Albatros Fuligineux à dos clair
Les coquets des falaises :
sourcils noirs et houppettes blondes
Samedi 21 avril
Cela fait 36h que la base de Port Aux Français n’a pas eu de
nos nouvelles – la VAC d’hier soir ayant été un échec par radio comme par
téléphone satellite. Après trente minutes d’ascension, Thibaut et moi
atteignons le plateau des Hauts de Hurlevents à l’ouest de la cabane, pile
entre les deux torrents qui l’encadrent. Un merveilleux soleil réchauffe l’air
tandis que nous nous hissons sur la pointe des pieds sur le plus haut rocher
pour tenter d’accrocher le relais 27.
" BCR BCR de Sourcils Noirs ? "
Enfin, le grésillement familier au moment
de relâcher le bouton nous confirme que le message va enfin pouvoir passer, et
en quelques minutes nous échangeons des nouvelles avec Gégé, qui en retour nous
donne les prévisions météo des deux prochains jours. Il est 9h, la base est
rassurée, et la journée est à nous.
Le Canyon de Sourcils Noirs et l'océan Indien
(la cabane est au fond du ravin de gauche sur la photo,
et le rocher qui se distingue à droite à l'horizon est quant à lui
l'endroit où se fait normalement la VAC radio)
Après avoir fait quelques photos et profité de la vue, nous
redescendons dans le canyon où Denis et Nath ont déjà attaqué les terriers de
pétrels à tête blanche. Il nous en reste trente cinq à explorer, dont certains
qu’il va falloir réaménager. En effet, depuis le dernier passage de Nath, des
terriers ont été agrandis, et il faut creuser de nouvelles ouvertures afin
d’accéder à chaque recoin des différents tunnels et chambres. Armée d’une pelle
US, me voilà en train d’attaquer la terre noire et entrelacée de racines
d’acena, me prenant pour le jeune héros de l’Île aux Trésors de Stevenson
lorsque la pelle rentre brutalement dans le sol, signifiant que je suis tombée
sur la chambre du poussin. Une fois les ouvertures du terrier aménagées et
celui-ci exploré de bout en bout, nous y encastrons de grosses pierres afin
d’en obstruer les entrées artificielles, dans le but de protéger le poussin des
infiltrations d’eau et surtout d’éventuels prédateurs.
L'empreinte du torrent qui a creusé le canyon,
avec à droite une cascade qui sculpte une ancienne coulée
A midi, le travail est fini : « quartier
libre cet après-midi » annonce PopChat pour notre plus grand plaisir.
C’est le moment d’aller rendre visite à ceux qui ont donné leur nom au canyon.
A quarante cinq minutes de marche de la cabane nichent une colonie d’albatros à
sourcils noirs et de gorfous macaronis. Installés à deux cents mètre des
rochers où s’écrasent d’impressionnantes vagues, ces deux oiseaux – l’un est un
extraordinaire planeur, l’autre un excellent plongeur – partagent les pentes
abruptes des falaises qui précèdent le cap George. Après avoir traversé le
torrent qui encadre la cabane à sa droite, nous grimpons jusqu’au plateau des
Hauts de Hurlevents où de belles rafales nous accueillent, donnant tout son
sens au nom que porte ce long défilé de cailloux et de micro-lacs entourés de
souilles.
Nous croisons rapidement la petite caisse bois munie d’une antenne où
se fait normalement la VAC (parfaitement située sur le trajet des ornithos
lorsqu’ils rentrent de la colonie de Sourcils Noirs) puis parvenons à l’aplomb
des falaises. Au nord, l’ombre de Pointe Suzanne se dessine sous un beau ciel
pastel. Sous nos pieds, plusieurs centaines de mètres en pente vertigineuse,
colonisés par les choux de Kerguelen – bien à l’abri des dents ravageuses des
lapins – et les oiseaux qui attirent toute notre attention.
La cabane de la VAC
(les étranges sacs à dos de Denis et Thibaut sont des claies de portage,
afin de récupérer les cages du PopChat - et oui, on a aussi fait un peu de chat à cette manip' PopChat)
La falaise des Sourcils Noirs
La colonie se voit en gris et blanc à droite sur la photo
Vue d’en haut, la
colonie forme une énorme tache grise dont on reçoit les échos des chants au
grè des caprices du vent. Après une descente quelque peu périlleuse entre
rochers, cotula plumosa et choux de Kerguelen, nous arrivons en vue de nos
hôtes de l’après-midi. Des milliers de gorfous macaronis ont investi les lieux,
si haut par rapport au niveau de la mer, se forçant à une escalade
impressionnante pour rejoindre leur lieu de nichage.
" Hissés sur un pic rocheux, on se sent insignifiants face à un tel spectacle "
Il ne faut pas trébucher...
L’envol est tout proche, ils
battent tous frénétiquement des ailes, impatients de se jeter dans le vide.
Mais après quelques puissants battements qui ne manquerait pas d’envoyer valser
un macaroni étourdi, ils se ravisent et se réinstallent sur leur nid. Ils n’auront
qu’une seule occasion de s’élancer, c’est soit l’envol, soit la mort sur les
rochers deux cents mètres plus bas : il ne faut pas se rater !
Pendant que Nath tire le portrait d’un jeune albatros, je
m’installe tout contre un couple de gorfous macaronis qui n’ont pas l’air plus
dérangés que ça par ma présence. Leurs belles aigrettes jaunes virevoltent
au-dessus de leurs yeux rouges dont l’éclat est voilé à intervalles réguliers par
la paupière verticale. Beaucoup sont en mue, leurs plumes restantes dessinant
sur leur corps taillé pour la nage des drôles de déguisement, comme celui-ci
avec une collerette de plumes grises sur la tête qui le fait ressembler à un
indien sous sa coiffe de grand chaman.
Gorfous Macaronis en mue
On distingue la paupière verticale bleutée passant devant l'iris rouge
Assis en périphérie de cette immense
colonie qui affronte les éléments, le vertige et le risque d’une chute
mortelle, les albatros étendant leur deux mètres quarante d’envergure d’aile non loin de là, on se sent tout
petits, insignifiants... mais tellement chanceux.
La péninsule Ronarch puis au fond, se fondant dans la brume du début de crépuscule, la presqu'île du Prince de Galles et Pointe Suzanne
La cabane de Sourcils Noirs au fond de son canyon
L’arrivée imminente de la nuit nous chasse à regret de la
colonie et nous remontons sur les Hauts des Hurlevents où une tempête de neige
nous accueille à renforts de grands coups de vents. Nous passons une VAC rapide
au cabanon puis rentrons au chalet juste au moment où la nuit se referme sur le
canyon. Bien que le ciel soit d’un noir d’encre, j’ai des étoiles plein les
yeux. Après une petite séance de massage (comme quoi on peut emmener du travail
en manip’) et une longue partie de carte (initiation à la Dame de Pique pour ce
soir), le claquement de la pluie sur le toit nous attire vers les duvets. En
jetant ma frontale sur le matelas, j’ai la surprise de découvrir que le hasard
des reliefs du sac de couchage dessine une drôle d’ombre sur le mur, comme un
écho de cette incroyable nouvelle journée à …
... Sourcil Noir
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