Ile de Mayes au petit matin
11 avril 2012 – 17h45
Depuis quelques mois déjà que nous vivons ici en isolement
géographique mais aussi « intellectuel » – peu,
voire aucune actualité, rares échanges avec l’extérieur – on finit par se
convaincre que l’on est seuls au monde, nichés sur ce petit caillou, perdus au
milieu d’un grand océan désert. Le Marion Dufresne qui rythme nos contacts avec
l’extérieur ne semble plus être qu’un vague fragment de la « vraie
vie » que nous avons laissé derrière nous en choisissant de venir s’isoler
ici ; rien de moins qu’un pont entre deux mondes parallèles, l’un aux
Kerguelen, et cet autre monde que nous ne comprenons plus, si bien que l’on en
finit par croire qu’il ne nous concerne
pas. Et puis un jour, le reste de la planète nous rattrape, et la Terre se
charge de nous rappeler que nous ne sommes tous que les passagers éphémères
d’un immense et même radeau fragile. Comme aujourd’hui, où un effroyable
tremblement de terre a ébranlé l’Indonésie au large de Sumatra.
A la VAC de 17h30 nous avons donc demandé à nos camarades sur les îles du golfe et cabanes de la Péninsule Courbet de rester en veille radio permanente et surtout, à partir de 21h, de monter sur les hauteurs tout en restant éloignés des rivières (qui peuvent également passer en crue du fait de la brutale montée des eaux).
Les cabanes de l'île Mayes, à fleur d'eau
(programmes ornitho et écobio - celle de droite est la cabane du programme "ronfleur")
Les cabanes de l'île Verte, installées à mi-hauteur du point culminant de l'île
(programme éthologie et écobio)
La situation la plus inquiétante pour les Kerguelen (comme à
Crozet au niveau de la baie du Marin) concerne la colonie de manchots royaux de
Ratmanoff, qui avait déjà été décimée lors du tsunami de 2004. Installée sur
une immense plage, au niveau de la mer, une montée brutale des eaux emporterait
des milliers de jeunes manchots et leurs parents.
11 avril 2012 - 22h
Pour nous, l’alerte tsunami a été levée ; aucun risque
de vague pour les districts des TAAF, manchots et hivernants vont pouvoir
dormir en paix.
Notre horizon c’est tellement réduit au fur et à mesure des
mois, toute notre existence semble se résumer à cette base et ces quelques
cabanes disséminées sur une île qui fait rêver ou trembler, selon que l’on soit
fasciné par sa nature ou effrayé par sa dureté.Il est regrettable de réaliser que ce sont d’aussi terribles
évènements qui nous rappellent que nous ne sommes pas seuls, et surtout qu’on
ne peut se couper du reste de la planète. Qu’on le veuille on nous, nous sommes
tous liés, aussi bien liés par les puissances naturelles qui nous menacent tous (et ce que
l’on soit sur un continent civilisé comme sur une île perdue) mais aussi unis
par ce lien immatériel, pourtant si puissant, qui fait que des hommes s’inquiètent
pour le destin d’autres êtres dont ils ignorent tout, si ce n’est qu’ils
sont eux aussi les délicates victimes d’un équilibre instable ; serait-ce
donc cela, « l’humanité » ?
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