J7, le 24 janvier – 10h30, devant la cabane de Port Couvreux
Ca y est, je comprends
définitivement la notion de microclimat à POC. Au moment où j’écris ces mots,
je suis allongée dans l’herbe, juste devant la cabane. Pendant que Nath fait sa
lessive, me voilà étendue au soleil, les orteils au vent, manches courtes et
lunettes de soleil. Une odeur de crème solaire flotte autour de moi – c’est
l’été !
Nous rentrons à l’instant de
notre traditionnel line du matin, le dernier de cette session à POC. Encore un
superbe aller-retour, avec trois chats d’observés par le PopChat à l’aller,
dont celui que nous avions baptisé Chaussettes en raison de ses pattes
blanches. Pendant les trente minutes de pause entre deux lines, nous nous
sommes installés à l’extrémité de la vallée, sur un rocher surplombant le
rivage de la baie irlandaise. Vue panoramique sur la baie et ses îles, la
calotte Cook surmontée cette fois-ci d’une chape de nuages épousant
parfaitement sa forme à quelques centaines de mètres de hauteur, comme une
ombre blanche inversée.
Parfait poste d’observation
également pour contempler un couple de fuligineux volant en formation serrée
dans un synchronisme parfait. A force de les suivre aux jumelles, je finis par
parvenir à repérer leur nid, perché dans
une falaise abrupte où ils doivent faire preuve d’un talent incroyable pour se
poser sans encombre. S’ensuivent une série de courbettes et de rond de jambes,
tandis que leurs cris de parade amoureuse raisonnent dans la vallée.
C’est en les abandonnant que je
repère soudain un point blanc à quelques dizaines de mètres de nous. Le prenant
d’abord pour un goéland, je fixe malgré tout les jumelles dans sa direction, et
découvre à ma grande surprise la jolie tête blanche tachetée de noir d’un chat
qui nous observe de loin. Ses yeux verts pâles nous fixent intensément ;
« J’ai un chat ! » crie-je à moitié, toute excitée par ma
découverte. Hip Hip Hip Miaouurrah ! Nous ne pouvons cependant pas le
comptabiliser, ayant été observé en dehors du line. Une fois cette apparition
blanche aux longues taches noires évaporée dans le chaos rocheux, nous
abandonnons là notre superbe spot et reprenons la direction du line où le
comptage redémarre. Nous ne reverrons malheureusement pas notre ami repointer
le bout de ses oreilles blanches, et avec le soleil qui resplendit dans un ciel
immaculé, le sol se réchauffe si bien que les observations commencent à se
compliquer, l’air ondulant au-dessus de la roche.
Le retour nous prendra 1h20, sans
chat piégé ni observé pour PopChat. J’ai pour ma part repéré mon premier animal
avant Nath (c’était mon dernier objectif de la journée, n’ayant jamais réussi
depuis une semaine à le battre sur ce terrain), a 600m de nous, remontant au
petit trot une langue de sable. Quelle frustration de parvenir à le repérer et
de voir que PopChat regarde dans la direction opposée – je ne peux
effectivement rien lui dire, le comptage devant prendre en compte uniquement
ceux qu’il repère seul afin que les différentes observations restent comparables. Même sans ce dernier chat, le nombre total de
chats observés à POC atteint le nombre
respectable de 31 – mission accomplie ! (il en faut au moins 30). Cet
après-midi nous relevons les pièges – et départ demain.
Pièges à chat sur le dos, nous rentrons à la Cabane, une dernière fois
00h30 – cabane de POC
Derniers instants vécus à Port
Couvreux.
Après une fantastique sieste sur
l’herbe au soleil (mais dans le duvet tout de même, il ne fait pas non plus si
chaud que ça), nous déjeunons des restes avant de repartir pour ramasser les
pièges. Et me voilà découvrant une nouvelle passion. Coincée au milieu d’une
souille, le pied gauche enfoncé jusqu’à mi-mollet et prenant l’eau (mes guêtres
n’ont pas survécu à 6 semaines de Kerguelen), avec 20kg de cage sur le dos, j’ai
pourtant un immense sourire. Quelle chance que mon métier me permette de vivre
de tels moments, et de toucher du doigt la profession de Nath qui m’a toujours
faite rêver. Voilà l’une des autres raisons de s'être lancé dans dix ans d’étude,
renouer avec mes anciennes passions, mes rêves de vie dans la nature, face au
monde sauvage.
La fameuse grotte où PopChat range une partie de ses pièges
Après avoir déposé cinq cages
dans une grotte (c’est l’avantage d’être sur une île déserte, on sait que
si l’on laisse quelque chose à un endroit, on le retrouvera dix mois plus
tard), nous ramassons les cinq suivantes que nous ramenons à la cabane. Nath
décide de laisser les trois derniers pièges les plus proches pour prolonger
encore une soirée de capture, et en attendant nous passons récupérer
Lahcen à la cabane avant de nous rendre sur la presqu’île qui coupe l’anse de
POC en deux. Quelques tonneaux ont été abandonnés ici également après le départ
des derniers bergers, protégés derrière un mur partiellement effondré.
L’endroit est parfait pour un petit apéro, allongé dans l’herbe qui fait un
matelas idéal, le dos contre le muret. Rendus muets par la sérénité du moment,
nous admirons notre dernier coucher de soleil sur POC, la symphonie du ciel
nous dévoilant ses plus belles notes de lenticulaires d’un blanc nacré, de
dégradés de pastel allant du bleu au violet.
Apéro à l’abri du vent
Quelques nuages cotonneux roses se
reflètent dans l’eau changée en miroir. A notre droite, des sternes nous
offrent le spectacle de leur parade, un peu parasitée par la cacophonie
incessante des gorfous sauteurs. Un à un, les nuages s’éteignent dans le bleu
profond du ciel qui tire peu à peu vers le noir, et nous assistons émerveillés à
l’éclosion des premières étoiles. Le ciel n’est pas encore totalement éteint
que nous pouvons déjà deviner à l’ouest la ligne d’Orion, tandis qu’un satellite
passe au-dessus de nos têtes à vive allure. Pure magie sans artifice.
Le froid nous contraint
finalement à rentrer dans la cabane (et aussi parce que la bouteille est vide),
où nous avalons rapidement notre dîner avant de nous rhabiller chaudement pour
une dernière sortie nocturne. Armés de nos lampes frontales, nous suivons à
l’aveugle PopChat qui se repère sans mal (quel sens de l’orientation !)
sur le plateau plongé dans une obscurité impénétrable. Un, puis deux, et enfin
trois pièges de récupérés. Le faisceau de nos lampes font parfois surgir deux
points jaunes ou roses, selon qu’il croise le regard d’un chat ou d’un lapin
insomniaque. Tandis que nous rentrons tranquillement vers la cabane, marchant
prudemment sur le sol meuble, les cages sur notre dos rendant notre équilibre
un peu plus précaire, je m’imprègne au maximum de cette nouvelle atmosphère.
Tout est différent la nuit, moins de bruits, où même les sons diurnes semblent
ici méconnaissables. Quelques flocons de neige passent dans le faisceau de la
frontale, surgissant de nulle part et disparaissant aussitôt en s’échouant sur
le sol. Tout semble s’être arrêté, le monde entier semblant avoir disparu,
au-delà du cercle de lumière blanche de notre lampe.
J8, le 25 janvier 2012 – 10h30, hallage du Havre du Beau Temps
Adieu POC.
Et voilà, toutes les bonnes
choses ont une fin. Heureusement, il reste encore un avantage à ce lieu
incroyable (où, s’il fallait faire un choix, j’élirais bien domicile), les deux
jours de transit retour nous permettent de faire durer le plaisir encore un
peu.
Lever à 5h20, le temps de faire
le ménage et de ranger toutes les vivres qui ne sont pas
« Souris-Proof », nous quittons la cabane PopChat à 7h05. En moins de
3h30, nous rallions le hallage, avec 20km de parcourus et 917m de dénivelés
cumulés (vive le GPS). Nous traversons le hallage à l’instant, qui est à un
niveau bien plus bas qu’il y a cinq jours.
Sur la plage découverte à marée basse, avant d'atteindre le hallage
Quelle sensation fantastique de
sentir tout son corps se réveiller tandis qu’il crapahute entre les barrières
rocheuses, et ce malgré le sac à dos de 20kg sur le dos. Une fois de plus, la
chanson « Je suis en vie » trotte dans ma tête, comme une évidence.
Voilà qui confirme mon projet, même si mes petites jambes ne sont pas les plus
rapides que l’on puisse souhaiter, de passer un diplôme de médecine de montagne
– j’ai enfin le sentiment d’être à ma place.
Pendant que mes compagnons de
cordée (sans corde, certes), cassent la croûte, à ma gauche des goélands sont
partis à la pêche aux moules moules moules et nous offrent un curieux
spectacle. Se jetant tête la première dans le bras de mer, ils arrachent aux
rochers une belle moule ; puis ils se dirigent vers le rivage et, se
mettant à dix mètres du sol, ils lâchent le coquillage qui vient alors se
briser sur les rochers. Il n’y a plus qu’à déguster. Pendant ce temps, le hallage
se remplit doucement d’eau salée, effaçant définitivement nos empreintes. Si
seulement l’impact de l’homme sur la nature des Kerguelen pouvait être aussi
éphémère que nos traces de pas dans le sable.
Goélands chamailleurs (photo de Nath)
17h30 – au-dessus de Gazelle
« BCR BCR de Gazelle »
« … »
« BCR BCR de
Gazelle ? »
« … »
Me voilà qui repart au triple
galop vers la barre rocheuse la plus haute dont l’ascension se finit en
escalade un peu périlleuse. D’où je suis je ne vois plus la télécabine de
Gazelle où nous faisons une nouvelle escale pour la nuit. Bien que le soleil
brille, le vent est fort et froid au sommet, si bien qu’une fois mon message
passé à Gégé pour l’informer de notre bonne santé, je me cale tant bien qe mal
dans le creux d’un rocher en attendant l’annonce de la météo sur la radio. La
communication passe mal, mais je parviens tant bien que mal à capter les
messages de nos autres compagnons disséminés à travers l’archipel :
« BCR BCR de Verte »
« BCR BCR de Mayès »
« BCR BCR de
Cimetière »
« BCR BCR de Longue »
« BCR BCR de… »
Tandis que s’égrènent sur le relais 26 les noms des
différentes cabanes où sont installés les VAT
et scientifiques qui passent leurs journées à braver les éléments pour compter,
baguer, prélever, analyser, échantillonner, enregistrer, etc… j’observe le ciel.
Goélands et nuages au-dessus du Havre du Beau Temps (Photo de Nath)
Là haut, les
nuages font la course sur un fond bleu. Un vieux jeu d’enfant me revient à
l’esprit, et me voilà, allongée dans l’anfractuosité du rocher, à déterminer
quelle forme miment les nuages. Ici un lapin, là un scorpion, plus loin un chat
(à force de les chercher sur le line, on finit par en voir partout), plus loin
un Korrigan souriant malicieusement (j’ai toujours eu beaucoup d’imagination),
et enfin un petit diable qui ressemble énormément au méchant qu’il y avait dans
la série animée « Il était une fois… » (l’homme, la vie, les
explorateurs, etc… ce dessin animé où un vieux monsieur à la longue barbe
blanche nous expliquait comment fonctionnait notre cerveau, comment vivait
l’homme de cro-magnon ou encore qui était Hippocrate – et bien dedans il y
avait deux méchants, et là je vois le petit,
vous savez, celui qui avait un nez crochu et des cheveux rouges en
touffe). Mais les plus beaux nuages entre tous, ce sont les nuages vagues. Ceux
dans lesquels des cellules de convexion se forment de manière très localisée, à
une périphérie, mimant parfaitement l’enroulement d’une vague, formant le
tunnel du surfeur, avant de se refermer sur elle comme le rouleau qui vient
s’écraser sur une plage.
En fermant les yeux, j’entends le
vent siffler dans les barres rocheuses, et le son ressemble à s’y méprendre à
celui qu’il fait en faisant onduler les branches des trembles dans les forêts
de métropole. Mais évoquer les arbres à Kerguelen, c’est comme parler de
tulipes en Antarctique.
C’est d’ailleurs l’absence d’arbres qui donne à ces
lieux une telle impression de grandeur. Tout ici me paraît beaucoup plus grand
qu’il ne l’est en réalité, tout est démesuré, et la moindre barre rocheuse où
tel col de montagne me semble totalement inatteignable. Alors qu’en fait il n’y
a que 150 ou 300m de dénivelé. C’est Nath qui m’a fait réaliser que l’absence
d’arbre (ou de maison, ou d’autres humains), nous ôte tout référentiel, si bien
que lorsque l’on marche au sommet d’un plateau et que l’on regarde en
contrebas, le cours d’eau au creux de la vallée pourrait aussi bien être un
petit ruisseau, ou un large torrent. Et l’on voit tout en plus grand, comme si
l’on se plaisait à rajouter un peu de panache et d’extrême à tout ce que l’on
vit ici.
Enfin, un grésillement de la
zézette m’arrache à ma rêverie et je me redresse, bras en l’air pour mieux
capter, afin d’entendre la météo. Temps couvert d’annoncé pour la dernière
partie de notre transit demain, avec 25 à 30 nœuds de vent de prévu.
« BCR BCR de Gazelle – météo
bien reçue »
« …… »
Flûte, j’ai encore perdu le
relais 26. Je me déplace d’un mètre, me hisse sur la pointe des pieds, tend le
bras en l’air. Ouf, on m’entend enfin !
18h – cabane de Gazelle
Gazelle en vue !!!
Aujourd’hui nous avons mis 8h
pour rallier POC à Gazelle. Depuis mon récit du hallage, nous nous sommes
offerts une nouvelle partie d’équilibriste à flanc de falaises, qui, outre
quelques montées d’adrénaline, nous a offert le privilège de traverser une
colonie de gorfous sauteurs (décidément pas farouches) puis de cormorans à yeux
bleus (je doute que ça soit le terme scientifique) en train de nicher avec
leurs jeunes poussins tout noirs. En traversant une ravine, une glissade de
quelques mètres m’amène un peu plus rapidement que prévu au bord du cours d’eau
qui l’a creusé, et j’en suis quitte pour une belle frayeur sans plus de
bobo ; et je passe du statut de marcheuse « très prudente » à
« qui frôle l’excès de zèle » pour le reste du chemin.
Voilà le type de micro-vallée que l'on suit pour se glisser entre les barres rocheuses
Et voilà à quoi ressemble le fond de ces rivières...
... et ce que l'on peut voir à travers sa surface :-)
Sitôt arrivés dans cette
microscopique cabane rouge perchée au bord de l’eau, Nath se lance dans une
séance de rangement et aménagement, nous offrant une belle démonstration
d’ingéniosité, où « Comment transformer une bouteille de Breizh Cola et un
bout de ficelle et étagères multitâches ». Quel as !
Occupations à Gazelle en attendant d'aller faire dodo
Lecture
Et photo-ornitho
On peut enfin partager le périple à Port Couvreux et profiter des magnifiques photos et des couleurs.
RépondreSupprimerDe temps en temps j'ai un peu froid mais sans doute moins que toi.
Vivement une autre sortie !