Clin d'oeil du bout du monde







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31 mai 2012 - depuis cinq mois et demi sur Ker

Lorsque l’on est loin de ses amis, loin de sa famille, tous les évènements de la vie courante prennent une valeur encore plus grande. On vit ici dans notre petite bulle, les journées passent sans que l’on ne s’en rende compte, et puis un jour, une nouvelle de métropole nous raccroche soudain à la réalité. 

« Ah oui, c’est vrai, en partant de chez moi, la vie là-bas ne s’est pas pour autant arrêtée. Ceux que je croisais au travail, dans les loisirs, mes amis, ma famille, leur vie continue aussi. » 

Et chaque nouvel évènement nous rappelle ce que l’on « rate », ce dont on s’est coupé en décidant de venir ici. Les anniversaires, les mariages, les naissances, les changements de travail, ou tout simplement  le fait de prendre le temps d’être juste ensemble. Les nièces et neveux grandissent, les habitudes changent, de nouvelles familles se forment, les gens se déplacent, et même les gouvernements se succèdent. Et l’on réalise alors que, loin d’être acteurs du monde, nous n’en sommes que des témoins, mais sourds et aveugles car presque coupés du reste du monde : on a soudain le sentiment d’être restés à l’arrêt sur notre île, quand la Terre a décidé de continuer de tourner sans nous. Et il serait bien égoïste de penser qu’il devrait en être autrement !

Tout à une fin, et un jour, dans quelques mois, il faudra reprendre le train en route, en tentant de ne pas rater la marche, et surtout de combler les trous laissés par une année passée loin de tout. En attendant, profitons de l’innocence que nous procure notre isolement protecteur – mais sans pour autant oublier les autres, ceux qui nous soutiennent, et grâce à qui, en quelque sorte, on a la chance d’être là. 
Et c’est pourquoi j’en arrive à l’objet de ce message :



 La personne à qui s’adresse ces photos se reconnaîtra sans doute – et j’en profite pour lui envoyer une tempête de bisous (et vu celle qui souffle dehors, câlins et baisers risquent de lui arriver bien vite !)



 Le ridicule n'a jamais tué... mais il arrive que ça mouille les pieds

Baie de l'Observatoire - Dernière partie


Jeux d'ombre et de lumière

Vendredi 18 mai – de lacs en lacs

Dernière journée dans la baie de l’Observatoire – nouvelle occasion de profiter des hauteurs orientales du plateau central sous un soleil timide. 

 Toilettes 3 étoiles de la cabane Korrigans

Nous prenons une dernière fois la direction de l’ouest pour remonter la rivière Korrigan. 

Cette fois-ci nous suivons la berge nord du lac à malices, avec comme point de mire le sommet du jour – en fait de sommet, je parlerai plutôt d’une petite éminence rocheuse à tête plate comme il y en a tant ici et qui confère aux environs des faux airs de décor de Western. 



  Objectif du jour : le sommet à droite de la photo

Le sommet sans nom guide nos pas et nous  abandonnons bientôt le lac Korrigan afin de remonter le cours d’une rivière servant de déversoir entre un lac supérieur et celui-ci. Nous la traversons à l’endroit le plus large et le moins profond (ce qui n’empêche pas à mes chaussettes de s’offrir une petite thalasso) puis entamons l’ascension de ce pic. 



Nous nous offrons un tour complet de sa circonférence avant de finalement trouver un chemin praticable jusqu’au sommet. Au passage, cela nous donne l’occasion de croiser quelques trésors : une vue imprenable sur l’ensemble du lac Korrigan, où nous repérons le trajet effectué la veille, une veine de géodes de quartzite, un passage à moitié couvert de roche rouge creusée dans la paroi de pierre noire plus dure, où ruisselle un filet d’eau sur des mousses devenues demoiselles parées de gouttes d’eau telles des diamants éphémères, des choux de Kerguelen frayant leur chemin dans les fissures de roche dure… Autant de raisons de s’émerveiller, encore et toujours.





Géodes de Quartzite et acaena perchée



 Mousse et choux de Kerguelen sur roche


Finalement, sous un ciel gris tâché de hublots bleus, nous atteignons le plateau culminant à seulement deux cents mètres d’altitude mais qui malgré tout nous offre une vue panoramique fantastique : au sud-est la presqu’île Ronarch dont les sommets ont perdu un peu de leur superbe robe blanche, et ne sont plus que saupoudrés d’une fine pellicule de sucre glace ; au sud la presqu’île Jeanne d’Arc ; au sud-ouest le mont Ross dont les hauteurs enneigées sont dissimulées derrière un rideau nuageux ; à l’ouest le plateau central et son interminable enchaînement de pics et de vallées humides. 



 Le Papounet au sommet

Au nord-est l’on peut voir la Péninsule Courbet, dont les boules du CNES nous sont pour une fois invisibles. Port Aux Français se dissimule à nos yeux, et c’est tant mieux comme ça – quelle sensation grisante que de s’imaginer que, quel que soit l'endroit où porte notre regard, nous sommes les seuls êtres humains ; les seuls chanceux à pouvoir profiter de ces lieux. 


On se sent presque l’âme des grands découvreurs des siècles passés – quelle devait être leur émotion en posant pour la première fois les yeux sur de nouvelles terres inhabitées ?


En contrebas, à peut-être une heure de marche, on aperçoit sans mal la cabane TAAF de Laboureur, reconnaissable à son ponton – c’est l’un des deux sites d’acceuil des touristes durant les OP, le second étant la cabane Manchot à Ratmanoff. 
J’irai bientôt là-bas pour une campagne de chasse aux Rennes – mais ça c’est une autre histoire, pour un autre message. Après quelques vidéos panoramiques et une photo souvenir, les rafales de vent froid nous bousculent jusqu’au pied du pic rocheux que nous abandonnons au nord afin de traverser la vallée en contrebas en direction d’une cascade repérée la veille. 

 
Elle n’est pas aussi impressionnante qu’on se l’imaginait, mais ce détour va nous donner l’occasion de se lancer dans une nouvelle chasse au trésor : nous trouvons en effet des traces tout fraîches du passage d’un groupe de rennes, fécès puis un peu plus loin empreintes suivant le même trajet que celui que nous avions prévu d'emprunter. Elles remontent vers le lac Mercure, que nous longeons sur quelques centaines de mètres avant de redescendre par sa cascade déversoir vers le lac Korrigan. 






























 Les empreintes de rennes n’ont pas plus de quelques heures, ils nous ont probablement croisés par le haut lorsque nous remontions en contrebas en direction du pic rocheux. Nos yeux fouillent fébrilement les alentours, mais ils sont bien loin désormais ; croiser ces animaux magnifiques dont le pelage doit prendre les colorations et l’épaisseur hivernales sera pour un autre jour. 

 Un géant aurait-il égaré ses billes rouges ?

En quittant le lac Korrigan, Lahcen se tente à quelques lancers dans ses eaux réputées poissonneuse. Il ne tardera pas à nous le prouver, en ramenant un bel omble après seulement dix minutes de pêche. 

 LaLa pêche le dîner

En parvenant à la naissance de la rivière Korrigan, je me retourne et jette un dernier regard en arrière. 

 Col d'où s'échappe la rivière Korrigan depuis le lac

 Pics et barres rocheuses commencent à étirer leurs ombres sur les eaux cristaillines du lac ; à l’ouest le soleil sombre déjà derrière les montagnes. Mes amis Korrigans, loin de nous jouer des mauvais tours, nous aurons comblés pendant ces quelques jours de villégiature.


 Un retour en chaland qui conclue cette manip' comme elle a commencé : 
par un arc-en-ciel devant le Pouce - la boucle est bouclée





Baie de l'Observatoire - Deuxième partie



Jeudi 17 mai – Demi-tour du lac à malices

La tempête de la veille a bien nettoyé le ciel, et lorsque je sors un œil de sous le duvet au matin, un beau coin de ciel bleu brille derrière la fenêtre. Quel plaisir de s’éveiller sans réveil, après une bonne nuit ininterrompue (pas de vent, pas de ronflement – parfait !). Après un solide petit-déjeuner, nous quittons la cabane en direction du Lac Korrigans.


 
Pour les bretonophobes ou les bretonincultes, les Korrigans sont des lutins (et non pas des nains) farceurs et malicieux (et non pas maléfiques) habitant les étendues de landes en Bretagne (surtout autour du Château de Dinan, sur la presqu’île de Crozon, où ils ont sauvé les habitants de la menace des géants). Farceurs, ils passent leurs nuits à danser et jouer des mauvais tours aux marcheurs noctambules (souvent alcoolisés, ce qui explique l’inexactitude de leurs récits), mais aussi parfois en les récompensant s’ils ont su se montrer talentueux (surtout à la musique, dont ils raffolent). Bref, je trouve plutôt amusant de retrouver ce petit bout de tradition bien de chez moi ici, à 13 000km, au fin fond d’un fjord des Kerguelen. Surtout quand l’on sait que cette année c’est un corse qui habite ici une fois par mois ! :-)


Mais revenons à nos pas, ou plutôt à nos bottes, qui nous conduisent vers la rivière Korrigan que nous traversons juste avant l’embouchure afin d’obliquer vers le sud pour monter sur un plateau humide où les seules traces de vie que nous croisons sont un groupe de canards d’Eaton s’envolant à notre approche. 

 Traversée de la rivière Korrigan au petit matin 
avant de monter le col visible à l'angle gauche de la photo


Pas un souffle de vent, quelques gouttes de pluie éparses, un chaud soleil qu’il est agréable de retrouver, les conditions sont idéales. Si bien qu’il faut vite se découvrir, excellent prétexte pour profiter de la vue que nous offre le passage d’une première barre rocheuse. Derrière nous, la plaine humide étire ses étangs et bras de cours d’eau scintillant au soleil, tandis que devant nous apparaissent les premiers recoins bleu clair du lac Korrigans. 



A l’inverse du Lac Eaton qui était quasi circulaire comme comblant le fond d’un ancien cratère, celui-ci est complexe, ses multiples bras serpentant entre ilots et pieds des pics rocheux, dont il semble vouloir chatouiller les orteils.  Si bien qu’il est difficile de dire où il commence et encore moins où il finira. 



En tout nous passerons quatre heures à arpenter son rivage sud, profitant des sursauts du relief pour explorer quelques grottes de roche rouge plus friable creusée par les infiltrations d’eau, ou bien ce petit sommet fait de cette même roche rouge dont l’écoulement a creusé d’étranges champignons surmontés d’un chapeau de roche plus dure. 


 Séance de cache-cache entre les blocs rouges


Nous ne marchons pas vite, profitant du paysage et de la possibilité de faire des photos à l’envie, si bien qu’au moment de faire demi-tour, nous n’aurons parcouru que le premier tiers du lac. 



 Ecume d'eau douce

Nous revenons sur nos pas en longeant les barres rocheuses au plus près afin de profiter de la vue depuis les hauteurs, puis rejoignons le rivage du lac afin d’atteindre son embouchure est. 





Une sortie en manip’ n’en étant décidément pas réellement une si Bibette ne se retrouve pas ensouillée ; ainsi, parvenus à quelques mètres du bord je me sens subitement aspirée par le sol. Eclats de rire de mes collègues qui sortent aussitôt leurs appareils photos pendant que je tente de m’extirper de la souille qui m’a avalée jusqu’au haut de la cuisse. Encore une bonne occasion de se faire remarquer, jusqu’à ce que LaLa vienne « héroïquement » me sortir de là, non sans être plié en quatre. 





 Bibette - ou l'art de s'embourber jusqu'à la taille....

 





La jambe gauche toujours dégoulinante de boue, nous atteignons enfin l’extrémité est du lac. De là s’écoule la rivière Korrigan, dont nous suivons les quelques méandres qui serpentent entre les rochers puis nous conduisent jusqu’à la cabane.  


  Le soleil descend déjà à l’horizon (les journées sont de plus en plus courtes, la VAC de 17h30 se faisant désormais dans la nuit noire) et nous nous glissons avec plaisir dans notre cocon douillet de la cabane. Ou presque… je m’échappe au crépuscule pour passer encore quelques dizaines de minutes dehors ; pendant
que LaLa et Papounet s’occupent de la VAC, je capture les derniers moments de sérénité de la rivière Korrigan et du bord de mer en photo longue pause, puis la nuit se referme sur nous. 






 











......... puis la nuit se referme sur nous.