Jeudi 29 mars –
16h45
Depuis ce matin, me revoilà à bord du Marion, et pour encore
une heure ou deux. La météo est clémente, je ne devrai pas rester coincée à
bord cette nuit : ouf !
Voir de nouvelles têtes, en revoir d’anciennes comme le
bosco Gégé ou le lieutenant Estelle, c’est agréable, mais je ne souhaite pas
pour autant passer trop de temps ici. Non seulement car j’ai le sentiment de
rater quelque chose sur la base, profiter des derniers instants sur PAF des
partants comme Nina ou Tiphaine (miss otarie rebaptisée Suzanne car elle a
passé 98% des 4 derniers mois à Pointe Suzanne, extrémité sud-est de la
péninsule Courbet), mais aussi car pendant que je remplace le médecin de bord,
notre très cher Martin, qui est descendu à PAF, je suis aussi le seul médecin
du Marion en cas de pépin – et vu ma connaissance plus que limitée de
l’équipement et de l’organisation de l’hôpital de bord, j’ai hâte de retrouver le
matériel de SAMUKER :-)
Petit à petit l’OP avance, hier les opérations de ravitaillement
se sont achevées (ce qui nous a permis de profiter avec joie de carottes toutes
fraîches en entrée, et…. de la laitue !!!), aujourd’hui le renflouement de
cuves de gasoil a débuté (sans quoi nous aurions du finir l’hiver sans
chauffage ni électricité) et les opérations d’évacuation de nos déchets et
containers de l’IPEV devraient se finir ce soir ou demain.
Evacuation de matériel de PAF vers le MarDuf via le chaland l'Aventure II
Denis le Bosco de l'Aventure II
(hyper concentré pendant les manoeuvres !)
Pendant l’OP, toute la base est mobilisée et se donne à 150%
pour effectuer la quantité de missions à accomplir. La base grouille de vie et
d’activité, on n’a jamais vu autant de tracteurs et manitous circulés, chacun
se relaie pour aider au dépotage des tonnes de fret (vivres fraîches, sèches ou
congelées ; matériel d’infra ; ravitaillement de la Coop – chocolat
et souvenirs !!). PAF devient une véritable fourmilière survolée par la
libellule hélicoptère qui enchaîne le transport de caisses bois, big bags et
slings (filets contenant du matériel). Au milieu de tout cela je me suis chargée
d’aider Gégé GP à la poste pour trier le courrier puis circuler entre tous pour
livrer lettres et colis au plus vite (c’est un peu Noël en avance).
Les 32 colis postaux reçus à OP1 et à dépotter dans la soirée du 27
(j'en ai encore mal aux bras)
Toute cette activité, ça sent la fin… ça sent le début de
l’hivernage… ça sent l’approche des larmes au moment de se séparer.
Mais pour le moment, je suis encore toute euphorique de ma
journée d’hier. Si je vis en ce moment l’aventure de ma vie, et hier j’ai eu LA
journée d’anniversaire dont on peut rêver : la journée parfaite de 00h00 à
24h00. Suite à cette nuit écourtée par cette magnifique aurore australe, j’ai
joué à la factrice le matin (la veille j’avais livré les colis, ce matin-là
j’ai fini la distribution avec les lettres – surtout du courrier de
philatélistes qui attendent impatiemment des tampons), puis assisté à l’étude
par caméra thermique de l’isolation de SAMUKER (aïe aïe les fenêtres….), fait
un petit peu de médecine en fin de matinée puis après avoir admiré pendant
l’après-midi un arc en ciel greffé au-dessus de PAF (plus d’une heure sans
bouger !) tout en tamponnant à la GP, la fin de journée est enfin arrivée.
Séance de tamponnage à la GP
Tiphaine miss otarie et Patrick DisKer
Dîner tranquille à TiKer, avec deux fois plus de personnes que d’habitude
(passer de 60 à 120 personnes d’un coup entre les arrivants, les interdistricts
et les visiteurs, ça fait tout drôle), puis Baptiste le Géner vient me voir
pour me demander si je peux le voir à SAMUKER en consultation. Nous voilà
partis à 20h pour l’hôpital. Lorsque nous revenons vers Totoche pour rejoindre
les autres, je dois avouer que j’ai commencé un peu à me demander pourquoi les
lumières étaient presque toutes éteintes dans le bar. En montant l’escalier, un
doute m’assaille. Et en entendant résonner la chanson mythique de Nina et moi,
qui nous fait vibrer en hommage à notre capitaine de rugby la belle
Sabrina : « Waka Waka », je me dis que là, vraiment, il y a
baleine sous le gravillon comme diraient certaines qui se reconnaîtront
peut-être. Imaginez ma surprise, pour ne pas utiliser de termes plus forts (par
pudeur), lorsque je découvre, à Totoche, que la totalité de la base s’est
réunie pour me souhaiter mon anniversaire. Grand moment de solitude au milieu
des applaudissements où je ne sais plus où me mettre (certains ne le croiront
peut-être pas mais je n’ai même pas pleuré – si si c’est vrai).
Nina-Chaussette et Nico-La
Fouine-Bout de bois ont organisé de main de maître cette surprise, et surtout
les cadeaux dont j’ai été inondé : un assortiment d’huiles et baumes de
massage (vous avais-je dit que depuis deux mois j’ai ouvert une « salle de
relaxation musculaire » ?) et surtout, le plus beau, le plus
incroyable, le plus merveilleux et le plus époustouflant de tous les
cadeaux : l’arbre des Kergueleniens.
Qu’est-ce donc ? me direz vous. Rien de moins qu’une
sculpture arborescente dont le socle est formé par la carte des Kerguelen, et
ses branches faites de tiges d’un magnifique cuivré, entrelacées. Mais le plus
beau, le plus fantastique, ce sont ses fruits. Chaque personne avec qui je
partage mes jours depuis maintenant quatre mois a offert un objet qui le
représente.
Je vous laisse découvrir les quelques images d’hier, dont je
remercie tous ceux qui, en me témoignant leur affection, ont allumé dans mon
âme un feu si grand qu’il pourra me réchauffer pendant les cinq prochains mois
d’hivernage.
Samedi 31 mars –
15h30
L’hélico vient de faire son dernier tour d’honneur au-dessus
de la DZ. A l’intérieur, les derniers campagnards d’été quittent pour de bon la
base de Port Aux Français. Lorsque mon regard rejoint le Marion Dufresne où se
pose déjà l’hélicoptère, je dois avouer que le cœur n’est pas vraiment à la
fête.
Quel incroyable ascenseur émotionnel cette fin de
semaine !
Mercredi soir j’étais la plus heureuse des personnes, et le
surlendemain le ciel a semblé s’écrouler sur moi. Nina est partie hier, à 16h.
Nina l’incroyable, ma coéquipière de rugby, ma copine bretonne, mon attache sur
ce caillou lointain, mon pilier (bien qu’elle soit demi de mêlée dans l’équipe)
sur la base, cette fantastique jeune femme qui donne tant et qui m’a tellement
apportée, avec qui des liens incroyables se sont créés en ces deux trop courts
mois – tout cela c’est Nina – est partie.
Le Marion a vogué de nuit de PAF à PJDA, et Nina devait
monter à bord afin d’effectuer un aller-retour en hélicoptère jusqu’à Val
Travers afin de faire quelques manipulations de logistique. C’est chose faite,
et quelle chance pour elle d’aller là-bas. Val Travers est un endroit très peu
visité sur les Kerguelen, au nord, à l’ouest de Port Couvreux. Probablement
l’un des sites les plus exceptionnels, animé par des sources d’eau chaude et
des fumeroles qui témoignent de l’activité volcanique latente qui a donné
naissance à cet archipel.
Les sources d'eau chaude de Val Travers (photos de Nina envoyées depuis le Marion)
Outre la douleur de se séparer d’une amie, il faut
reconnaître que le fait de se retrouver « seule » (on n’est jamais
vraiment seul ici, c’est la force de cette communauté soudée dans
« l’adversité ») pour l’hivernage tout proche qui m’a terrifié. Et si
je n’étais pas assez forte pour cela ?
Rassurez-vous, ces interrogations ont vite été
balayées : lorsque je repense à tout ce que je viens de vivre, tout ce
qu’il me reste à découvrir et à apprendre, l’enthousiasme avec lequel je
ressens chaque instant passé ici… vraiment ça n’est pas cinq mois d’hiver, de
vent, de froid et de neige qui me feront peur !
Mais il est toujours difficile de dire au revoir, surtout à
une personne aussi exceptionnelle.
L'hélico d'adieu de Nina
Enfin nous voilà tous ces soir sur la DZ, à contempler
l’hélico nous tourner le dos une dernière fois. Après un petit aller-retour à
SAMUKER, je prends la voiture pour rejoindre le port pétrolier. Armée de ma
zézette (pour mémoire c’est une radio portable), campée sous la pluie, je me
branche sur le canal 10, d’où nous pouvons échanger avec nos amis partis sur
le Marion. Les "au revoir" s’éternisent, et l’on masque le chagrin en balançant
sur les ondes chansons et taquineries.
Ma gorge se serre en reconnaissant la voix de Tiphaine (la
madame otarie de Pointe Suzanne) ou de Nico (le Bout de Bois de l’IPEV). Ils
faisaient tous partie de la vie des Kerguelen, du groupe qui s’est créé au fil
de mois ; les voir partir c’est comme perdre une partie de soi.
Enfin, trop vite ou trop tard je l’ignore (en matière
d’adieu, difficile de dire ce qui est le pire, l’attente ou la précipitation),
l’ancre du Marion Dufresne se lève. Notre grand navire bleu fait résonner sa
corne de brume à plusieurs reprises, à laquelle répond Pimpon avec la sirène du
camion pompier dont l’écho va se répercuter longtemps dans le golfe du Morbihan.
Jusqu’à ce que le canal 10 ne passe plus entre le Marion et
la base, nous nous enverrons des petits messages tintés de nostalgie.
Autour de
moi, j’entends des voix, j’observe des visages, et je réalise que c’est là les
seules personnes que je verrai pendant les cinq prochains mois.
Nous sommes
cinquante à débuter l’hivernage sur l’archipel des Kerguelen.
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