

Dans deux semaines le Marion sera au mouillage dans le golfe pour OP3. La base bruissera de nouveau d’une folle effervescence sous le regard narquois de l’hélicoptère qui nous bercera de son grondement lors de ses rondes incessantes entre le bord et l’héliport : nouveaux arrivants, matériel, vivres – la base s’éveillera à une nouvelle et extraordinaire période de l’année : la campagne d’été.
Pour l’heure je parcours les « rues » de PAF en me faisant petit à petit à l’idée que dans un mois et demi je quitterai à mon tour cet endroit , sans doute pour toujours – rares sont ceux qui reviennent ici, à un bout du monde si complexe à rejoindre. Et en contemplant ces bâtiments qui font partie de mon quotidien, de mon univers devenu familier au fil des mois, je réalise que jamais je n’ai pris le temps de vous en faire partager ni l’apparence, ni la composition. J’y avais bien pensé peu après mon arrivée, il y a dix mois, mais alors je ne connaissais encore ni les noms ni les fonctions de l’ensemble des bâtiments. Puis petit à petit le temps est passé, tout cela m’est devenu tellement évident et routinier que j’en ai oublié que pour d’autres mes évocations de Port-Aux-Français ne donnaient lieu à aucune image concrète – une simple évocation d’un endroit si lointain qu’il pourrait presque paraître imaginaire. Il est donc temps de rattraper mon retard et de jouer, le temps d’un instant, les guides touristiques interactifs.



Pour commencer notre petit voyage, deux options s’offrent à nous : partir de l’héliport par lequel nous arrivons tous sur base pour la première fois, ou bien partir de la flottille. C’est cette dernière option que je choisirai – Kerguelen reste un archipel, son seul moyen de ravitaillement et de relève est le bateau, et il me semble donc logique de rendre honneur à la nature maritime de ces lieux en débutant par le point d’entrée le plus logique : le port.



Située dans la baie de l’aurore australe, la flottille est constituée d’un quai en béton longé parallèlement par deux pontons de bois. Sur le quai se trouvent les bâtiments de l’équipage de la flotillle : local plongeurs, atelier du mécano, bureau et atelier du bosco. C’est ici qu’est entreposé le zodiac servant à rejoindre le chaland. Celui-ci est au mouillage à quelques dizaines de mètres du quai, en face du fond de la baie qui se finit en une plage de sable et galets où viennent paresser les éléphants de mer.  Le bâtiment de la flottille a été ironiquement appelé « L’abri côtier », venant faire fictivement grandir le nombre des arbres que l’on rencontrera à Kerguelen, mais aussi dans tout le territoire Antarctique et Sub-Antarctique.


 Lorsque l’on quitte la flottille, trois option s’offrent à nous : gravir la pente qui prolonge le quai, rejoignant le « centre-ville », tourner à droite afin de s’engager sur la fameuse "Road 66" qui, 4km plus loin nous amène jusqu’à la station du CNES, ou bien enfin je peux tourner à gauche. Je commencerai par là, car c’est un peu comme remonter le temps. En effet, les premières constructions de Port-Aux-Français datent de 1950, et les habitations des tout premiers habitants de la base étaient de longues fillods installées sur les hauteurs ouest de PAF. En remontant vers ce plateau, on passe devant le BioMar. Un grand bâtiment vert situé sur les hauteurs du rivage, et servant de laboratoire pour l’IPEV : c’est là que les VAT EcoBio, PopChat ou Ornithos traitent leurs prélèvements faits sur le terrain. Durant la campagne d’été, les paillasses débordent d’échantillons de toute sorte – mais son activité n’a malheureusement plus rien de comparable avec les premières années de recherche scientifique ici, où des dizaines de programmes scientifiques différents venaient étudier tout ce que la nature de Kerguelen, terrestre comme maritime, pouvait nous offrir comme sujet de recherches. 


 Le BioMar au premier plan, puis la fillod B1 
et enfin la chapelle, sous la lune et devant les monts du Château

Je laisse le bâtiment sur ma gauche et continue l’ascension vers les vieilles fillods. Devant moi se dresse la chapelle Notre Dame des Vents, construite bénévolement de 1957 à  1961. 


Elle est née d’une initiative du prêtre-ouvrier Pierre-André BEAUGE, aumônier-infirmier à Kerguelen en 1957. La première pierre de l’édifice a été posée par la première mariée des Kerguelen, Mme PECHENARD le 16 octobre 1957. Devant elle se dresse une statue de la vierge portant un enfant (confectionnée à Landerneau dans le Finistère) ; ils contemplent tous deux la passe royale, guettant et protégeant à la fois l’arrivée de tout bateau en provenance du reste du monde. La robe de la vierge est représentée dans un mouvement d’envol vers la baie, traduisant à merveille les vents qui balayent l’archipel quasi quotidiennement. 


A l’intérieur du bâtiment dont le toit est en cours de rénovation, lorsque l’on a la chance de s’y rendre un jour de soleil, les vitraux des hautes ouvertures inondent la petite chapelle d’un patchwork de violet, bleu et rouge, nous plongeant dans une ambiance irréelle. Comme un lien tendu vers les trop nombreux noms inscrits sur le mur, en mémoire de ceux qui sont décédés sur l’archipel. 



 En sortant de la chapelle je tourne mon regard vers l’ouest, et de l’autre côté d’une petite anse l’on peut apercevoir le port pétrolier. Autrefois situé dans PAF, à côté de la flottille, il est désormais à sa périphérie. C’est ici que le Marion vient nous ravitailler en carburant afin d’assurer notre production électrique et de chauffage, et c’est aussi ici que les opérations de ravitaillement en carburant des navires de pêche se font. 

Le port pétrolier avec son enrouleur, devant une mer de nuages d'où émerge le mont Roos

 
 Les réserves en carburant de PAF

 


Une cormorandière niche juste à côté, avec un magnifique point de vue sur l’ensemble des îles du golfe du Morbihan et au-delà, les jours de beau temps, le mont Ross (point culminant de l’archipel, à 1850m).

La vue depuis le port pétrolier
 
Laissant  dans mon dos la chapelle et le rivage, je remonte vers le haut de PAF en longeant parallèlement le plateau où ont été construites les premières fillods. Il y en a moins qu’à l’époque des premières années de la base, et si deux d’entre elles servent encore d’entrepôt et d’atelier pour l’IPEV (ainsi que de local vélo pour la base), les autres sont à l’abandon, servant de local pour les exercices  incendie pour la formation des GPS (Groupe Prévention et Sécurité, des groupes de 6 personnes se relayant toutes les semaines dans la permanence sécurité de la base) ou simplement de lieux utilisés pour les activités « salissantes » (par exemple, c’est ici que nous avons joué au Paint Sponge durant la MidWinter). Difficile de voir dans ce sol défoncé, ces vitres brisées et ces parois trouées par où s’engouffrent vent et pluie, un lieu de vie où cohabitaient les militaires de l’époque. On se sent soudain terriblement chanceux avec nos bâtiments en dur, avec chauffage, électricité et salle de bain dans chaque chambre – les fuites d’eau de mes fenêtres et les courants d’air de l’hôpital me semblent soudain bien dérisoires...

 Les anciennes fillods 
(du plus loin au plus près : B1 - B4  - B5 [la maison dont on voit dépasser le toit) - B7 et B8)

 

Une fois parvenue à l’autre extrémité du chemin de cailloux qui longe ces fillods, je jette un œil au loin, devinant à peine sous un monticule vert le shelter Sismo où Guillaume (VAT Magné-Sismo) effectue des relevés de sismologie. 




 
  Le shelter sismo et le chemin de câbles tel qu'il en court des kilomètres autour de la base



 
Puis  je suis le sentier qui redescend vers le « PAF Jeune », traversant ce que nous appelons affectueusement « Central Park ». En fait de parc, c’est une étendue d’herbe et d’acaena gorgée d’eau où le terrain hésite entre lacs  et souilles. En un regard on ne manque pas d’observer une dizaine de lapins qui ont creusé l’espace de toutes parts en centaines de terriers qui rendent la traversée de ce petit coin de verdure d’autant plus périlleuse. 

 Central Park et au-delà la partie "vivante" de PAF

Lorsque les BLO remarquent enfin ma présence, deux attitudes s’opposent : les premiers s’enfuient à toute pattes, en bonds impressionnants jusqu’à disparaître brusquement dans l’un de leurs terriers ; d’autres au contraire s’aplatissent sur le sol, plaquent leurs oreilles derrière le crâne et cachent leurs yeux derrière une touffe de verdure. « Si je ne le vois pas, c’est qu’il ne me voit pas » semblent-ils se dire… 














 La suite au prochain épisode...