EVASAN avortée


19 mars 2012 - 12h35

"J'observe le goulet par la fenêtre de Samuker - à l'autre extrémité du golfe du Morbihan, je m’attends à voir surgir d’un  instant à l’autre une tache grise qui viendra  briser la ligne d'horizon : l'Osiris qui pénètre dans les eaux de Port Aux Français

Normalement, le passage d'un navire est synonyme pour nous de fête : c'est l'occasion de briser la monotonie du quotidien, de voir de nouvelles personnes, parfois de recevoir du matériel, voire du courrier dans le meilleur des cas.
Mais aujourd'hui, ce navire est pour moi un oiseau de mauvais augure. Car ce soir, je quitte les Kerguelen.

L'Osiris - navire contrôleur de pêche (armé de deux gendarmes)

Nous venons à peine de fêter nos trois mois sur base avec Laëtitia la BibKer et quelques uns des hivernants qui sont arrivés comme nous à OP3 en décembre 2011. Le Marion Dufresne arrive dans 8 jours, OP1 2012, qui marque la fin de la campagne d'été et le début de l'hivernage.
Mais je ne le verrai pas.
Ce soir, j'embarque à bord de l'Osiris afin d'accompagner un patient que nous devons rapatrier sur la Réunion. Seuls l'Osiris (ancien navire de pêche désormais armé par des gendarmes et devenu contrôleur de pêche) et trois palangriers sont à proximité de l'archipel - et aucun n'est équipé d'un hôpital.
Attendre l'arrivée du Marion Dufresne serait bien trop long, il faut donc prendre son courage à deux mains, faire son sac et se préparer à quitter une terre que je ne devais pas abandonner avant neuf mois.

Maigre réconfort, une fois le patient arrivé à l'hôpital de St Pierre à la Réunion, l'Osiris devrait me ramener ici dans les semaines qui suivent afin de poursuivre ma mission aux côtés de Laëtitia qui va se retrouver seul médecin sur l'archipel.
Mais en attendant, je dois dire au revoir à certains, et surtout adieu à beaucoup avec qui je ne pourrai pas profiter des derniers jours sur base et fêter leur départ - en particulier Nina ma coéquipière de rugby avec qui l'aventure ici aura pris une dimension vraiment incroyable. Partir, c'est aussi synonyme de manquer l'évènement qu'est l'OP, revoir Martin le médecin de bord, accueillir les voyageurs du Marion, réceptionner le courrier, admirer la valse de l'hélicoptère pour transporter hommes et vivres (tonnes de nourriture, de matériel de logistique, d'infra, etc...)

Mais bon, cela fait partie de la mission de médecin dans ce territoire pas comme les autres...
L'aventure prend une autre tournure, car pour les prochaines semaines je vais devenir médecin embarqué (improvisé).

Plus de nouvelles dès que possible..."


20 mars 2012 - 21h50


Ce message, je l’ai écrit le 19 mars, quelques heures à peine avant l’arrivée de l’Osiris devant Port Aux Français. La situation médicale à SamuKer était telle que le rapatriement nous semblait à ce moment-là inévitable, à Laëtitia comme à moi.

Pourtant, je suis toujours là. L’évolution dans les heures qui ont suivi la rédaction de ces quelques lignes a été suffisamment favorable pour nous permettre de stabiliser la situation au point de conserver notre ami sur Kerguelen jusqu’à l’arrivée du Marion Dufresne dans 7 jours.

Tout a un goût extraordinaire depuis, car maintenant je peux à nouveau sortir de l’hôpital où je suis restée enfermée pendant 4 jours pour assurer jour et nuit la surveillance du patient, qu’il est bon de savourer l’air du dehors ! 
Et après m’être préparée à quitter Kerguelen au point que mon sac était bouclé au pied de mon lit, les affaires de bateau prêtes pour affronter la mer des quarantièmes rugissants, que la vie sur base me paraît douce et merveilleuse !  Le bonheur de revoir les autres hivernants, d’aller à TiKer pour manger avec tout le monde, retourner à la GP pour préparer les courriers et colis qui partiront à OP1, sortir profiter du soleil après la tempête (dans tous les sens du terme car ce week end nous avons essuyé une belles rafales avec des vents à 120km/h)… 

Une tempête s'en va - PAF depuis le perron de SamuKer 
(première sortie après quatre jours)

Il faut souvent être sur le point de perdre quelque chose pour que cela reprenne une inestimable valeur, comme ce soir pouvoir réaliser la chance que l’on a de jouir ne serait-ce que du fait d’être ici, à Port Aux Français.

Ce long weekend à SamuKer a également été l’occasion de découvrir tout une partie du métier que je n’avais pas eu l’occasion d’approfondir jusqu’à présent. Être médecin en conditions isolées, c’est jongler entre le rôle d’urgentiste, d’infirmière, de radiologue, de chirurgien, de biologiste et d’aide soignant. Une expérience professionnelle que je n’aurai jamais eu l’occasion de vivre ailleurs. Un enrichissement incroyable, une expérience unique que je ne suis pas prête d’oublier. Même si elle a été éprouvante psychologiquement, mais aussi physiquement car ça a été du 24h/24, si bien que les nuits ont été plus que courtes ces derniers jours. Maintenant que la situation se calme, Laëtitia et moi pouvons enfin récupérer un peu. 

Je tenais à finir ce message en remerciant de tout cœur tous les gens sur la base qui se sont investis, en venant prendre des nouvelles, en nous  portant à manger, en se mobilisant, lorsque c’était nécessaire, pour apporter leur aide à la hauteur de leur moyen. Merci à tous les "Kergueleniens" pour leur soutien, mais aussi tous ces médecins qui nous ont soutenues à distance (spécialistes au CH St Pierre de la Réunion, le Dr Bachelard au siège des TAAF, et  avant tout les médecins des autres bases de Crozet et Amsterdam) .
Mais surtout, merci aux membres de l’équipe médicale, qui ont été formés avec brio par nos prédécesseurs JB et Yanis, et qui ont largement fait la preuve pendant ces quelques jours, non seulement du fait qu’ils étaient indispensables, mais aussi de leur disponibilité et efficacité. 

La grande famille des TAAF nous attire tous pour notre passion partagée pour cette nature sauvage et authentique à laquelle on se retrouve, chaque jour, confrontés de plein fouet. Mais je ne m'attendais pas à ce qu'en plus elle nous forme, nous unisse, et que dans l’adversité, elle nous prouve combien l’être humain est capable de repousser ses limites pour aider son prochain.


2 commentaires:

  1. et bien didonc, tu sais nous tenir en haleine le temps d'une lecture! J'ai bien cru que tu partais pour de bon pendant quelques semaines... Me voila rassurée! bises

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  2. Bravo à toi et à Laëtitia pour l'abnégation et le courage que vous avez dû montrer pendant ces quelques jours. Encore des qualités que vous nous aviez cachées lors de notre visite et que je ne suis pas surpris de découvrir.
    Je te félicite également pour le blog que je vais suivre avec intérêt. Bonjour et bisous à tout PAF.
    DAVID, ancien visiteur "commando" de KER pour la mission PETREL.

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