Profession manipeuse à Port Couvreux - première partie


De retour sur les ondes de l’internet bas débit depuis deux jours, voilà en exclusivité le récit d’une manipeuse PopChat à Port Couvreux. 
Après ces dix jours d’absence, je vous livre ici le copier-coller exact (à quelques fautes d’orthographe près) des notes prises durant cet incroyable séjour au nord de la Grande Terre.
Etant donné que je me suis légèrement laissée emporter par ma plume aux tendances lyrico-bavardes, j'ai décidé de fractionner le récit en plusieurs parties - le texte en entier risquerait d'essouffler les plus assidus lecteurs bien avant la fin.
Bonne lecture !

J3, Vendredi 20 janvier 2012 – 20h, Cabane de Port Couvreux

Comme si le temps s’était arrêté depuis mon départ de Brest, je persiste à vouloir écrire novembre dans la date. Comme si ce lieu était hors du temps, et même, parfois, hors de l’espace. La course du reste du monde s’est suspendue lorsque les amarres du Marion ont été largués au Port à la Réunion,  ou bien continue sa ronde, aveugle et ignorante de cette île naufragée entre les 40e et 50e parallèles. Pas de radio, pas d’actualité, pas de télévision. Juste le soleil, le vent, la pluie, la grêle, et le soleil, de nouveau.

Me voilà arrivée à Port Couvreux,  où le temps et la vie se sont bel et bien arrêtés en 1931, au départ des derniers colons envoyés par René Bossière dans une ultime  tentative de faire fortune sur ces îles stériles et coupées du monde. Il me paraît encore surprenant de voir combien ces tonnes de roches, de mousse et d’acena fouettés par le vent et la pluie ont pu alimenter les rêves de gloire et de fortune des frères Bossière pendant toutes ces années. Jusqu’à ce que le scorbut, le béri-béri et le désespoir rattrapent ceux qui avaient été sacrifiés sur l’autel de leurs ambitions. Ici, trois familles du Havre ont vécu de 1927 à 1931 : le couple Le Galloudec et leur fille Georgette, le couple Petit et enfin le couple Ménager et leur fille Léone. Pendant ces quelques années, après deux tentatives infructueuses (la presqu’île du Bouquet de Grye où est situé Port Couvreux étant alors ravagée par le lapin introduit deux cents ans plus tôt), ceux-ci réalisèrent une ultime tentative de développer l’élevage de moutons importés des îles Falklands. Après la mort brutale de Georges Le Galloudec, et tandis qu’au même moment à 1500km de là sur l’île St Paul des bretons et malgaches « oubliés » là pour faire tourner une usine de langouste étaient en train de mourir les uns après les autres du scorbut, René Bossière fut finalement contraint de rapatrier tout le monde à la Réunion dans un ultime aller sans retour. Cela sonnait la fin de la longue époque de conquête commerciale dans les TAAF. 18 ans plus tard, en 1949, la première base scientifique fut installée à Amsterdam, une nouvelle page de l’histoire des TAAF venait de s’ouvrir.


C’est grâce à la 62ème mission à Kerguelen (la première mission scientifique à PAF datant de 1950) que je me retrouve ce soir à écrire ces lignes dans ce site historique fort en symboles de Port Couvreux. Nous sommes arrivés hier en fin d’après-midi après deux journées de marche depuis l’anse de St Malo. 


Mercredi matin le 18, le chaland l’Aventure II nous a arraché avec délice de PAF – c’est si bon de s’aérer loin de la base ! Après deux heures d’une traversée gentiment agitée (je me suis retrouvée trempée jusqu’aux os dès la première tentative de photographie sur le pont), le chaland s’est glissé dans l’anse St Malo au fond de laquelle niche la cabane TAAF de Port Raymond. A peine avons-nous le temps de visiter la coquette maison de bois que nous abandonnons-là Abdou (chef infra) venu visiter les lieux en vue d’éventuels travaux, ainsi que les deux artistes arrivés sur base à OP4 (pour plus de détails, cf les Ateliers des Ailleurs, http://www.taaf.fr/spip/spip.php?article611). 




Juste le temps de prendre quelques vivres (nous avons oublié le casse-croûte sur le chaland) et nous attaquons la première ascension de col. Ça monte raide, il faut que les cuisses se chauffent, et que le dos se fasse au sac à dos bien chargé. Après avoir slalomé entre les pierriers traîtres et les cadavres de Rennes, nous atteignons enfin le sommet. De là, une vue magnifique sur l’anse St Malo, encadrée de hautes barres rocheuses se prolongeant en plateaux parsemés de lacs (que l’on dit particulièrement poissonneux). Le chaland disparaît au même moment à son embouchure, et son ronronnement rassurant nous accompagnera sur la crête jusqu’à ce que nous basculions de l’autre côté du col. Après la traversée d’un plateau où il serait bien difficile de jouer au jeu des sept différences avec une photo de  la surface lunaire, un petit lac nous accueille à l’autre extrémité. Son eau d’un bleu laiteux nous aurait bien invités à faire trempette, s’il n’y avait eu ces 40 nœuds de vent glacé qui nous fouettent le visage. Sur la roche volcanique, le marcheur se fait équilibriste, et la housse protectrice de son sac à dos, parachute. De l’autre côté du lac, c’est un tout  nouveau paysage qui nous attend. Finies les grandes étendues planes de la péninsule Courbet. Nous pénétrons sur le Plateau Central de la Grande Terre, avec ses centaines de montagnes, ses interminables barres rocheuses, ses longues vallées encaissées, le tout encadrant un labyrinthe de rivières et de lacs. Un paradis minéral, et un enfer de souilles par milliers, où le pied se noie jusqu’au genou sans crier gare. En tout, nous mettrons cinq heures et demi pour rallier notre première étape,  Gazelle, par une marche relativement facile (si l’on fait abstraction de quelques détours en arrivant au sommet d’un barre infranchissable) sous un ciel qui ne sait plus vraiment s’il doit rire ou pleurer. Mais le vent, lui, sait souffler, souffler, souffler… 


L'anse de St Malo, juste avant de passer le premier col (Florian et Lahcen)



Bon...


 ... et maintenant...


 ... on va où ??


 Le mont du camp de César (417m), et sa plage privée



Gazelle, c’est un petit module IPEV en bois, à peine plus grande qu’un télécabine. Cube rouge (merci Nina pour le coup de peinture le 31 janvier 2010) d’un mètre cinquante sur deux, posé dans un champ vert d’acena parsemé de cadavres de Rennes, au bord d’une plage de sable noir où les goélands côtoient quelques royaux solitaires. Isolés de la manchotière pour je ne sais quelle raison, ceux-ci attendent le moment où il sera temps de quitter ces terres pour l’hiver, durant lequel ils passeront tout leur temps entre le sud de l’océan indien et le nord de l’océan glacial antarctique, à nager et pêcher.   


 

 En attendant la météo, à la VAC de 17h30

Pendant que nous montons la tente, le Havre du Beau Temps nous fait son plus beau sourire dans la lumière du soir, et l’on fixe en vain un point de l’autre côté du bras de mer, derrière lequel se cache Port Couvreux, dissimulé au-delà de trois pointes rocheuses. Le temps d’avaler un solide repas et nous nous précipitons dans nos duvets, où nous passerons tous une rude nuit : Florian et Lahcen sous la tente, ballotés par les rafales de vent et de pluie, et moi-même ne parvenant pas à trouver le sommeil dans la télécabine dont le sol glacé est trop dur pour ces muscles endoloris par cette première journée de marche. Lever à 6h30, sous la pluie et un ciel plombé. Petit-déjeuner, ménage, et nous abandonnons bien vite Gazelle pour faire route plein ouest. Après avoir traversé deux petits canyons en jouant à saute-moutons avec les rivières qui les ont creusés, nous débouchons sur le bord de mer. Et c’est parti pour trois heures de marche à flanc de falaise, une barre rocheuse à pic nous surplombant à main gauche tandis que les eaux agitées du havre du Beau Temps nous font de l’œil à droite, cinquante mètres plus bas. Dans ces conditions là, la moindre rafale de vent peut se révéler fatale, et les goélands et skuas s’amusent de nos démarches maladroites , tandis qu’eux-mêmes, bec au vent, font du surplace au-dessus des laminaires, porté par le vent violant qui s’engouffre dans l’entonnoir formé par le hallage à l’extrémité ouest du Havre, notre objectif de la mi-journée. Heureusement, le soleil nous rejoint au passage d’une première cascade, juste à temps pour nous réchauffer. 


Petit brossage de dents à l'eau vive



Faites-moi confiance, c'est par là !

- Tu vois le rocher, là, ben on passe juste à gauche entre l'acena et la plaque de boue
- Ah oui... oui oui je vois tout à fait... ?





 
















  

Traversée dans l'acena (le petit point noir devant le rocher je crois bien que c'est moi)

 Puis à flanc de falaise... me voilà dahu !


Nous atteignons finalement le hallage à 11h ; la marée basse étant prévue à 14h30, nous sommes contraints de remonter loin sur la langue de sable avant de trouver un passage assez peu profond pour traverser une bande de mer à la traîne, gonflée par les eaux d’une majestueuse cascade qui occupe le fond du hallage. L’occasion pendant cette petite marche de se transformer en apprenti géologue, chassant du regard les cristaux et différents types de roche charriés depuis la cascade, engendrées par des forces telluriques inimaginables il y a des milliers d’années. 



 Voilà de jolies distractions pour jouer aux apprentis géologues tout en marchant


Sur le hallage du havre du Beau Temps


 La deuxième partie de la journée se fera sous le vent et les averses successives, tandis que nous attaquons la partie la plus ardue faite d’ascension de hautes barres rocheuses alternant avec les traversées de longs plateaux ensouillés. Et gare à celui qui perd le point de repère, sous peine de devoir faire demi-tour pour retrouver son chemin parmi ce chaos de roche. 


Le havre du Beau Temps vu depuis son extrémité ouest, après le Hallage
Premier lac d'altitude
Sommet de roches lissées par la dernière ère glacière

 Un autre des innombrables lacs, séparé de l'océan indien par une fine langue de terre

 Le Panoramique n'est pas très réussi, mais ça donne une bonne idée de la vue !

16h, Port Couvreux surgit enfin entre deux falaises creusées par la rivière que nous suivions depuis l’immense lac de la presqu’île du Bouquet de Grye. 


 Le canyon s'ouvre soudain et Port Couvreux surgit enfin, après 8h de marche !

Apparaissent d’abord quelques dizaines de tonneaux rouillés, familiers depuis mon passage à PJDA, une presse à manchots (si si …), une chaloupe partiellement détruite. Puis, parvenus au sommet d’une petite butte où trône une croix de bois, nous apercevons enfin la cabane. Plus en retrait par rapport au bord de mer, l’ancienne habitation des éleveurs de Port Couvreux a été recouverte de tôle afin de protéger les bâtiments des intempéries. En son centre, sur l’ancienne terrasse, une petite cabane de quinze mètres carrés a été bâtie, et constitue le refuge des scientifiques et manipeurs de Port Couvreux. Nous y retrouvons avec plaisir Nathanaël, le PopChat (utilisateur quasi exclusif de cette cabane) et ses deux manipeurs dont Lahcen et moi sommes la relève : Michaël (technicien frigorifique) et Christian (mécano centrale). Une bonne odeur de pain sortant tout juste du four nous accueille, le tout offert par d’immenses sourires. Qu’il est bon, après un si long transit, de pouvoir enfin poser son sac à dos dans un tel endroit !

 
Devant la cabane de Port Couvreux (Lahcen - Géophy, Nathanaël - PopChat, Véro - Bibette)

2 commentaires:

  1. merci pour cette petite traverse, que de souvenirs de revoir ces images, Est ce que par hasard il reste a port couvreux depuis mon passage en 2007 une bouteille de wisky qui sert de support a lampe et des sachets de thé conditioné? (la bouteille peut etre le the j'en doute).

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  2. Hello Vero et les manipeurs Popchat !
    Dis moi pourquoi as-tu dormi par terre à Gazelle et pas sur la bannette "repliable"? ;)
    C'est super de te lire et suivre vos transits - je suis partante pour que tu fasses un max de manips!!
    Bise et A tout +
    CARO (Renker/Popchat46)

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