OP1 2012 - derniers jours



Jeudi 29 mars – 16h45

Depuis ce matin, me revoilà à bord du Marion, et pour encore une heure ou deux. La météo est clémente, je ne devrai pas rester coincée à bord cette nuit : ouf !
Voir de nouvelles têtes, en revoir d’anciennes comme le bosco Gégé ou le lieutenant Estelle, c’est agréable, mais je ne souhaite pas pour autant passer trop de temps ici. Non seulement car j’ai le sentiment de rater quelque chose sur la base, profiter des derniers instants sur PAF des partants comme Nina ou Tiphaine (miss otarie rebaptisée Suzanne car elle a passé 98% des 4 derniers mois à Pointe Suzanne, extrémité sud-est de la péninsule Courbet), mais aussi car pendant que je remplace le médecin de bord, notre très cher Martin, qui est descendu à PAF, je suis aussi le seul médecin du Marion en cas de pépin – et vu ma connaissance plus que limitée de l’équipement et de l’organisation de l’hôpital de bord, j’ai hâte de retrouver le matériel de SAMUKER :-)



Petit à petit l’OP avance, hier les opérations de ravitaillement se sont achevées (ce qui nous a permis de profiter avec joie de carottes toutes fraîches en entrée, et…. de la laitue !!!), aujourd’hui le renflouement de cuves de gasoil a débuté (sans quoi nous aurions du finir l’hiver sans chauffage ni électricité) et les opérations d’évacuation de nos déchets et containers de l’IPEV devraient se finir ce soir ou demain. 



 Evacuation de matériel de PAF vers le MarDuf via le chaland l'Aventure II
 Denis le Bosco de l'Aventure II 
(hyper concentré pendant les manoeuvres !)

 Pendant l’OP, toute la base est mobilisée et se donne à 150% pour effectuer la quantité de missions à accomplir. La base grouille de vie et d’activité, on n’a jamais vu autant de tracteurs et manitous circulés, chacun se relaie pour aider au dépotage des tonnes de fret (vivres fraîches, sèches ou congelées ; matériel d’infra ; ravitaillement de la Coop – chocolat et souvenirs !!). PAF devient une véritable fourmilière survolée par la libellule hélicoptère qui enchaîne le transport de caisses bois, big bags et slings (filets contenant du matériel). Au milieu de tout cela je me suis chargée d’aider Gégé GP à la poste pour trier le courrier puis circuler entre tous pour livrer lettres et colis au plus vite (c’est un peu Noël en avance).


Les 32 colis postaux reçus à OP1 et à dépotter dans la soirée du 27 
(j'en ai encore mal aux bras)

Toute cette activité, ça sent la fin… ça sent le début de l’hivernage… ça sent l’approche des larmes au moment de se séparer.


Mais pour le moment, je suis encore toute euphorique de ma journée d’hier. Si je vis en ce moment l’aventure de ma vie, et hier j’ai eu LA journée d’anniversaire dont on peut rêver : la journée parfaite de 00h00 à 24h00. Suite à cette nuit écourtée par cette magnifique aurore australe, j’ai joué à la factrice le matin (la veille j’avais livré les colis, ce matin-là j’ai fini la distribution avec les lettres – surtout du courrier de philatélistes qui attendent impatiemment des tampons), puis assisté à l’étude par caméra thermique de l’isolation de SAMUKER (aïe aïe les fenêtres….), fait un petit peu de médecine en fin de matinée puis après avoir admiré pendant l’après-midi un arc en ciel greffé au-dessus de PAF (plus d’une heure sans bouger !) tout en tamponnant à la GP, la fin de journée est enfin arrivée. 

Séance de tamponnage à la GP 
Tiphaine miss otarie et Patrick DisKer

 Dîner tranquille à TiKer, avec deux fois plus de personnes que d’habitude (passer de 60 à 120 personnes d’un coup entre les arrivants, les interdistricts et les visiteurs, ça fait tout drôle), puis Baptiste le Géner vient me voir pour me demander si je peux le voir à SAMUKER en consultation. Nous voilà partis à 20h pour l’hôpital. Lorsque nous revenons vers Totoche pour rejoindre les autres, je dois avouer que j’ai commencé un peu à me demander pourquoi les lumières étaient presque toutes éteintes dans le bar. En montant l’escalier, un doute m’assaille. Et en entendant résonner la chanson mythique de Nina et moi, qui nous fait vibrer en hommage à notre capitaine de rugby la belle Sabrina : « Waka Waka », je me dis que là, vraiment, il y a baleine sous le gravillon comme diraient certaines qui se reconnaîtront peut-être. Imaginez ma surprise, pour ne pas utiliser de termes plus forts (par pudeur), lorsque je découvre, à Totoche, que la totalité de la base s’est réunie pour me souhaiter mon anniversaire. Grand moment de solitude au milieu des applaudissements où je ne sais plus où me mettre (certains ne le croiront peut-être pas mais je n’ai même pas pleuré – si si c’est vrai). 


 Nina-Chaussette et Nico-La Fouine-Bout de bois ont organisé de main de maître cette surprise, et surtout les cadeaux dont j’ai été inondé : un assortiment d’huiles et baumes de massage (vous avais-je dit que depuis deux mois j’ai ouvert une « salle de relaxation musculaire » ?) et surtout, le plus beau, le plus incroyable, le plus merveilleux et le plus époustouflant de tous les cadeaux : l’arbre des Kergueleniens. 
Qu’est-ce donc ? me direz vous. Rien de moins qu’une sculpture arborescente dont le socle est formé par la carte des Kerguelen, et ses branches faites de tiges d’un magnifique cuivré, entrelacées. Mais le plus beau, le plus fantastique, ce sont ses fruits. Chaque personne avec qui je partage mes jours depuis maintenant quatre mois a offert un objet qui le représente. 


 Je vous laisse découvrir les quelques images d’hier, dont je remercie tous ceux qui, en me témoignant leur affection, ont allumé dans mon âme un feu si grand qu’il pourra me réchauffer pendant les cinq prochains mois d’hivernage.


 
















Samedi 31 mars – 15h30

L’hélico vient de faire son dernier tour d’honneur au-dessus de la DZ. A l’intérieur, les derniers campagnards d’été quittent pour de bon la base de Port Aux Français. Lorsque mon regard rejoint le Marion Dufresne où se pose déjà l’hélicoptère, je dois avouer que le cœur n’est pas vraiment à la fête.
Quel incroyable ascenseur émotionnel cette fin de semaine !
Mercredi soir j’étais la plus heureuse des personnes, et le surlendemain le ciel a semblé s’écrouler sur moi. Nina est partie hier, à 16h. Nina l’incroyable, ma coéquipière de rugby, ma copine bretonne, mon attache sur ce caillou lointain, mon pilier (bien qu’elle soit demi de mêlée dans l’équipe) sur la base, cette fantastique jeune femme qui donne tant et qui m’a tellement apportée, avec qui des liens incroyables se sont créés en ces deux trop courts mois – tout cela c’est Nina – est partie.



Le Marion a vogué de nuit de PAF à PJDA, et Nina devait monter à bord afin d’effectuer un aller-retour en hélicoptère jusqu’à Val Travers afin de faire quelques manipulations de logistique. C’est chose faite, et quelle chance pour elle d’aller là-bas. Val Travers est un endroit très peu visité sur les Kerguelen, au nord, à l’ouest de Port Couvreux. Probablement l’un des sites les plus exceptionnels, animé par des sources d’eau chaude et des fumeroles qui témoignent de l’activité volcanique latente qui a donné naissance à cet archipel.


 Les sources d'eau chaude de Val Travers (photos de Nina envoyées depuis le Marion)


 Outre la douleur de se séparer d’une amie, il faut reconnaître que le fait de se retrouver « seule » (on n’est jamais vraiment seul ici, c’est la force de cette communauté soudée dans « l’adversité ») pour l’hivernage tout proche qui m’a terrifié. Et si je n’étais pas assez forte pour cela ?
Rassurez-vous, ces interrogations ont vite été balayées : lorsque je repense à tout ce que je viens de vivre, tout ce qu’il me reste à découvrir et à apprendre, l’enthousiasme avec lequel je ressens chaque instant passé ici… vraiment ça n’est pas cinq mois d’hiver, de vent, de froid et de neige qui me feront peur !
Mais il est toujours difficile de dire au revoir, surtout à une personne aussi exceptionnelle.


 L'hélico d'adieu de Nina

Enfin nous voilà tous ces soir sur la DZ, à contempler l’hélico nous tourner le dos une dernière fois. Après un petit aller-retour à SAMUKER, je prends la voiture pour rejoindre le port pétrolier. Armée de ma zézette (pour mémoire c’est une radio portable), campée sous la pluie, je me branche sur le canal 10, d’où nous pouvons échanger avec nos amis partis sur le Marion. Les "au revoir" s’éternisent, et l’on masque le chagrin en balançant sur les ondes chansons et taquineries.
Ma gorge se serre en reconnaissant la voix de Tiphaine (la madame otarie de Pointe Suzanne) ou de Nico (le Bout de Bois de l’IPEV). Ils faisaient tous partie de la vie des Kerguelen, du groupe qui s’est créé au fil de mois ; les voir partir c’est comme perdre une partie de soi.
Enfin, trop vite ou trop tard je l’ignore (en matière d’adieu, difficile de dire ce qui est le pire, l’attente ou la précipitation), l’ancre du Marion Dufresne se lève. Notre grand navire bleu fait résonner sa corne de brume à plusieurs reprises, à laquelle répond Pimpon avec la sirène du camion pompier dont l’écho va se répercuter longtemps dans le golfe du Morbihan.


Jusqu’à ce que le canal 10 ne passe plus entre le Marion et la base, nous nous enverrons des petits messages tintés de nostalgie. 

Autour de moi, j’entends des voix, j’observe des visages, et je réalise que c’est là les seules personnes que je verrai pendant les cinq prochains mois. 

Nous sommes cinquante à débuter l’hivernage sur l’archipel des Kerguelen.


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