Profession Manipeuse à POC - 3ème partie


 









 "Gratt gratt"  fait l'éléphant de mer


J6, le 23 janvier (quel jour de la semaine sommes-nous ?) – 10h20, cabane de POC
  
« Pas de chat, pas de chocolat », comme dit le célèbre dicton.

Heureusement pour nous, un petit noir a daigné montrer pattes blanches lors du line retour de ce matin (départ 6h30 – arrivée 8h ; re-départ 8h35 – arrivée 9h50). Il a mis dix bonnes minutes à remarquer notre présence, si bien que l’on a bien pu profiter de sa technique de prospection entre les rochers, glissant la tête dans les terriers de BLO. En rentrant à la cabane, petit détour par le dernier piège à vérifier. Les trappes se sont refermées ! Notre rythme cardiaque s’accélère brusquement (rien à voir avec la pente qu’il a fallut escalader juste avant), y aurait-il enfin un premier chat de piégé ? Malheureusement, nous découvrons bien vite que c’est un maladroit skua gourmand (aussitôt rebaptisé Skua Bruti) qui s’est fait prendre comme un chat… euh…. comme un rat. 
 
 PopChat en train de réarmer son piège, qui domine la vallée que suit son line

Un seul chat d’observé, un nouveau, mais surtout encore une belle ballade matinale. 


 Lapin noir et chat noir
Rude tâche que de les distinguer à 800m de distance 
(petit indice : leur façon de courir)

En effet, au réveil, un merveilleux soleil faisait étinceler de givre l’herbe devant la cabane. Cette image me rappelant des printemps d’un autre lieu s’est bien vite métamorphosée ; en l’espace de quinze minutes, alors que nous arrivions tout juste au début du line, la brume s’était levée et l’on ne pouvait plus observer les barres rocheuses de l’autre côté de la baie. Au-dessus de l’eau devenue océan sans limite, un nuage noir passe rapidement, traînant derrière lui un rideau de pluie comme un gros pommeau d’arrosoir traversant un décor miniaturisé tandis qu’autour de nous il se met à neiger. Puis enfin, le retour du soleil, dont nous ne profitons pas beaucoup malheureusement, sa faible lumière largement contrebalancée par un fort vent glacé à 4°.







6h - D'abord le brouillard et la neige qui nous accueillent en sortant de la cabane

6h15 - le brouillard s'est levé, la neige a fait blanchir les barres de l'autre côté de la baie

  







6h30 - le soleil est de retour, plus une trace de ce clin d'oeil du mauvais temps
Il n’empêche, nous venons de vivre les quatre saisons en une heure, et voir la vallée à nouveau sous le soleil, les fuligineux passant au-dessus de nous dessinant des ombres gigantestques sur nos traces, quel bonheur !



 L'extrémité ouest du line, 
avec cette dernière partie épuisante dans les herbes hautes et molles


 16h25 – cabane de POC

Depuis quatre jours maintenant, je peux lire dans le cahier de cabane « le micro-climat de POC », « POC c’est la côte d’azur des Kerguelen », « sieste au soleil devant la cabane de POC », etc…
Aujourd’hui enfin nous effleurons du doigt ce qu’ont vécu ceux qui ont écrit cela, car cet après-midi le soleil a décidé de stationner encore un peu au-dessus de la cabane. Après un solide déjeuner et une partie d’enculette (jeu de cartes se jouant avec les atouts du 8 au 21 + l’excuse, le but du jeu étant d’annoncer le nombre de pli que l’on va faire et de ne surtout pas en faire plus ou moins), nous nous offrons une petite récréation en allant rendre visite à nos plus proches voisins. 


 
Au programme, micro-ballade vers la colonie de gorfous sauteurs, qui est au sud-est de la cabane. En chemin nous croisons la route du chat blanc et noir à collier que j’avais déjà rencontré le premier soir de notre arrivée ici, puis découvrons le cadavre de Chatouille, une petite chatte blanche et marron qui devait être âgée de 4 ou 5 ans (guère moins que l’espérance de vie des chats sur cet archipel ; on est bien loin des 22 ans qu’avait la chatte lorsqu’elle a donné naissance à mon chat…). 






Choux de Kerguelen jouant aux équilibristes pour échapper aux coups de dents des BLO

                            Immenses laminaires

Oups, désolée, petite interruption de quelques minutes dans ce récit pour aller admirer un superbe arc-en-ciel qui surplombe la baie de part en part. au fur et à mesure des minutes, ses couleurs se sont renforcées au point d’atteindre un niveau de contraste et de luminosité comme je n’en avais encore jamais observé ! La palette de couleurs est si vive qu’elle se reflète dans l’eau pour venir se mêler sur les vaguelettes de la plage.


 Mais revenons à nos gorfous. Avant de les atteindre, Nathanaël trouve au pied d’une barre rocheuse (où sont venus s’écraser les cadavres de trois jeunes rennes – macabre) un collier de chat, PAF Laurraine. Nous laissons-là le cimetière de rennes et contournons le pointe rocheuse ; nous débouchons alors sur une petite anse rocheuse à fleur d’eau où ont élu domicile nos bruyants voisins. Quelles étonnantes créatures, que les gorfous sauteurs ! D’une hauteur d’à peine 60cm, ils se tiennent en équilibre sur leurs deux pattes roses griffues qui s’accrochent aux rochers, où ils se déplacent en sautant à pied joint (d’où leur nom). 

 
On les distingue des manchots par leurs aigrettes jaunes en longs sourcils surplombant deux yeux rouges sang. Les jeunes ne sont pas encore pourvus de ce bel attribut jaune (différent des gorfous macaronis chez qui les plumes jaunes forment deux lignes s’étirant vers l’arrière du crâne sans s’ébouriffer – si je puis me permettre ses termes peu ornithologiques) et leurs yeux sont plus sombres.


 Les plus jeunes tentent encore de se cacher sous les pattes de leurs parents, mais ils sont tellement gros que seule la tête arrive à se glisser dessous, et le reste de leur corps dépasse de manière ridicule mais tellement mignonne. Les gorfous sauteurs ne sont vraiment pas farouches, nous laissant approcher de très très près (objectif à moins d’un mètre de leur bec tendu avec curiosité), si bien que l’on se retrouve rapidement en plein milieu de la colonie. 


Petit poussin de Gorfou sauteur, planqué dans les rochers

Laissant Lahcen et Nath faire des photos, je vais m’installer au bord du rocher, au-dessus de l’eau où s’agitent des laminaires frappés de gigantisme. Une petite dizaine de gorfous choisissent ce moment pour sortir de l’eau, et comme je suis assise sur le chemin qu’ils empruntent d’habitude pour rejoindre leurs rochers, le premier de la file indienne reste là à me regarder en sautant d’une patte sur l’autre, semblant hésiter à avancer ou pas. Comme s’ils ne pouvaient se résoudre à faire un détour, il faut suivre la trace ! Finalement, il se décide en passe dans mon dos en me frôlant presque, aussitôt imités par ses suiveurs dont le courage n’attendait qu’un déclencheur pour se réveiller. Se sont-ils adaptés à ma présence, où me confondent-ils finalement avec un rocher qui serait tombé là par hasard ? (avec mon pantalon noir, ma veste noire à la capuche remontée sur la tête, je pourrais facilement passer pour un rocher échoué). 

 Je n'ai besoin de personne... les aigrettes dans le vent... Lalalala

Pendant cette petite visite de courtoisie, histoire de nous rappeler où nous sommes, un nuage noir nous gratifie d’une violente averse de grêle, provoquant une débandade dans la colonie. Tous les gorfous se mettent à sauter en tout sens pour s’abriter sous les rochers, tandis que nous nous casons tant bien que mal à l’abri de la falaise. Une fois le soleil revenu, Nath ressort son superbe téléobjectif et immortalise quelques scènes pittoresques ou attendrissantes – de belles photos en perspective ! 

 Un nuage et son rideau de neige

Pour ma part, ma première batterie d’appareil photo est HS, et la seconde m’ayant fait faux-bond à la rivière du Sud pour vivre sa vie, me voilà privée de mon passe-temps préféré ! 
Il va falloir se résigner à profiter purement et simplement de ce que les prochains jours nous réservent – programme plutôt alléchant ! 


 Nuages lenticulaires - dits en "pile d'assiettes"

20h40 – Cabane de POC

Waooooooo ! De loin le plus beau de tous les lines que j’ai fait jusqu’à présent. Nath et moi-même avons quitté la cabane à 17h, et nous rentrons à l’instant (depuis 5h ce matin nous avons donc fait un peu moins de 30km – pas mal !). Même si je garde en mémoire la merveilleuse image de ce matin où la rosée en train de fondre sur le tapis d’acaena nous mimait des milliers de diamants qui diffractaient la lumière, recréant toute la palette de l’arc-en-ciel en miniature, je crois que rien n’égalera ce que Kerguelen vient de nous offrir. Nous commençons par quitter l’anse de POC sous une tempête de neige, qui laissera rapidement place à un énième arc-en-ciel (Kerguelen – l’archipel aux mille arcs-en-ciel). Avec le retour d’un timide soleil de fin de journée, la vallée se charge d’une atmosphère magique. Le crépuscule approchant, tout est paisible, semblant même influer sur les BLO qui se laissent approcher de très près. Nous observons trois chats à l’aller, dont un magnifique à poils longs, noir aux reflets roux, qui va lui aussi se laisser approcher, jusqu’à moins de 45 mètres !




Mousses des Kerguelen, mimant des forêts miniatures


Arrivés en bout de line, pour une fois les poussins skuas (deux familles y ont élu domicile) ne fuient pas à notre approche, comme si soudain tout s’était pacifié. Plus de peur, plus de prédation. L’harmonie parfaite.


 Papa et Maman Skuas surveillent la marmaille, sous le regard attentif d'une de leurs proies qui n'a décidément pas froid aux yeux (petit BLO en haut à droite, près du terrier)



Pendant que nous faisons notre pause indispensable entre les deux lines, nous profitons d’une vue à couper le souffle sur la baie Irlandaise, à chaque fois différente. Ce soir, l’eau d’un beau saphir vire rapidement à l’argenté tandis qu’au nord un nuage solitaire passe en charriant derrière lui son rideau de pluie. Mais surtout, l’apothéose c’est la calotte Cook, visible comme jamais. Sa surface parfaitement lisse venait s’épanouir dans la baie Irlandaise, tandis que l’on devinait les vents violents soufflant à sa surface en vaporisant la neige fraîche. Au-premier plan, un entrelacs d’îles dessinent comme une haie d’honneur menant jusqu’au glacier Vallot. Au-dessus de celui-ci, une pluie de rayons tombe par une trouée de nuages. Seule l’urgence de rentrer à la cabane avant la nuit nous arrache à notre contemplation. Dernier clin d’œil pour conclure une journée de rêve, le troupeau de rennes rencontré hier revient nous gratifier de leur présence pendant quelques trop courtes minutes. Les jeunes galopent tandis que les grands mâles brament pour rassembler le groupe. Pendant quelques instants où le temps semble s’être suspendu (et je crois même avoir arrêté de respirer), toutes ces têtes couronnées nous observent de leur doux regard surmonté de ces sculptures exubérantes. Puis, sur un ordre inaudible depuis notre perchoir, le troupeau repart au galop vers l’autre vallée dans un lointain roulement de tremblement de terre. Moment d’exception, dans un lieu d’exception.


  Au retour, nous recroisons le gros chat noir aux reflets roux, toujours installé au-dessus d’un terrier, attendant qu’un éventuel lapin imprudent pointe le bout de son museau. A l’ouest, le soleil bascule derrière les barres rocheuses, nous plongeant dans l’obscurité. Seuls les nuages les plus hauts irradient de lumière, jusqu’à ce qu’il n’en reste plus qu’un, petit, gonflé de rose. C’est à ce moment précis qu’un couple de fuligineux choisit de lancer leur cri de parade amoureuse, son écho se répercutant longtemps entre les deux parois de la vallée. Ultime salut de la généreuse nature des Kerguelen, avant de sombrer dans le mystère d’une nuit sans lune.

 
La vallée où serpente le line du PopChat, avec vue sur le Havre du Beau Temps

2 commentaires:

  1. Pour connaître un peu POC (j'y suis passé en touriste en 2004), je peux te dire qu'on y est complètement en te lisant. MERCI pour ce retour vers le passé et les excellents souvenirs qu'il réveille, MERCI pour les photos (superbes !) et pour le plaisir que tu nous procures à te lire. La suite, vite !
    Cordialement,
    Roger Venturini

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    1. Merci beaucoup pour votre message
      Je suis heureuse de voir que j'arrive à être un peu fidèle à la beauté des lieux, et surtout de parvenir à vous faire voyager un peu avec nous
      Amitiés polaires
      Bibette 62

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