Vendredi 20 juillet
7h du matin, le réveil de Maxime le tire de son duvet alors qu’il fait encore noir dans la cabane et au dehors.
Lorsque j’émerge de sous le repli du sac de couchage, c’est à peine si j’entends l’écho lointain du chant des manchots que le vent emporte au loin. Ils sont pourtant juste sous nos fenêtres. Des centaines, des milliers, des dizaines de milliers ! En 2012, 70 000 couples de manchots royaux ont été recensés sur cette immense manchotière ; actuellement, l’un voire le plus souvent les deux membres du couple sont partis en haute mer, vers le sud, pour trois semaines. Le temps de se remplir l’estomac avant de rejoindre leur poussin qui attend impatiemment d’être nourri par régurgitation. La colonie est donc plus petite qu’en période d’accouplement, mais j’ai du mal à imaginer comment l’on pourrait y mettre plus de monde. Pendant des mois, le temps de la croissance de ce petit poussin couvert d’un épais duvet marron, les parents enchaînent les va-et-vient entre le large et la colonie, où, par le chant, ils doivent retrouver leur unique poussin au milieu de dizaines de milliers d’autres. Les jeunes manchots sont réunis en différentes crèches, formant de grandes taches marrons mouvantes sur le sable noir de Ratmanoff, au milieu de la foule noire, blanche et orange des adultes présents à terre.
Lorsque j’ouvre la porte, le froid me saisit aux joues, mais le paysage me fait vite oublier la morsure du gel : je ne peux détacher mes yeux du spectacle d’une aube imminente sur cette immense colonie dont le chant me semble plus doux qu’une symphonie de Tchaïkovski (j’en connais qui vont encore dire que je fais preuve de lyrisme et d’un excès de romantisme… que voulez-vous, c’est ma nature !).
Nous avalons un rapide petit-déjeuner qui réchauffe nos muscles encore tout courbaturés de la marche de la veille, puis je jette un œil par la grande fenêtre du guetteur.
La cabane de Guetteur porte son nom en raison du protocole d’ornithologie qui a lieu ici durant la campagne d’été : chaque année, deux ornithos sont chargés d’observer la colonie du lever au coucher du soleil afin de repérer un certain nombre de manchots marqués avant leur départ vers le large. Leur but est de trouver, au milieu de ces dizaines de milliers d’individus, ces quelques manchots marqués d’une tâche de couleur et équipés de balises qui auront effectués des relevés durant tout leur voyage sous-marin. Auparavant, ce travail se faisait uniquement à l’œil, désormais ils sont aidés dans leur tache d’une VHF qui se met à émettre lorsque le manchot équipé de l’émetteur sort de l’eau pour rejoindre la plage. C’est pour cette raison que cette cabane est l’une des rares à disposer d’une si grande fenêtre donnant sur le paysage, en l’occurrence la colonie. Pour ma part, j’ai l’impression de me trouver devant un écran plat grand format diffusant en permanence un programme animalier fantastique – la chaîne de mes rêves !
Bref, je regarde donc à travers la fenêtre du guetteur derrière laquelle on distingue les ombres des manchots les plus proches, ceux assez hardis ou curieux pour venir piquer un somme tout près de la cabane. Max nous fait signe que le soleil va poindre, et nous nous jetons tous les trois sur nos appareils photos avant de sortir pour descendre sur la plage. J’en oublie même d’enfiler un manteau et un bonnet ! (désolée Elise)
Le ciel noir auparavant bordé d’une frange orangée s’est désormais éclairci, passant au bleu clair. Au-dessus de l’océan, de courtes bandes orange apparaissent soudain. Puis un halo orange grandit, grandit, jusqu’à ce qu’en son centre, enfin, le cercle parfait incandescent du soleil s’extirpe des flots.
Je suis agenouillée sur le sable noir de la plage, baignée par le chant des manchots appelant leurs petits auxquels ceux-ci répondent par des pépiements aigus. Près de moi passent en longue file indienne des centaines de manchots qui rentrent de leur long voyage au large.
En face, dans les vagues, des adultes batifolent pour une toilette matinale dans les rouleaux d’écume dont la crête est vaporisée par les rafales de vent.
Au-dessus d’eux, les pétrels géants jouent les acrobates en planant de leurs 2 mètres d’envergure, frôlant la frange des vagues de la pointe de leurs ailes.
C’est un matin comme un autre à Ratmanoff, le même rituel, le même spectacle, sans cesse renouvelé depuis des millénaires. Et aujourd’hui, j’ai la chance d’en être l’un des rares spectateurs privilégiés – émerveillés.
Sortie du bain au petit matin
Des photos sublimes, comme toujours !
RépondreSupprimerSi tu ne gagnes pas un nouveau concours avec cette fournée... :)
gros bisous