Spring news

Et voilà, cela fait précisément 9 mois et 10 jours que je suis arrivée à Kerguelen
Et dans 3 mois et 6 jours, je reposerai le pied sur l'île de la Réunion - et la vie reprendra son cours normal

Mais qu'est-ce que la normalité après tout ? (mais que cette interrogation fait cliché !)

Comme toujours, tout n'est qu'une question de référentiel
Et lorsque l'on change d'hémisphère, beaucoup de référentiels s'en voient bouleversés

Par exemple, c'est aujourd'hui le premier jour du printemps, quand à Brest on célèbre (ou pas) le premier jour de l'automne
Est-ce que cela vous étonne d'imaginer passer noël en plein été ? Simplement parce que l'on a été habitué à associer le sapin à la neige, au froid et aux marrons grillés...

J'ai trouvé il y a quelques jours un planisphère inversé, l'hémisphère nord était en bas et l'hémisphère sud était en haut, le pôle nord tête en bas et l'Antarctique tête en l'air
Après tout, pourquoi pas ? La Terre n'est qu'une immense sphère, qui a dit qu'elle devait voir trôner le Groënland sur son front et l'Australie sous son menton ?



Bref, je laisse là mes réflexions métaphysiques stériles (c'est ça l'air du printemps, ça fait bourgeonner les petites cellules grises qui sortent enfin de leur hibernation) et en reviens à l'objet de ce message : simplement vous transmettre un lien intéressant, le carnet de voyage de Sophie Lautier, une journaliste de l'AFP qui a effectué la rotation du Marion Dufresne d'OP2 2012 et qui nous fait partager cette expérience sur son site, en attendant de pouvoir lire son compte-rendu plus détaillé dans les semaines à venir


Bonne lecture, et bon changement de saison, où que vous soyez, tête en l'air ou tête en bas !

Île Pender - ou l'art de remonter dans le temps


Depuis la découverte de l’archipel en 1772 par le chevalier de Kerguelen, l’homme n’a pas tardé à laisser son empreinte sur ces îles jusque là vierges de toute influence extérieure, protégées par des milliers de kilomètres d’océan et de tempête. Après les lapins, les souris et les maladies, arrivèrent bientôt les pissenlits, les herbes hautes et autres espèces fourragères ainsi que les insectes qui utilisèrent végétaux et animaux (moutons, mouflons) comme radeaux de la méduse.
La physionomie du territoire qui nous entoure en a été irrémédiablement bouleversée, et les décors végétaux que l’on observe désormais autour de la base et dans la plupart des transits n’ont plus rien à voir avec  les Kerguelen des origines, il y à peine 240 ans – autant dire un grain de sable dans l’histoire de notre planète. Mais heureusement, il existe encore des refuges plus ou moins préservés par le cours de la colonisation. Des îles où lapins, souris et moutons n’ont jamais posé les pattes. Des endroits où les hommes ne vont que rarement, voire jamais.

Classée en réserve intégrale, l’île Pender dans le golfe du Morbihan fait partie de ces lieux partiellement préservés. La dernière visite de l’homme remonte à 2010, et sur dérogation du Préfet des TAAF, deux personnes ont aujourd’hui le droit d’y retourner pour quelques heures de prospection. Thomas, l’ornithologue de la ResNat, doit aller recenser la colonie de manchots papous qui y a établi domicile, et j’ai la chance de pouvoir l’accompagner pour « l’épauler » dans sa tâche.

Après un voyage en chaland quelque peu mouvementé par la petite tempête qui nous secoue – sans doute afin de célébrer la seconde sortie pour Brice, le nouveau bosco de la 63ème mission – l’Aventure II nous dépose dans un recoin de barres rocheuses sculptées naturellement en escalier qui remonte jusqu’au plateau végétal. Le temps de grimper sur le rocher noir et de saluer Gwen que le chaland fait déjà demi-tour dans l’eau bleue translucide sous un beau soleil de fin d’hiver qui peine malheureusement à nous réchauffer, le vent n’a pas oublié de se lever ce matin et nous glace le sang.
Thomas sort son GPS afin de retrouver le point où était située la colonie en 2010 et nous partons aussitôt dans la direction indiquée. Même sans point GPS, la retrouver ne serait pas des plus difficiles, étant donné que l’île fait moins de 2 km de long et à peine 500 m de large.
Contrairement à la Péninsule Courbet où la marche sur cette longue étendue d’acaena  est compliquée par les terriers de lapins qui, sans prévenir; s’écroulent  sous nos pieds, avancer sur Pender s’avère une tâche bien plus ardue. Partout, à perte de vue, s’étalent des choux de Kerguelen et de l’azorelle en énormes coussins verts vif dont le retour de la verdure symbolise définitivement la fin de l’hiver et l’approche imminente du printemps. Ces deux plantes sont extrêmement fragiles et  bien évidemment protégées. Gare à celui qui posera le pied dessus ! S’ensuit donc une petite marche acrobatique, où Thomas et ses grandes jambes et moi avec mes petits pieds, nous tentons d’avancer en zigzagant entre choux et azorelle. Ça et là, quelques bien plus rares touffes d’acaena émergent de ce réseau compact, dont les branches marrons encore grillées par l’hiver laissent elles aussi, enfin, apparaître les premières touffes de feuilles vertes tout juste naissantes.
Une fois parvenus au sommet de la falaise qui court sur toute la partie nord-est de l’île, nous avançons désormais sur un terrain de cotula plumosa (une petite plante couvrante aux feuilles douces dont les otaries raffolent) et d’herbes hautes. Finalement, nul besoin de GPS pour repérer la colonie de papous : après l’odeur qui nous saisit nous ne tardons pas à entendre les chants de parades amoureuses. Encore un dernier rocher à escalader, et nous tombons enfin sur eux.

Si la Réserve Naturelle a choisi cette période spécifique pour recenser la colonie, c’est que c’est la période de couvaison. Des centaines de manchots papous sont ainsi allongés sur leur nid et couvent chacun un œuf. Notre travail du jour : compter l’ensemble des papous sur œuf.
Pendant que nous nous postons au meilleur point de vue, à une distance respectable afin de ne pas les effrayer au risque qu’ils abandonnent le nid et l’œuf (les skuas ne sont jamais loin), un va et vient permanent se poursuit en périphérie de la colonie. Car, fait amusant, celle-ci est située à la pointe nord-est de l’île, au sommet d’une falaise infranchissable. En permanence on peut voir revenir et partir vers l’ouest des papous qui traversent champs de cailloux, choux et azorelles (les bêtes à palmes ont le droit) pour se relayer sur le nid.
   

                                


Une fois le comptage fini (330 papous sur œuf), nous abandonnons la colonie et suivons les quelques papous qui s’en éloignent. A ma grande surprise, ils doivent faire près de cinq cents mètres pour traverser de part en part l’île afin de regagner la mer. Quelle logique les a poussés  à s’installer si loin du rivage ?
Les rafales de vent qui, sur ce versant de l’île, nous déséquilibrent et font planer  sans effort cracous et canards d’Eaton au-dessus de nos têtes m’apportent sans doute un fragment de réponse…


Après avoir exploré la partie ouest de l’île où des choux de Kerguelen rivalisent en hauteur tout en dévoilant sans avarice leurs fleurs nouvelles, nous remontons sur un chaos rocheux plus au sud.
Déjà, le chaland émerge devant l’île Bryer, revenant de Mayès où il a déposé les ornithos. Il est temps de rentrer, et d’abandonner cette petite île qui, l’espace de deux heures, m’a offert un autre visage de Kerguelen. L’image d’une autre époque, celle de sa végétation authentique, le premier décor minéral et végétal sur lequel les premiers hommes ont posé un regard incrédule et, peut-être, aussi émerveillé que le mien aujourd’hui…













Flash Météo depuis l'archipel Arc-en-ciel



L'hiver touche à sa fin
En effet, il y a des signes qui ne trompent pas :  je sors plus souvent en oubliant gants, bonnet et même parfois le manteau, les skuas reprennent possession de la base et des airs, les lapins sont de plus en plus guillerets dans l'acena, qui elle se fait encore un peu désirer avant de reverdir
Et surtout, de tous ces évènements, le plus représentatif est sans nul doute le retour des éléphants de mer qui repeuplent lentement mais sûrement nos côtes, ne se lassant pas de surprendre nos nouveaux compagnons d'aventure : " Mais, c'est quoi cet énorme rocher qui bouge ?"


Pourtant, comme nous, l'hiver s'accroche tant bien que mal à Kerguelen, laissant traîner derrière lui des vagues de neige et de vent qui traversent la base en plongeant subitement les bâtiments dans un tourbillon de flocons, faisant disparaître les sommets de Ronarc'h et rougir mes joues glacées par le vent

Comme dans un feu d'artifice, il faut un bouquet final, et alors que l'on se prépare à recevoir le printemps - que l'on attend tous impatiemment - nous avons essuyé cette nuit une nouvelle tempête record qui est venu détrôner celle du mois de juillet.
Ce matin au petit-déjeuner, les visages sont tirés après une courte nuit de sommeil hantée par le ronronnement des rafales impressionnantes qui ont fait trembler les murs, voler les planches, bomber les fenêtres et basculer sur le côté les toilettes du club Réu.
C'est à peine surprenant de découvrir ce matin un petit flash info de nos amis de MétéoFrance :
nouveau record avec des rafales allant jusqu'à 48m/s, soit 173km/h !

Quel que soit le mois ou la saison, Kerguelen ne cessera de me surprendre par les ressources qu'elle développe pour nous piéger dans des conditions climatiques imprévisibles et continuellement changeantes : on se lève un matin avec le soleil et une mer d'huile, en fin de matinée la pluie nous glace sur le peu de distance qu'il y a à parcourir entre SamuKer et TiKer, puis après le déjeuner le soleil fait scintiller le mont Ross au-dessus des nuages tandis qu'un vent réveille tous les moutons du golfe du Morbihan sur lesquels le chaland se laisse bercer dans un long roulis-tangage accroché à son mouillage, l'après-midi des tempêtes de neige successives font blanchir alternativement sols et voitures avant que le soleil ne réapparaisse au soir.

Une seule certitude au milieu de tout ce maëlstrom météorologique, un rendez-vous quotidien et dont je me lasserai jamais, un clin d'oeil coloré que nous offre l'association du soleil et de l'humidité omniprésente : un arc-en-ciel.
Le chevalier Yves de Kerguelen de Trémarrec a baptisé cet endroit les îles de la Désolation, pour ma part je les rebaptiserai  l'archipel Arc-en-Ciel, car il ne passe pas une seule journée sans qu'un toboggan multicolore ne vienne illuminer notre horizon et dessiner dans nos esprits des rêves de trésors enfouis et de merveilles d'un autre monde.




 









Une observation unique offerte 
par un coucher de soleil : 
un arc-en-ciel vertical intra-nuageux

OP2 2012


Aurore australe et lever de lune rousse au-dessus des feux d'alignement du Marion









 Il existe certaines situations qui nécessitent de prendre un peu de temps et de distance avant de coucher sur le papier les pensées qui nous bousculent plutôt que de nous effleurer.

L’OP2 fait partie de ces moments.
Une OP, c’est un évènement comme hors du temps au milieu de l’hivernage. Soudainement, le retour du Marion Dufresne nous submerge de nouveautés, nous raccorde brutalement au reste du monde comme si un élastique géant était tendu entre la Réunion, la métropole, et notre petit archipel. Pourtant, comme tout élastique, lorsqu’on le tend trop, il casse. Et c’est la fin de l’OP. Le bateau repart, et avec lui les visages qui sont venus bouleverser notre routine quotidienne, un peu coupée du monde.
  

 J’aurais aimé vous faire partager l’OP en direct, mais je n’en ai trouvé ni le temps ni le courage. Comment vous faire part de ce maëlstrom d’émotions diverses et contradictoires qui nous assaillent ? Car l’OP2 n’est pas une OP comme les autres. Certes avec chaque passage du Marion nous avons vu arriver de nouvelles têtes, et partir certaines personnes. Et je ressens encore l’émotion qui m’a envahie lorsque j’ai vu décoller l’hélico qui emmenait Nina, Florian, Manu météo, Tiphaine, les deux fantastiques belges de Galileo, Nico Bout de Bois ou encore Christian le plongeur. Pourtant, jamais nous n’avons vécu ce qui se prépare, le départ d’autant de personnes d’un seul coup : la mission 62 arrive à son terme, et ainsi vont partir 33 des hivernants de Kerguelen, avec qui j’ai partagé les neuf mois les plus enrichissants et étourdissants de mon existence.
Mais qui dit départ dit aussi arrivée… l’arrivée de la 63ème mission de Kerguelen.


Mardi 4 septembre 2012


La nuit a été courte pour tout le monde. Un puissant vent de nord s’est levé au milieu de la nuit, prenant rapidement de la puissance. Ses violentes rafales ont fait hurler les murs de chaque bâtiment, et trembler les fenêtres et portes. Lorsque je sors de SAMUKER peu avant l’aube, le golfe n’est qu’une immense mer déchaînée. Mon cœur se serre brutalement en distinguant à l’extrémité est de la péninsule Ronarc’h une lumière qui n’y existe pas normalement. Le Marion Dufresne II vient de franchir la passe royale.


 C’est le premier jour de l’OP2 2012, toute la base est parée pour accueillir touristes, partants de Crozet, arrivants d’Amsterdam, personnels du siège et surtout les nouveaux arrivants de la future mission 63. Les bâtiments ont été lessivés, le matériel rangé dans d’immenses containers prêt à partir pour la Réunion, les malles des partants sont bouclées et empilées. Les chambres sont vidées et nettoyées, et tous les partants momentanément installés à Ker Avel. Quelle étrange atmosphère, comme un goût de fin de grandes vacances, bien que ça soit ici l’inverse qui attendent nos partants. La fin d’une mission de douze mois et le début imminent de quelques semaines de congés bien méritées. 



 Rapidement, les premiers contacts radio sont établis entre Patrick le DisKer et l’OPEA du Marion Dufresne. Nous nous rendons bien vite à l’évidence que la météo ne joue pas en notre faveur. Les rafales de vent montent jusqu’à 78 nœuds, impossible de faire décoller le moindre hélico ni débuter le transport de matériel par chaland. Débute ainsi une longue journée d’attente. Nous sommes comme privés de toute activité. Le programme de la journée était précisément prévu par Patrick, et soudain nous voilà tout désœuvrés. Quelle frustration de distinguer la haute silhouette du navire ravitailleur des TAAF qui fait des rails au large de PAF, émergeant et disparaissant alternativement dans les nuages qui filent à vive allure dans le golfe.
C’est l’une des plus belles tempêtes  que la mission 62 a connu, tellement déroutante pour nous tous plus habitués à un vent de sud-ouest. Les bruits dans les logements sont totalement inhabituels, les voitures d’habitude à l’abri se mettent à danser la salsa sur leurs suspensions en encaissant les rafales de vent. Et dans la baie, je n’ai jamais vu autant d’eau soulevée à la crête des vagues et qui balayent le mouillage du chaland comme si l’on s’était assoupi sur la manette ON d’un gigantesque brumisateur. 



Mercredi 5 septembre 2012


Durant la nuit le vent est retombé, et une tempête de ciel bleu semble vouloir venir relayer la dépression qui a balayé Kerguelen. Sur la mer d’huile, le Marion est venu se poser en douceur à son point de mouillage, non loin du port pétrolier. L’OP2 2012 peut enfin commencer : l’hélicoptère va débuter le long va et vient entre le navire et la base pour amener courrier et personnel tandis que la manche à gasoil va être tirée du port pétrolier au Marion afin de nous ravitailler en carburant pour tenir les prochains mois.
 

Fuyant l’effervescence qui règne à Tiker parmi les amis qui sentent le départ approcher, je descends à la flottille pour admirer le Marion dont le reflet dans l’eau dessine une silhouette quasi parfaite dont seules les algues viennent troubler les lignes droites. En atteignant le quai, Denis et Gwenn descendent tout juste sur le zodiac pour rejoindre le chaland. Et me voilà filant avec eux sur l’eau plus plate qu’un miroir de télescope, sous un lever de soleil comme on ne peut se lasser. C’est mon dernier voyage sur le chaland avec Denis, se sont les dernières fois pour lui qu’il monte en tant que Bosco de l’Aventure II. Après avoir fait chauffer la machinerie, nous rejoignons le quai où le chaland va rester jusqu’à ce qu’on descende une nouvelle hélice qui sera aussitôt mise en place avant de pouvoir commencer les opérations de chargement et déchargement des containers.

 


 7h, les pales de l’hélico se mettent à tourner. Voilà un spectacle dont je ne me lasserai pas non plus, l’envol de ce drôle d’insecte blanc et bleu au-dessus de la DZ du Marion qui en quelques secondes vient se poser en douceur sur la DZ de Port-Aux-Français. Le premier voyage est pour l’administrateur supérieur des TAAF, le Préfet Bolot, ainsi que les premiers sacs postaux. Encore quelques hélicos de dépêche postale ainsi que l’arrivée de notre futur chef de district, Jean-François Vanacker, et les rotations s’enchaînent pour faire descendre les nouveaux hivernants de Ker63, les interdistricts, les personnels du siège. Quelle effervescence, quel étourdissement devant tous ces nouveaux visages, souriants et enthousiastes de découvrir leur nouveau cadre de travail et de vie. Quelle joie de revoir aussi certains visages, comme Denise la Petite Marie avec qui j’étais arrivée en décembre 2011.

Petit  à petit, les arrivants rencontrent leurs prédécesseurs, et la DZ se vide, l’un accompagnant l’autre dans sa chambre puis son lieu de travail. On prend peu à peu pleinement conscience du changement qui débute, qui va s’opérer tout au long des prochains jours.

 Panneau d'accueil des nouveaux météos par les "anciens"

Pour moi, la matinée va désormais se partager entre obligations professionnelles – dépotage des médicaments et matériel reçus via Martin le médecin de bord, consultations médicales – et activités extra-professionnelles : dépotage du courrier et livraison des colis puis lettres aux hivernants, accompagnement de l’épouse d’un de nos météos qui est venue parmi les touristes sans que son mari ne  soit au courant. Je la récupère à la DZ deux heures après l’arrivée des nouveaux météos, puis la conduit à la station Météo France où Philou, le chef météo, a commencé à faire visiter les locaux à ses remplaçants. Il existe une expression à Kerguelen qui dit « Ce qui se passe à Ker reste à Ker ». Les retrouvailles, par surprise de surcroît, entre une épouse et son mari, séparés depuis 9 mois, font partie de ces moments merveilleux et magiques dont les détails doivent rester ici.
Pour le déjeuner, nous nous retrouvons tous à TiKer. Je vous laisse imaginer le choc de passer de 50 personnes (mais l’on s’est rarement retrouvés à ce nombre-là) à plus de 100 personnes d’un seul coup dans la salle de restaurant soudain bombée et qui paraît presque trop petite. Peu importe, je n’ai d’yeux que pour le buffet… De la laitue ! Des concombres ! Des poivrons !
 
Salade verte, tomates fraîches et viande de boeuf d'Amsterdam - mmmhmmm

On reconnaît les hivernants rien qu’à leur assiette, débordante de produits frais dont nous n’avions ni vu la couleur ni senti le parfum depuis des mois. Et le goût ! Il faut s’éloigner des choses simples pour réaliser combien c’est précieux. La première feuille de laitue se savoure, les yeux fermés. Puis viennent le tour des concombres, des poivrons, des tomates. Jamais légumes et fruits n’ont eu pareille saveur. Même la vinaigrette devient superflue.
Une fois repue de salade, de légumes et de fruits, je retourne dans ma chambre pour le deuxième meilleur moment de la journée : l’ouverture du courrier.
Merci, merci, merci, merci, merci, merci… A tous

 6 mois de courrier en une seule fois... waou ! Comment vous remercier ?


PS : Elise, si tu ne vois pas ton chèche sur le lit, c’est parce que je l’ai déjà autour du cou au moment où je prends la photo

Le résultat de plus de 6 mois d'attente 
à la Poste de la Réunion



Jeudi 6 septembre 














Debout derrière les billigs (grande plaque en fonte où l’on tourne les crêpes) depuis 17h, j’observe l’ensemble des personnes rassemblées dans Totoche. Ce soir nous sommes plus d’une centaine réunies dans la salle commune de PAF. Après avoir fini le transfert de carburant entre le Marion et le port pétrolier (encore quelques heures et nous aurons de quoi tenir les prochains mois), Pascal Centrale m’a aussitôt rejoint pour m’aider à tourner les 300 crêpes à préparer pour la soirée de ce soir. Car c’est un moment très spécial dans l’OP, le soir de la passation.


Voilà deux jours que l’OP a débuté pour de bon, et que chaque partant transmet matériel et consigne à son successeur. Ce soir marque le tournant avec le point final de la mission 62 et le début de la mission 63. Pendant que notre tas de crêpes grimpe lentement mais sûrement, les gens remontent petit à petit de la salle de restaurant. A 20h15, Patrick arrive enfin, en costume et arborant une dernière fois l’écharpe tricolore de Chef de District. Avec lui, Jean-François Vanacker et Mr Bolot dans la tenue blanche de Préfet des TAAF.

 Jean-François VANACKER - Disker 63, Mr le Préfet BOLOT et Patrick HAON - DisKer 62

 Après un bref discours teinté d’émotion, vient l’heure de la passation : Patrick retire son écharpe et en revêt Jean-François qui devient officiellement notre nouveau chef de District à Kerguelen. Avec l’écharpe il reçoit les clefs de Ker et la sacro-sainte radio. Avec cette transmission officielle des charges entre Patrick et Jean-François, c’est l’ensemble des partants qui transmettent leur fonction à leur successeur de la 63ème mission. L’expression mainte fois répétée depuis quelques semaines, en souriant : « MST » (ce qui signifie « Mon Successeur Traitera ») prend ce soir tout son sens.



Samedi 8 septembre

Comme j’ai porté l’appareil photo devant mes yeux pour en masquer les larmes, je prends maintenant le papier pour apaiser les pensées qui tourbillonnent dans mon esprit.
Une forte tempête de neige fait rage au-dehors. J’ai toujours aimé et espéré la neige ici, mais ce matin elle s’est avérée être notre pire ennemi. Le départ du Marion était initialement prévu à 14h, mais durant le petit-déjeuner l’information tombe comme un coup de massue : le départ est avancé et prévu dans une heure et demie, à 9h. branle bas de combat sur la base, branle bas de combat dans les esprits. Les partants ont à peine le temps de rassembler leurs affaires que nous nous retrouvons déjà sur la DZ, et les rotations hélico débutent, s’enchaînant au milieu d’averses de neige jouant à saute mouton avec quelques rayons de soleil. 





Les larmes que je retenais difficilement depuis deux jours font finalement céder les faibles barrières que j’avais dressées sur leur chemin, et chaque nouvelle embrassade entraîne un déferlement de perles salées. En l’espace de quelques minutes, le groupe rassemblé sur la DZ se réduit de plus en plus, tous les visages qui ont bercé mon quotidien depuis 9 mois s’effacent les uns après les autres derrière les vitres de l’hélicoptère. 

 Au Revoir Au revoir "Amiral" Denis !



Yannick, Papounet, Patrick, Pascal, Philou, Eric, Aubin, Joany, Micha, Antoine, Pimpon, Didier, Patrick, Tony, Christian, JC, Gégé, Serge, David, Philippe, Miguel, Micka, Pascal, Lilian, Francis, Abdou, Marie-Céline, Denis, David, Stéphane, Jean-François, Nicol. 


 Merci à vous tous...




 











Le dernier vol du DisKer 62


A peine le temps de monter à la chapelle pour un dernier adieu que le Marion Dufresne a déjà appareillé, et je distingue à peine sa lointaine silhouette masquée par un nuage de flocons. La radio nous rapproche virtuellement d’eux pendant encore quelques minutes, le temps d’un dernier échange, de dernières boutades, de derniers messages tristes comme souriants. 

 
Lorsque je rejoins SAMUKER dans le vent glacial, j’ai du mal à réaliser ce qui nous arrive…

 Port Aux Français depuis le Marion Dufresne

Épilogue

OP2 2012 m’aura faite réaliser que séjourner à Kerguelen, c’est un peu comme passer une longue nuit de garde à l’hôpital – comparaison professionnelle que ne parlera peut-être pas à tout le monde… je m’en excuse

Lorsque l'on débute la nuit de garde, l’on est stimulé par la nouveauté, la rencontre de l’équipe, la motivation encore intacte.
L’activité est intense et l’on ne voit pas le temps passer, l’on n’a pas le temps de s’ennuyer.

Puis arrive l’hivernage, le creux de la nuit : à ce moment-là, on commence à fatiguer, tout est plus pénible, on est moins réactif, plus susceptible aussi. Et comme tout milieu de nuit, le service fonctionne au ralenti – ce qui cependant n’est pas vrai aux urgences – peu d’activités mais il faut pourtant être là pour assurer la continuité des soins.

Puis le matin se profile, l’activité reprend un peu, et les équipes autour de soi changent ; on voit partir ceux que l’on avait vu arriver après soi hier soir, et l’on voit revenir ceux à qui l’on avait dit au revoir la veille.
Et pourtant, on est toujours là, et l’on se demande un peu pourquoi – même si l’on sait pertinemment que voir le changement d’équipe signifie qu’il sera bientôt l’heure pour nous aussi d’être relevé, et l'on observe toujours ces anciens camarades d’infortune ou de bonheur partir avec un petit pincement au cœur…
  
 






… Tout en se demandant si, un jour, on pourra à nouveau partager une nuit de garde avec eux…