Transit Détour
Lundi 23 avril
Voilà voilà, l’escale montagnarde à Sourcils Noirs touche à sa fin. Le chaland passe nous reprendre demain matin au Halage des Naufragés, nous avons toute la journée pour rallier la cabane de Phonolite qui se trouve à une heure du point de récupération. Alors il ne nous faut pas une longue hésitation pour décider de nous offrir une belle randonnée de retour.
Sitôt le ménage de la cabane effectué (il faut partir comme si nous ne revenions jamais, et surtout mettre tous les ingrédients non souris-proof à l’abri – après la vingtaine de rongeur attrapés en quelques jours, cette précaution s’impose plus que jamais), nous quittons pour de bon notre petit chalet niché au creux du canyon. 10h30, nous avons 7h devant nous pour parcourir les 5h qui nous séparent de Phonolite. Afin de varier par rapport au transit aller, nous décidons de monter par la barre rocheuse qui surplombe la cabane, entre les deux rivières. Parvenus à l’endroit où Thibaut et moi avions fait la VAC, quelques jours plus tôt, nous profitons ainsi à la fois d’une vue sur le canyon, sur le plateau mais aussi sur les sommets des falaises de la baie de l’A Pic. Une dernière occasion de saluer et remercier tous ces lieux qui nous ont offert des moments de beauté et de magie inespérés.
De gauche à droite : Denis-Bosco, Thibaut-ResNat, Nath-PopChat et Véro-Bibette
Derrière à droite on peut apercevoir les sommets enneigés des falaises de la Baie de l'A Pic
Puis, cap à l’ouest en longeant le torrent nord de Sourcils Noirs. Pour ce dernier jour, les Hauts de Hurlevents nous ont réservé une surprise de poids, un superbe présent : de la neige. Des tonnes et des tonnes de neige qui se sont accumulées sur le sol, offrant un délicieux tapis crépitant où nous enfonçons nos chaussures avec délice. Quel plaisir de retrouver la sensation des semelles qui traversent le manteau neigeux, comme une caresse que nous offriraient ces amas rocheux d’habitude si rudes. Et avec ce beau soleil, le tableau est parfait, l’azorelle formant des coussins verts surmontés de bonnet blanc, les boules d’acaena transperçant les couches les plus fines comme des perce-neige austraux.
J’avais commencé le transit aller en m’enfonçant dans une souille jusqu’à la racine de la cuisse, et bien je commence ce transit retour en m’enfonçant dans une souille masquée de neige, et jusqu’à la cuisse ! Nath va bien tenter de me tirer de là, mais lorsque ces deux jambes vont s’enfoncer brutalement il va rapidement comprendre qu’il est plus prudent de me laisser sortir de là toute seule ! (enfin plus précisément avec l'aide de Denis qui s'enfonce beaucoup moins)
Après une halte inévitable par une petite bataille de boules de neige qui s’est soldée par un Denis la tête enfoncée dans la neige par Nath, nous traversons le torrent dont la surface est recouverte d’un couvercle bleuté de neige partiellement fondu.
Puis direction la Grenouille.
Empreinte de campagnard d'été Empreinte d'hivernant
Normalement, une fois arrivés au pied de la Grenouille qui surmonte le Hallage, nous aurions dû obliquer au nord pour traverser le hallage et pénétrer dans la vallée de Phonolite au cœur de laquelle se niche la cabane. Mais comme je l’ai dit plus haut, nous avons décidé de nous offrir une belle randonnée ! Alors sitôt la tête de la grenouille atteinte, nous abandonnons nos sacs à dos sous son oreille gauche (je sais, les grenouilles n’ont pas de pavillon auriculaire, c’est une image…) et en gravissons la moitié (de sa tête, pas de l’oreille).
De là, nous avons un point de vue incroyable sur le bras Bolinder, la baie Greenland, et au-delà la presqu’île Ronarch, dont les sommets enneigés sont saupoudrés jusqu’à une limite bien droite, comme tirée à la règle.
Les sommets enneigés de la presqu'île Ronarch,
dominés par le mont Wyville, joyau des géologues
Le temps de faire quelques photos, le vent et la disparition du soleil nous font perdre brutalement quelques degrés. Une fois redescendus de la Grenouille, nous avalons un casse-croûte rapide à l’abri du vent sous son museau, puis tournons le dos au halage des Naufragés pour nous engager à nouveau sur les Hauts de Hurlevents. Direction sud-ouest, pour contourner les arènes, un immense vallon creusé par une cascade qui ressemble réellement à une arène nichée derrière la Grenouille qui semble sur le point d’y sauter (d’ailleurs c’est amusant car le pic rocheux suivant s’appelle le Grand Sault). Cette fois-ci la marche est beaucoup moins agréable, le vent s’est levé et nous gèle sur place à la moindre halte, les doigts se frigorifient et l’amincissement du manteau neigeux laisse la place à cette marche maladroite sur les cailloux instables. Finalement nous atteignons vers 16h l’autre extrémité du plateau. Et je peux vous dire que je serai prête à endurer encore dix fois ce que l’on a traversé, avec s’il le faut encore plus de vent et de froid, pour revoir ce que nous avons découverts là-bas.
Le plateau s’arrête brutalement pour aboutir sur une haute falaise surplomblant une immense vallée. A notre droite, vers le nord, une large plaine d’acaena et de souilles, coupée en deux par une rivière aux multiples bras, encadrée d’une barrière montagneuse enneigée. Au sud, dans son prolongement, une baie où vient se jeter la rivière, au milieu d’une plage de sable noir. C’est la vallée de la Planchette puis le Val du Levant, devant la baie de l’Antarctique. Du haut de notre falaise, la vue est imprenable ; et avec les rafales de vent qui nous bousculent, elle est étourdissante. A quelques mètres sous nos pieds, des cascades de glace étirent leurs parois blanches et bleues. Ca laisse imaginer les conditions météo dantesques qui doivent régner ici, en comparaison de tout ce que nous avons vécu jusqu’à présent (sur la Péninsule Courbet, la météo est réellement douce, la neige ne tient toujours pas sur le sol).
La Vallée de la Planchette
Le Val du Levant se jetant dans la Baie de l'Antarctique
Mais il est tard, nous ne pouvons nous permettre que quelques minutes d’admiration avant de filer à toutes jambes en direction du Halage. Les garçons marchent à grandes enjambées loin devant moi, qui avec mes petites jambes ait l’impression de courir sur place ; cette fois-ci la traversée des plaques de neige complique d’autant plus le trajet, lorsque nous montions, l’on s’enfonçait progressivement dans les congères formées derrière les sursauts rocheux, mais maintenant que nous descendons, on tombe brutalement dans cinquante centimètres de neige sans préavis. Je crois que je ne me suis jamais autant de fois retrouvés à genoux pendant une randonnée, le nez dans la neige !
Nous redescendons à distance de la Grenouille par l’ouest, et atteignons le Hallage des Naufragés au triple galop, sous la pluie. Nous avions laissé une touque de vivres quelques jours plus tôt, à peine le temps de partager la charge et nous repartons vers l’opposé du Halage, direction la presqu’île Ronarch. En quelques minutes, nous passons d’une presqu’île à l’autre. Si une montée des eaux devait survenir dans les siècles à venir, presqu’île Ronarch et Jeanne d’Arc deviendraient à coup sûr des îles, tant ces deux Halages, celui des Naufragés et celui des Swains, sont plats et étroits.
Nouvelle ascension au quart de tour, un peu à droite de la tête d’homme. Parvenus au sommet, nous faisons une VAC avec Gégé (on ne capte pas à la cabane) puis redesendons en direction de la grande vallée de Phonolite qui disparaît déjà dans la pénombre de fin de journée.
La Vallée de Phonolite, et dans le prolongement la baie Greenland
Ce sont de terribles rafales à 60 nœuds qui nous accueillent sur l’autre versant, et lorsque nous atteignons enfin la petite cabane de Phonolite, chacun de nous est heureux de poser son sac, défaire ses chaussures, retirer ses vêtements trempés.
La cabane de Phonolite
(construite dans les années 80 pour l'étude géologique des sommets entourant la vallée de Phonolite - nom d'une roche volcanique qui, là où le basalte est noire, est quant à elle claire)
Hooo le gourmand... Nutella sur riz au lait lyophylisé
Une belle soirée dans une superbe petite cabane en bois nous attend ; demain matin Gwen et l’Aventure II viennent nous récupérer. C’est la fin d’une belle aventure, en bien belle compagnie, dans un bien bel endroit.
Dernière soirée à la bougie