OP4 2011 étant enfin passée, certaines personnes avaient grand besoin de sortir de la base afin de s’aérer, se dégourdir les jambes et relâcher un peu la tension du travail. C’est ainsi que je me suis retrouvée invitée à passer le week-end à la Cabane Jacky. A deux heures de marche de la base, cette cabane TAAF (la plupart des sites étant mis en place par l’IPEV) est le lieu de détente par excellence lorsque l’on veut s’échapper un peu de la promiscuité de PAF, et du boulot omniprésent 7j/7. Initialement Cabane du Limnigraphe, elle a été débaptisée pour prendre le nom d’un ancien hivernant, décédé il y a quelques années suite à un accident de chasse.
Me voilà donc au matin du 13 janvier, dans un remake de « six gars une fille », faisant route cheveux au vent sur le plateau des Drumlins. La ballade jusque cette extrémité ouest de la Péninsule Courbet n’est pas des plus agréables (champs de cailloux, trop gros pour pouvoir marcher sans garder les yeux fixés sur le sol, mais pas assez grands pour pouvoir sauter de l’un à l’autre ; quelques souilles qui prennent par surprise et l’on se retrouve avec la jambe gauche enfoncée jusqu’au genou – et encore, le sol est particulièrement sec vu la faible pluviométrie dont on bénéficie depuis des semaines) – il n’empêche, l’arrivée à Jacky fait bien vite oublier ces petites acrobaties sur le terrain. Imaginez, un joli cabanon de bois, au pied duquel coule une rivière… y’a pas de tout à l’égoût, alors on fait sur les caiiiiillouux… pardon, petite envolée musicale déplacée (Francis, si tu nous lis…). Une fois l’armoire à provisions vidée de son contenu et ses étagères décontaminées (excréments et urine de souris – je ne vous raconte pas l’odeur et les dégâts), ça devient le lieu idéal pour passer un joli week-end de villégiature, avec vue sur le golfe du Morbihan au sud, la péninsule Courbet à l’est, et les premières montagnes à l’ouest de PAF dont les contreforts viennent chatouiller les orteils de Jacky (c’est une cabane TAAF, adossée à la colline l’on y vient à pied, … pardon, une rechute). Derrière eux on voit encore le sommeil enneigé du mont Ross, grand frère des montagnes que nous croiserons les jours suivants.
Arrivés à onze heures, nous faisons un casse-croûte rapide sous le regard attentif et les babines retroussées (du moins le seraient-elles s’ils en avaient) des skuas perpétuellement affamés. Notre cher DisKer, chef de cette manip’ « Reconnaissance du territoire » (pour ma part j’y suis rattachée pour l’obscur motif de « Ravitaillement médical des cabanes de Jacky et Studer, identification des dangers de terrain et médicalisation d’une sortie DisKer »… hem)
nous offre même le luxe de cuisiner un fameux gâteau de Savoie en dessert – pique nique grand luxe !
Santé !
Le reflet du bien-être
Un peu de bricolage en apéro
Une fois la vaisselle faite dans le lit de la rivière presque à sec (sécheresse à Kerguelen – difficile à croire !), nous prenons bien vite la direction de la Rivière du Sud où Patrick nous promet une pêche miraculeuse faite de truites de 60cm et plus ! La Rivière du Sud est effectivement miraculeuse par la beauté de ses cascades, rapides et sculptures rocheuses, la majesté d’une fantastique chute d’eau enfouie au fond d’un canyon… mais certainement pas par la pêche qu’on nous avait promis. D’autres sont passés avant nous, et ont prélevés les dernières belles bêtes qui restaient – il n’y a plus qu’à attendre le retour des migratrices !
En attendant, ça n’est pas nous qui nourrirons la base (fort heureusement, nous ne sommes pas des naufragés livrés à nous-même !)
Cascade bien cachée
(et je confirme, l'eau à cet endroit est bien fraîche...)
Une pêche pas vraiment miraculeuse...
Vendredi 13 oblige, je me vois dans l’obligation de vous faire part des petites péripéties qui me sont arrivées ce jour-là. Après avoir commencé par casser un peu de vaisselle dans la rivière, j’ai poursuivi tout l’après-midi en enchaînant chutes et glissades (le nez dans la mousse, le nez dans l’acaena, les fesses dans la rivière – ouh qu’elle est fraîche ! – les genoux dans les cailloux, etc…). Tant et si bien que pour couronner le tout il a bien fallu que je finisse par perdre ma batterie de rechange d’appareil photo (quand on sait le débit auquel je prends des photos… c’est un sacré handicap !). La « poisse » du vendredi 13 s’est malheureusement finalement déplacée vers un de nos camarades d’aventure qui, en traversant une dernière fois la rivière, a échappé de peu au grand bain, mais n’a pas pu éviter l’entorse de cheville. De retour à la cabane, vu le volume de sa cheville et l’importance de la douleur, je n’ai eu d’autre choix que de contacter Laëtitia la BibKer pour organiser un rapatriement le lendemain sur PAF afin de faire des radios. Un beau week-end en perspective qui se finit malheureusement prématurément.
Images sous-marines du lit de la rivière du Sud
Après une belle soirée en petit comité, entrecoupée de sorties pour profiter du magnifique coucher de soleil voilé de nuages en escaliers, nous finissons par tous aller nous coucher dans la chambre commune qui constitue la deuxième pièce de la cabane. C’est à cet instant précis que j’ai pris conscience de l’existence de mes nouvelles meilleures amies sur Kerguelen : les boules Quiès (désolée pour la marque). Entendre un concert de ronflement, c’est amusant au début, mais au bout d’une heure, quel bonheur de pouvoir les masquer derrière deux petites boules de cire ! Et à moi les doux rêves…
La belle équipée vers Val Studer
Samedi 14 janvier 2012 ; enfin la journée des galères est finie. Sitôt le petit-déjeuner avalé, nous abandonnons la cabane Jacky et trois de nos camarades pour partir en quatuor en direction de Val Studer. A peine arrivés au sommet du premier promontoire, nous apercevons en nous retournant le tracteur qui a rejoint la cabane, venu chercher notre infortuné compagnon qui rentre à PAF pour faire sa radio et recevoir les bons soins de Laëtitia. Encore quelques pas et la péninsule Courbet disparaît derrière la crête rocheuse. Devant nous, la longue vallée creusée par la rivière du Sud étire sa plaine jusqu’en direction du lac supérieur, où est installée la cabane du Val Studer. Afin d’éviter la marche pénible dans les souilles qui encadrent la rivière, nous décidons d’avancer à la méthode des dahus, à flanc de montagne. L’occasion de se chauffer les chevilles, et d’admirer la vallée dans toute sa longueur. Outre les innombrables grottes creusées dans la falaise et qui titillent notre imagination, nous croisons une foule de petites sources dessinant des jardins miniatures sur la pente. En contrebas, on peut observer quelques lapins, une carcasse de rennes, les skuas et peut-être bien un chat au loin. Nulle autre trace de vie. Quel surprenant contraste, la vie débordante de la côte avec ses éléphants, ses manchots, ses goélands, ses cormorans, etc… Et l’intérieur des terres, où en dehors des espèces introduites, on ne croise que les skuas. Ces derniers d’ailleurs passent au-dessus de nous à intervalles réguliers, comme guettant le moindre faux pas qui leur offrirait un repas providentiel. Vous pouvez poursuivre votre vol, charognards. Malgré le vent, malgré les éboulis piégeurs, malgré la distance, nous ne sommes pas encore vaincus.
Skuaaaa
Couple de lapins noirs face au soleil couchant
Oreilles aplaties, si je ne bouge pas, ils ne me voient pas....
La rivière du Sud et ses lacs annexes, avec au fond à gauche le début du Val Studer, surmonté des deux Mamelles nichées dans un écrin de nuages
Va bien falloir travers-er...
Après trois heures de marche, nous parvenons enfin au Val Studer. Un fort vent de nord-ouest à 40 nœuds (1 nœud # 1,8 km/h) 40 noeuds équivaut environ à 80 km/h) nous accueille dans cette immense vallée formant la branche gauche d’un Y dont l’échancrure encadre les deux montagnes jumelles appelées « Les Mamelles » (et non les « Tétons »…). Les rafales transforment le lac en mer dont les vagues viennent lécher la grève où s’accumulent une belle collection de pierres aux couleurs et textures qui font vibrer nos fibres d’apprentis géologues. A peine le temps de manger un morceau, et Patrick et Philippe se précipitent vers le lac, la canne à pêche à la main tandis que l’autre Philippe (alias Papounet) et moi-même nous dirigeons vers un canyon entre-aperçu sur le chemin. Après une belle enfilade de virages le long d’une rivière serpentant dans un étroit goulet entre deux falaises, nous parvenons à la cascade qui occupe le fond du canyon. A son pied, une véritable pouponnière de choux de Kerguelen, les premiers choux sauvages que nous croisons tous les deux.
Val Studer enfin en vue ! Attends-nous "Papounet"
(l'appel du casse-croûte donne des ailes)
Canyon caché... où nichent des choux (derrière lequel on peut voir une roche incrustée de quartz)
Quelques photos, un peu d’escalade, deux ou trois observations géologiques, et il est déjà temps de reprendre le chemin du retour (les sacs encore plus légers qu’à l’aller, puisque nos valeureux pêcheurs n’ont malheureusement rien ramené dans leur besace). Cette fois-ci, nous prenons le parti de rentrer en longeant le lit de la rivière. En dehors de quelques passages souilleux, l’exceptionnelle sécheresse de ces dernières semaines nous offre une marche beaucoup plus pratiquable que prévue. Pour preuve de cette sécheresse, la quantité de petits ravis asséchés qu’il faut contourner ou sauter (avec plus ou moins de grâce), là où d’ici quelques semaines de centaines de torrents et ruisseaux couleront en direction de la rivière du Sud pour en grossir le débit, rendant le fond de la vallée beaucoup moins praticable. C’est donc bien fatigué mais le sourire jusqu’aux oreilles que nous regagnons la cabane Jacky où nous retrouvons Jean-Michel et Hughes, peu après la VAC de 17h30. Cette fois-ci, le soleil n’aura pas eu le temps de se coucher que mes compagnons de chambrée seront déjà en train d’entamer un concerto pour trois ronfleurs.
La cabane de Val Studer (fait d'un judicieux agencement de conteneurs aménagés)
Le Lac Supérieur
Dimanche 15 janvier, dernière journée de détente. Réveil en douceur dans la cabane Jacky. Après un petit déjeuner prolongé, nous entamons le nettoyage et rangement de notre havre d’un week-end. C’est au complet cette fois-ci que nous quittons Jacky, la laissant sous la surveillance du couple de skua qui y a élu domicile. Objectif, retour à PAF par la côte après avoir redescendu le cours de la rivière du Sud jusqu’à son embouchure. L’occasion de tenter une dernière fois – en vain – de titiller truites et ombles qui ont définitivement abandonnés son lit pierreux. A l’embouchure, deux pachas nous offrent une belle démonstration de combats d’éléphants de mer, sous l’œil impassible des femelles alanguies sur la grève. A force de cotoyer ces tonnes de graisse et de muscle, on s’habitue à se tenir à quelques mètres à peine d’eux sans avoir peur, tandis qu’ils s’envoient des coups de tête et de torse capable d’écraser un homme comme si ça avait été une simple balle de mousse. La remontée le long de la grève nous donne l’occasion de renouer enfin avec la vie animale, manchots papous, manchots royaux juvéniles égarés loin de leur manchotière, sternes, goélands, éléphants de mer seuls ou en harems, lapins, etc… Sur le sable noir, les moules éndémiques renvoient des éclats nacrés qui font briller nos yeux, et les godons de blanc translucide ressortent comme des diamants bruts.
Combat de pachas
C’est les poches pleines de souvenirs, et la tête débordant d’images, que je reviens à PAF en milieu d’après-midi. Dans la base, rien ne bouge. Assis sur les marches de la résidence, nous savourons en silence un dernier verre partagé ensemble. Dans quelques minutes, la douche chaude nous lavera des restes de ce week-end, et la vie normale* reprendra son cours.
* Mais peut-on vraiment parler de vie « normale », ici ?
bonjour,
RépondreSupprimerj'ai pas tout lu (désolé), j'ai surtout regardé les photos... ha, la cabane Jacky de mon copain Jeannot!
mais faites gaffe en traversant les rivières. la photo avec la personne a moitié suspendu dans le vide... y'en a des qui se sont tué en faisant comme ça. personnellement je préfère marcher sur le fond quitte a me mouiller largement au dessus des bottes que de risquer de m'assommer en glissant sur un cailloux. le niveau de l'eau varie beaucoup, un caillou qui parait sec peut être très glissant quand même.
profitez bien,
Dam
ayé, j'ai lu.
RépondreSupprimerderrière le chou, c'est des basaltes et les minéraux blancs sont plus certainement des zéolites et non des quartz.
bonnes balades,
Dam