Profession manipeuse à Port Couvreux - deuxième partie













J4, Samedi 21 janvier – 14h20, cabane de Port Couvreux

Deuxième jour complet à Port Couvreux (plus communément appelé POC). Le soleil joue encore les timides, tandis que le vent fait hurler les montants de cette cabane mal isolée. Sous cette météo, il nous semble effleurer pour de bon ce que devait être la vie de ces anciens colons exilés (presque) volontaires ici : sans eau courante, sans électricité pour s’éclairer, sans gaz pour se réchauffer (il y a bien un radiant, mais pour le moment nous préférons économiser les rares bouteilles de gaz en prévision de l’hiver que Nath devra passer ici). La température dans la cabane tourne autour des 6°, et nous passons la majeure partie du temps dans le sac de couchage, dont il est bien difficile de s’extraire au petit matin (4h30) pour accompagner Nath dans son transect (3,3km en ligne presque droite dans la vallée voisine où il faut compter le nombre de chats observés – malheureusement zéro jusqu’à présent, au grand désespoir de PopChat 62, en grande partie en raison des conditions météos exécrables). 


Quelques fragments des anciennes limites des pâturages de moutons

 Preuve de la souveraineté nationale

En parlant de lever difficile, hier nous avons eu droit à un réveil en grande pompe à 5h30 par nos amis de la Curieuse. Pour rappel, la Curieuse est un ancien navire de pêche désormais utilisé par les TAAF pour rallier les points les plus éloignés des Kerguelen, afin de réaliser une partie des programmes scientifiques de l’IPEV (en effet le chaland ne peut pas naviguer en dehors du golfe du Morbihan).  Celle-ci a fait escale à POC afin de déposer du matériel pour Nath, amener les PopTruites qui ont fait quelques prélèvements rapides dans les rivières alentours, et récupérer Michaël et Christian qui repartent sur PAF, qu’ils ont déposé à Gazelle, leur évitant de faire la journée de transit autour du havre du Beau Temps. Florian est reparti avec eux, n’ayant fait l’aller-retour que pour permettre d’être trois en transit (nombre minimum obligatoire pour des raisons de sécurité). Pendant trois heures, POC est devenu une véritable fourmilière : tandis que Nicolas Bout de Bois installait de nouvelles étagères pour nous permettre de ranger le matériel, Nina et Romuald (log IPEV) nous livraient du frais, effectuaient de menus travaux, rechargeaient les batteries de nos indispensables zézéttes (radios). Malheureusement,  le groupe électrogène ne restera pas avec nous – dommage pour mes batteries d’appareil photo, ceux-ci vont devoir apprendre à rester sagement rangés. 8h30, le zodiac repart avec tout ce petit monde, et le calme retombe sur la baie. Nous voilà désormais seuls tous les trois, Nath, Lahcen et moi. Nous trois et les gorfous sauteurs qui occupent la falaise à droite de l’anse, nichés entre les rochers d’où ils piaillent à longueur de journée – voilà donc un calme tout relatif. 


 La log-IEV à l'oeuvre - Nicolas Bout de Bois et Nina


Pour finir la matinée, en bravant le vent et la pluie, Nath et moi réalisons un line (autre nom du transect, qui a donné naissance au néologisme « liner ») aller simple, et au retour nous contrôlons les treize pièges installés lors de son arrivée ici une semaine plus tôt. Choux blanc pour l’observation, choux blanc pour la capture. En revanche côté BLO (Bêtes à Longues Oreilles – terme utilisé en marine car le celui de « lapin » est proscrit à bord, il porte malheur), nous sommes servis : toujours une dizaine où que nous posions le regard, beiges, marrons, noirs voire parfois noirs et blancs (qu’il est alors très difficile à distinguer d’un chat lorsqu’ils sont immobiles, à 600m de distance). Nous croisons également un couple de canards d’Eaton (espèce endémique). Apparemment intrigués par ces deux marcheurs sous la pluie, les deux cannes vont nous suivre sur quelques dizaines de mètres, à palmes, avant finalement de s’envoler vers l’ouest. C’est vers là que nos pas nous mènent, vers la baie opposée à POC : la baie Irlandaise. Depuis l’autre extrémité de la vallée, où se termine le line, nous la dominons dans son ensemble. La première partie de l’eau est d’un bleu turquoise, s’assombrissant peu à peu jusqu’à un marine presque noir. Puis, la mer s’éclaircit brusquement en un blanc lumineux sous des lointains rayons de soleil. De cet océan de lumière émerge un chapelet d’îles aux silhouettes éfilées. A gauche de cette baie se trouve les langues nord de la calotte Cook. Mais elle restera cachée ce jour-là, enfermée dans son manteau de nuages. Belle ballade et beau point de vue pour la manipeuse, mais l’absence de chat mine le moral du PopChat.

 Nath-PopChat dans sa grotte, dominant la vallée du Line

J5, Dimanche 22 janvier 2012 – 11H30, POC

Quelle matinée ! 

Lever difficile à 5h (le réveil de Nath a bien tenté de nous tirer du duvet à 4h, mais en vain) qui conclue une courte nuit sans aurore (il avait été annoncé à la VAC  66% de chance d’en apercevoir d’après notre référent en aurore austral, j’ai nommé Guillaume VAT MagnétoSismo). Enfin, le vent semble avoir pris un peu de repos, et c’est une mer d’huile qui nous accueille au sortir de la cabane. Harnachée de la claie de portage et de mon indispensable appareil photo, auquel PopChat ajoute une paire de jumelles, j’emboîte le pas à Nath en direction des pièges les plus proches. 

 
Hier, il a réussi à chasser 5 lapins, il est temps de réamorcer une bonne partie des 13 pièges qu’il a disposé dans la vallée que sillonne son line. Une fois ce travail accompli, direction le rocher qui marque le début du line. Au programme, marche en ligne droite pour suivre les 53 petits poteaux rouges plantés à 50m de distance par les précédents PopChat (la première installation du line date de 98 ou 99 je crois). Enfin un line aller sans vent ni pluie ; pas de soleil non plus, mais rien ne peut venir gâcher le plaisir de goûter enfin à un peu de silence (le sifflement du vent rend fou paraît-il, et je n’ai pas de mal à le croire). 

 Nath et sa grenouille électronique (mini-station météo)

Après les traditionnels relevés météo (température à hauteur d’homme et à 10cm du sol, taux d’humidité, couverture nuageuse, vitesse et orientation du vent), nous entamons le line à 6h25 ; nous parvenons à l’autre extrémité de la vallée à 8h45. 2h20 pour faire moins de 3km, c’est loin d’être un record de vitesse, mais entre les derniers pièges à réamorcer (retirer l’ancien lapin, fixer le nouveau, armer les trappes, masquer la cage avec des pierres plates) et les arrêts fréquents pour sonder le paysage à la recherche d’un matou ; il y a de quoi ralentir ! Et notre patience est enfin récompensée, deux chats d’observés pour ce premier aller (ouf ! PopChat commençait à désespérer), un noir (en langage génétique, Epsilon) avec collier rouge (donc capturé récemment) et un second sans collier. 

 Coucou, premier chat rencontré !! 
(en se concentrant bien on peut voir son collier rouge)

Mais l’apothèose de ce début de journée, ce fut peu avant notre arrivée à l’autre extrémité du line. En basculant de l’autre côté du col, Nathanaël remarque des rochers qui n’étaient pas là auparavant. Après un regard plus attentif, nous réalisons soudain qu’un troupeau de rennes se trouve à 240m de nous (je peux me permettre une telle précision car PopChat utilise un télémètre pour ses observations félines). N’ayant pas encore remarqué notre présence, nous avons tout le loisir de les observer brouter, se gratter les immenses bois dans l’acaena – joli troupeau de 23 individus, dont 7 juvéniles. Finalement, un grand mâle semble prendre conscience de nos deux petites tâches colorées au moment où Nath se dirige vers un piège dont les trappes avaient été refermées (par le vent malheureusement, et non un chat). Ce-dernier d’ailleurs m’empêche de l’entendre, mais je vois ce grand mâle se mettre à brâmer et tout le troupeau part au galop, avant de basculer au sommet d’une crête rocheuse pour redescendre dan la vallée voisine, probablement plus calme. Quelques minutes de magie que nous offre ainsi Port Couvreux, décidément de plus en plus généreux. 

 Les Rennes des Kerguelen, une autre espèce 
(comme les chats et les lapins) 
introduite par l'homme en 1955

Quelques centaines de mètres en plus à parcourir dans une herbe irrégulière et épuisante pour les mollets (elle m’arrive jusqu’à hauteur des genoux), et nous voilà enfin parvenus à la fin du line, d’où nous profitons de cette vue imprenable sur la baie Irlandaise. Et la magie continue, ce matin-là nous pouvons admirer les deux langues glacières coulant de la calotte Cook avant de venir s’échouer dans une eau grise de nuages. Pour attendre les trente minutes indispensables entre deux line afin de ne pas faire se chevaucher deux observations, nous nous calons tant bien que mal dans une anfractuosité, à l’abris d’un petit vent d’est qui s’est levé entre temps. Bonnet et capuche sur la tête, les mains gantées, glissées dans les poches ventrales, c’est l’occasion de profiter du vol majestueux d’un couple d’albatros fuligineux (de loin les plus esthétiques de tous les albatros). 

La baie Irlandaise, sur cette photo la calotte Cook est cachée dans les nuages, derrière la tâche de lumière à gauche

 
Nath, où l'art de se protéger du froid en attendant de repartir

9h15, nous voilà repartis pour un line retour, l’occasion d’observer un troisième chat noir, cette fois-ci sur le versant sud de la vallée, prospectant les terriers de lapin au pied d’une barre rocheuse. Lorsque l’animal nous remarque à son tour, il s’installe dans l’acaena au-dessus d’un terrier et nous fixe de ses deux yeux jaunes, qui, bien qu’à 250m de nous, ressortent étonnamment sur son pelage noir, sans collier lui non-plus.  3 chats en un line aller-retour, un record pour PopChat 62 ! Il ne manque plus que les chats se laissent un peu piéger, et ça sera parfait… Effectivement, aucun chat dans les pièges, mais combien de belles images emmagasinées dans la tête !!
A l’heure où j’écris, il est 11h passé, et nous voilà de retour dans la cabane, juste à temps pour attaquer la préparation du déjeuner.


19h05 – Cabane de Port Couvreux

La pluie est revenue depuis que nous sommes rentrés du line de 11h ce matin. Avec le vent qui est bien retombé, de lourds nuages gris se sont installés au-dessus de nos têtes et ne semblent pas décidés à déménager. Peu de chance que l’on voit des aurores cette nuit non-plus.


  Nos voisins les gorfous sauteurs

[A mon retour à PAF avant-hier, j’apprendrai que cette nuit-là justement, les habitants de PAF assistèrent un spectacle fantastique d’aurores australes de minuit à 3h du matin]

Après le déjeuner mémorable (tartiflette !), nous nous sommes offerts une énorme sieste. Nath est reparti pour faire un dernier line au crépuscule, et en attendant je fais du pain frais – mon premier pain de cabane (et même premier pain tout court) ! Espérons qu’il ne sera pas trop raté.

[Note pour la prochaine fois : ne pas oublier de mettre du sel dans la pate à pain, c’est meilleur après]

Dans chaque cabane sur Kerguelen, il existe un « Cahier de Cabane ». Les générations successives d’hivernants y notent leur quotidien, leurs émotions, leurs élucubrations. Dans celui de POC, mis en place depuis 1998, je recroise avec plaisir le chemin de Jean-Luc, le BibKer de la 48ème. En plus de splendides dessins (qui nous permettent, entre autres, de voir à quoi ressemblait la cabane originale de POC avant d’être recouverte de tôle sous prétexte de préserver le patrimoine), ce médecin aux talents de conteurs inégalés nous livre ici une histoire passionnante de Sébastopol van Schalptzif (ou quelque chose d’approchant). Né de l’imaginaire du Bib, cet être de génie était un inventeur exubérant, naufragé volontaire en solitaire sur l’archipel fin 1800, où il aurait inventé des machines les plus délirantes les unes que les autres (tel que le Percolateur à Particules, l’Inséminateur artificiel à vapeur, ou l’Aspirateur à confiture de tartines). La plus grande de toutes ses inventions serait l’œuf cubique, nom qu’il a donné à cette immense cuve que l’on trouve sur la plage de POC, datant de la même époque que tous ces tonneaux rouillés que l’on retrouve à PJDA (qui servait au stockage de la graisse de baleine ou d’éléphant de mer). 


Tout deux avons partagé une agréable sieste dans l'herbe haute, 
à l'intérieur de la chaloupe qui tombe en ruines

 Sans entrée, sans vanne, sans tuyau, impossible de savoir à quoi cela servait. Mais Jean-Luc a sa petite idée, l’œuf cubique serait en fait une machine à voyager dans le temps, alimentée par l’orichalque, un cristal précieux que l’on ne trouve qu’à Kerguelen. Je dis « recroiser Jean-Luc », car à PJDA j’avais déjà eu la chance d’admirer ses dessins et de découvrir l’autre partie de son roman passionnant, dont le récit de POC, PJDA et Cotter je crois se complètent. 

 La cabane de POC avant qu'elle ne soit recouverte de tôle
Dessin fait par le BibKer de la 48ème

Dans le cahier de cabane, on croise également quelques noms connus des TAAF, tels qu’Yves Frenot, l’actuel directeur de l’IPEV, à l’époque où il venait prospecter le sol des Kerguelen (campagne BioSol), Caroline, actuelle RenKer et ancienne et première PopChatte, ou encore Isabelle Autissier ! Cette dernière se prête d’ailleurs – avec talent et beaucoup d’humour – au jeu de la fameuse quête de l’œuf cubique. 
De quoi remplir de belles histoires nos soirées lecture à la lumière de la bougie.


Profession manipeuse à Port Couvreux - première partie


De retour sur les ondes de l’internet bas débit depuis deux jours, voilà en exclusivité le récit d’une manipeuse PopChat à Port Couvreux. 
Après ces dix jours d’absence, je vous livre ici le copier-coller exact (à quelques fautes d’orthographe près) des notes prises durant cet incroyable séjour au nord de la Grande Terre.
Etant donné que je me suis légèrement laissée emporter par ma plume aux tendances lyrico-bavardes, j'ai décidé de fractionner le récit en plusieurs parties - le texte en entier risquerait d'essouffler les plus assidus lecteurs bien avant la fin.
Bonne lecture !

J3, Vendredi 20 janvier 2012 – 20h, Cabane de Port Couvreux

Comme si le temps s’était arrêté depuis mon départ de Brest, je persiste à vouloir écrire novembre dans la date. Comme si ce lieu était hors du temps, et même, parfois, hors de l’espace. La course du reste du monde s’est suspendue lorsque les amarres du Marion ont été largués au Port à la Réunion,  ou bien continue sa ronde, aveugle et ignorante de cette île naufragée entre les 40e et 50e parallèles. Pas de radio, pas d’actualité, pas de télévision. Juste le soleil, le vent, la pluie, la grêle, et le soleil, de nouveau.

Me voilà arrivée à Port Couvreux,  où le temps et la vie se sont bel et bien arrêtés en 1931, au départ des derniers colons envoyés par René Bossière dans une ultime  tentative de faire fortune sur ces îles stériles et coupées du monde. Il me paraît encore surprenant de voir combien ces tonnes de roches, de mousse et d’acena fouettés par le vent et la pluie ont pu alimenter les rêves de gloire et de fortune des frères Bossière pendant toutes ces années. Jusqu’à ce que le scorbut, le béri-béri et le désespoir rattrapent ceux qui avaient été sacrifiés sur l’autel de leurs ambitions. Ici, trois familles du Havre ont vécu de 1927 à 1931 : le couple Le Galloudec et leur fille Georgette, le couple Petit et enfin le couple Ménager et leur fille Léone. Pendant ces quelques années, après deux tentatives infructueuses (la presqu’île du Bouquet de Grye où est situé Port Couvreux étant alors ravagée par le lapin introduit deux cents ans plus tôt), ceux-ci réalisèrent une ultime tentative de développer l’élevage de moutons importés des îles Falklands. Après la mort brutale de Georges Le Galloudec, et tandis qu’au même moment à 1500km de là sur l’île St Paul des bretons et malgaches « oubliés » là pour faire tourner une usine de langouste étaient en train de mourir les uns après les autres du scorbut, René Bossière fut finalement contraint de rapatrier tout le monde à la Réunion dans un ultime aller sans retour. Cela sonnait la fin de la longue époque de conquête commerciale dans les TAAF. 18 ans plus tard, en 1949, la première base scientifique fut installée à Amsterdam, une nouvelle page de l’histoire des TAAF venait de s’ouvrir.


C’est grâce à la 62ème mission à Kerguelen (la première mission scientifique à PAF datant de 1950) que je me retrouve ce soir à écrire ces lignes dans ce site historique fort en symboles de Port Couvreux. Nous sommes arrivés hier en fin d’après-midi après deux journées de marche depuis l’anse de St Malo. 


Mercredi matin le 18, le chaland l’Aventure II nous a arraché avec délice de PAF – c’est si bon de s’aérer loin de la base ! Après deux heures d’une traversée gentiment agitée (je me suis retrouvée trempée jusqu’aux os dès la première tentative de photographie sur le pont), le chaland s’est glissé dans l’anse St Malo au fond de laquelle niche la cabane TAAF de Port Raymond. A peine avons-nous le temps de visiter la coquette maison de bois que nous abandonnons-là Abdou (chef infra) venu visiter les lieux en vue d’éventuels travaux, ainsi que les deux artistes arrivés sur base à OP4 (pour plus de détails, cf les Ateliers des Ailleurs, http://www.taaf.fr/spip/spip.php?article611). 




Juste le temps de prendre quelques vivres (nous avons oublié le casse-croûte sur le chaland) et nous attaquons la première ascension de col. Ça monte raide, il faut que les cuisses se chauffent, et que le dos se fasse au sac à dos bien chargé. Après avoir slalomé entre les pierriers traîtres et les cadavres de Rennes, nous atteignons enfin le sommet. De là, une vue magnifique sur l’anse St Malo, encadrée de hautes barres rocheuses se prolongeant en plateaux parsemés de lacs (que l’on dit particulièrement poissonneux). Le chaland disparaît au même moment à son embouchure, et son ronronnement rassurant nous accompagnera sur la crête jusqu’à ce que nous basculions de l’autre côté du col. Après la traversée d’un plateau où il serait bien difficile de jouer au jeu des sept différences avec une photo de  la surface lunaire, un petit lac nous accueille à l’autre extrémité. Son eau d’un bleu laiteux nous aurait bien invités à faire trempette, s’il n’y avait eu ces 40 nœuds de vent glacé qui nous fouettent le visage. Sur la roche volcanique, le marcheur se fait équilibriste, et la housse protectrice de son sac à dos, parachute. De l’autre côté du lac, c’est un tout  nouveau paysage qui nous attend. Finies les grandes étendues planes de la péninsule Courbet. Nous pénétrons sur le Plateau Central de la Grande Terre, avec ses centaines de montagnes, ses interminables barres rocheuses, ses longues vallées encaissées, le tout encadrant un labyrinthe de rivières et de lacs. Un paradis minéral, et un enfer de souilles par milliers, où le pied se noie jusqu’au genou sans crier gare. En tout, nous mettrons cinq heures et demi pour rallier notre première étape,  Gazelle, par une marche relativement facile (si l’on fait abstraction de quelques détours en arrivant au sommet d’un barre infranchissable) sous un ciel qui ne sait plus vraiment s’il doit rire ou pleurer. Mais le vent, lui, sait souffler, souffler, souffler… 


L'anse de St Malo, juste avant de passer le premier col (Florian et Lahcen)



Bon...


 ... et maintenant...


 ... on va où ??


 Le mont du camp de César (417m), et sa plage privée



Gazelle, c’est un petit module IPEV en bois, à peine plus grande qu’un télécabine. Cube rouge (merci Nina pour le coup de peinture le 31 janvier 2010) d’un mètre cinquante sur deux, posé dans un champ vert d’acena parsemé de cadavres de Rennes, au bord d’une plage de sable noir où les goélands côtoient quelques royaux solitaires. Isolés de la manchotière pour je ne sais quelle raison, ceux-ci attendent le moment où il sera temps de quitter ces terres pour l’hiver, durant lequel ils passeront tout leur temps entre le sud de l’océan indien et le nord de l’océan glacial antarctique, à nager et pêcher.   


 

 En attendant la météo, à la VAC de 17h30

Pendant que nous montons la tente, le Havre du Beau Temps nous fait son plus beau sourire dans la lumière du soir, et l’on fixe en vain un point de l’autre côté du bras de mer, derrière lequel se cache Port Couvreux, dissimulé au-delà de trois pointes rocheuses. Le temps d’avaler un solide repas et nous nous précipitons dans nos duvets, où nous passerons tous une rude nuit : Florian et Lahcen sous la tente, ballotés par les rafales de vent et de pluie, et moi-même ne parvenant pas à trouver le sommeil dans la télécabine dont le sol glacé est trop dur pour ces muscles endoloris par cette première journée de marche. Lever à 6h30, sous la pluie et un ciel plombé. Petit-déjeuner, ménage, et nous abandonnons bien vite Gazelle pour faire route plein ouest. Après avoir traversé deux petits canyons en jouant à saute-moutons avec les rivières qui les ont creusés, nous débouchons sur le bord de mer. Et c’est parti pour trois heures de marche à flanc de falaise, une barre rocheuse à pic nous surplombant à main gauche tandis que les eaux agitées du havre du Beau Temps nous font de l’œil à droite, cinquante mètres plus bas. Dans ces conditions là, la moindre rafale de vent peut se révéler fatale, et les goélands et skuas s’amusent de nos démarches maladroites , tandis qu’eux-mêmes, bec au vent, font du surplace au-dessus des laminaires, porté par le vent violant qui s’engouffre dans l’entonnoir formé par le hallage à l’extrémité ouest du Havre, notre objectif de la mi-journée. Heureusement, le soleil nous rejoint au passage d’une première cascade, juste à temps pour nous réchauffer. 


Petit brossage de dents à l'eau vive



Faites-moi confiance, c'est par là !

- Tu vois le rocher, là, ben on passe juste à gauche entre l'acena et la plaque de boue
- Ah oui... oui oui je vois tout à fait... ?





 
















  

Traversée dans l'acena (le petit point noir devant le rocher je crois bien que c'est moi)

 Puis à flanc de falaise... me voilà dahu !


Nous atteignons finalement le hallage à 11h ; la marée basse étant prévue à 14h30, nous sommes contraints de remonter loin sur la langue de sable avant de trouver un passage assez peu profond pour traverser une bande de mer à la traîne, gonflée par les eaux d’une majestueuse cascade qui occupe le fond du hallage. L’occasion pendant cette petite marche de se transformer en apprenti géologue, chassant du regard les cristaux et différents types de roche charriés depuis la cascade, engendrées par des forces telluriques inimaginables il y a des milliers d’années. 



 Voilà de jolies distractions pour jouer aux apprentis géologues tout en marchant


Sur le hallage du havre du Beau Temps


 La deuxième partie de la journée se fera sous le vent et les averses successives, tandis que nous attaquons la partie la plus ardue faite d’ascension de hautes barres rocheuses alternant avec les traversées de longs plateaux ensouillés. Et gare à celui qui perd le point de repère, sous peine de devoir faire demi-tour pour retrouver son chemin parmi ce chaos de roche. 


Le havre du Beau Temps vu depuis son extrémité ouest, après le Hallage
Premier lac d'altitude
Sommet de roches lissées par la dernière ère glacière

 Un autre des innombrables lacs, séparé de l'océan indien par une fine langue de terre

 Le Panoramique n'est pas très réussi, mais ça donne une bonne idée de la vue !

16h, Port Couvreux surgit enfin entre deux falaises creusées par la rivière que nous suivions depuis l’immense lac de la presqu’île du Bouquet de Grye. 


 Le canyon s'ouvre soudain et Port Couvreux surgit enfin, après 8h de marche !

Apparaissent d’abord quelques dizaines de tonneaux rouillés, familiers depuis mon passage à PJDA, une presse à manchots (si si …), une chaloupe partiellement détruite. Puis, parvenus au sommet d’une petite butte où trône une croix de bois, nous apercevons enfin la cabane. Plus en retrait par rapport au bord de mer, l’ancienne habitation des éleveurs de Port Couvreux a été recouverte de tôle afin de protéger les bâtiments des intempéries. En son centre, sur l’ancienne terrasse, une petite cabane de quinze mètres carrés a été bâtie, et constitue le refuge des scientifiques et manipeurs de Port Couvreux. Nous y retrouvons avec plaisir Nathanaël, le PopChat (utilisateur quasi exclusif de cette cabane) et ses deux manipeurs dont Lahcen et moi sommes la relève : Michaël (technicien frigorifique) et Christian (mécano centrale). Une bonne odeur de pain sortant tout juste du four nous accueille, le tout offert par d’immenses sourires. Qu’il est bon, après un si long transit, de pouvoir enfin poser son sac à dos dans un tel endroit !

 
Devant la cabane de Port Couvreux (Lahcen - Géophy, Nathanaël - PopChat, Véro - Bibette)