La vie de chantier - Prologue

















Il y a peu de temps, en présentant les espèces animales introduites sur Kerguelen, j’en suis arrivée à parler d’ArMor, une ancienne station d’élevage de saumons. En écrivant ces lignes à ce moment-là, je ne m’attendais pas à pouvoir m’y rendre à peine quelques jours plus tard.


 Le Ross émergeant entre la brume et les nuages


Congé à PJDA - Week-end du 18-20 août 2012


Le chaland quitte la flottille de PAF au petit matin dans un calme comme seules les aubes d’un bout de monde perdu peuvent en offrir, même si aujourd’hui il semble particulièrement exceptionnel. En effet, pas un souffle de vent ne vient rider la surface du golfe soudain plus lisse qu’un lac. Une écharpe de brouillard s’accroche aux îles qui semblent émerger d’un rêve étrange en entendant le ronronnement du chaland. 

 
 L'île Mayès comme dans un rêve

Ces géantes de pierre secouent alors leurs larges épaules pour faire glisser la couverture de nuage blanc, laissant furtivement apparaître la noirceur de leurs côtes sculptées de grèves ou de falaises. Puis, alors que l’Aventure II s’éloigne déjà, le silence retombe sur Mayès, Australia ou Longue en  même temps que le voile de brume se referme sur elles, les isolant de nouveau du reste du golfe. 
 


Le chaland est plein, aussi bien en matériel qu’en passagers. Quatorze à bord, Denis et Gwenn pour l’équipage, et douze VAT en partance pour un week-end de détente entre nous. Seul Guillaume Magné-Sismo n’a pu se libérer de l’étreinte de PAF, contraint d’assurer la routine de Géophy. 
Voilà 9 mois que nous sommes tous arrivés à Kerguelen, et même presque 11 mois pour Maxime, Alexis et Thibaut qui nous avait précédés via la campagne océanographique KEOPS d’Octobre 2011. Pourtant, rares sont les occasions que nous avons de passer du temps tous ensemble, les autres VAT étant tous accaparés par leurs manips respectives, éparpillées sur le territoire de Kerguelen. 

 Les 12 (sur 13) VAT de la mission Ker62
Photo de Thibaut ResNat

Pour ce week-end de loisir – à l’exception des ResNat qui doivent effectuer un comptage de canards sur l’estran du hallage des Swains, fine bande de terre reliant la presqu’île Jeanne d’Arc à la Grande Terre – nous avons décidé de nous retrouver dans les ruines de Port Jeanne d’Arc, comme cela semble être la tradition à chaque génération de VAT. 

Comptage canards par la ResNat


Je ne suis plus venue ici depuis Noël, et c’est avec le même émerveillement que je redécouvre les ruines de cette ancienne station baleinière où les fantômes des familles qui vécurent ici semblent encore se glisser entre les tas de tôle rouillée qui se décomposent inexorablement. 





Quel calme, quelle détente. Pas de contrainte horaire, j’ai même oublié ma montre sur le bureau de ma chambre en partant, si bien que je me sens d’autant plus déconnectée. Chacun vaque à ses occupations selon l’envie, ici l’on lit, là l’on joue à la belote tandis qu’une partie de scrabble acharnée s’est entamée à l’autre extrémité de la table. Profitant de belles éclaircies entre deux averses, je sors chaque jour randonner aux alentours de la cabane. 



 Après la côte où nous découvrons un étonnant phénomène géologique que même Thibaut Ornitho (qui a également étudié la géologie) ne peut expliquer, je passe un long moment à observer le vol rapide de sternes qui pêchent devant un arc-en-ciel qui a emménagé devant PJDA. 

 La falaise du bord de mer est coupée nette comme avec une scie circulaire géante



 Puis je rejoins Nath, Thomas et Thibaut ornitho qui remontent la vallée du charbon par la rive gauche. 

 La vallée du charbon, PJDA sur le rivage et l'île Longue au loin

Le lendemain, je retourne dans la vallée du charbon avec Thibaut ResNat cette fois-ci, puis de là nous poussons jusqu’à la vallée des neiges d’où nous profitons d’une superbe vue sur Ronarc’h et l’extrémité sud du Golfe. 

 La vallée des neiges (et Thibaut ResNat), l'île Longue et au loin la presqu'île Ronarc'h

 Sculptures géologiques

En traversant une cascade, je réalise que l’Azorelle se remet à verdir. 


Ces épais coussins de végétation rase, auxquels l’on fait toujours extrêmement attention en raison de sa pousse lente et fragile, avait viré au marron durant l’hiver. Et voilà que de jolis cœurs verts surgissent au centre de chaque corolle d’anciennes feuilles marron. L’hiver serait-il en train de reculer ? Comme pour confirmer mes soupçons, en rentrant à la cabane nous croisons un skua. Je n’en avais plus vu depuis bien avant la midwinter, ces pétrels au plumage marron abandonnant nos côtes pour l’hiver. Le retour du skua annonce donc le retour imminent de quantités d’autres espèces. La période des parades nuptiales reprendra d’ici quelques semaines. 

 Le dôme rouge devant la "cascade jaune"

Ce week-end loisir se clôturera en beauté avec l’ascension du Dôme Rouge. Comme à Noël, celle-ci se fera sous la pluie et le vent, mais même si l’horizon est obstrué par de lourds nuages gris, le point de vue depuis le sommet sur le hallage des Swains et le golfe est superbe. Et d’ici, on prend la mesure de toute la longueur de la bien nommée Longue.

 Au sommet

 La vue sur le golfe depuis le dôme rouge

En attendant le retour du soleil qui précèdera sans doute celui des animaux qui redonneront vie et animation à Kerguelen, notre week-end à PJDA touche à son terme. Le chaland revient chercher les autres VAT qui vont chacun se dispatcher sur différent sites du golfe pour les dernières manips avant l’OP. 

Pour ma part, je ne le vois que de loin. Ma semaine de congés ne fait que commencer : direction ArMor.


Transit PJDA-ArMor – mardi 21 août 2012 

Cette ancienne station d’élevage de saumons est à l’abandon depuis 1994, date à laquelle l’ambition de commercialiser des filets de saumons de Kerguelen s’est avérée surréaliste en raison de la crise économique qui a entraîné derrière elle une hausse vertigineuse du prix du carburant – ne rendant plus du tout rentable cet élevage en raison des frais de transports. Après quelques cessions de nettoyage et dépollution du site par le groupe des marins, Pascal le chef Centrale a monté une dernière manip afin de réhabiliter l’une de fillods. L’ancienne demeure, désormais cabane pour les scientifiques de passage, prend l’eau par tous les trous de ses murs ou de ses fenêtres. Pascal a donc décidé de déplacer l’abri vers une fillod plus saine. C’est pour cette raison que Baptiste et moi le rejoignons à ArMor afin de l’aider dans sa tâche.



Le transit entre PJDA et ArMor se fait sous une pluie continue, qui associée au vent qui souffle par violentes rafales à 45 nœuds, nous glace jusqu’aux os. Si bien que nous ne nous arrêterons même pas pour déjeuner, trop impatient d’arriver et bien incapable de se réchauffer dès que l’on s’arrête de marcher. Malgré tout, la randonnée de 3h30 entre les deux sites est superbe, nous faisant osciller entre différentes vallées et barres rocheuses. En arrivant au pied du volcan du diable, nous repérons un groupe de quelques rennes au loin. Alors que je fixe mes pieds afin d’éviter les énormes tapis d’Azorelle qui couvrent le sol de roche volcanique pulvérisée, Baptiste me fait signe de regarder plus loin. Je tombe alors nez à nez avec un renne isolé du groupe. Il n’est qu’à quelques mètres à peine, je n’en avais encore jamais vu de si près. L’animal nous contemple pendant quelques secondes, il est bien difficile de dire à cet instant lequel, de l’homme ou du renne, est le plus curieux. Puis, après un bruyant souffle envoyant un nuage de fumée blanche, il fait demi-tour, repartant au petit trot vers le groupe qui ne semble pas avoir remarqué notre présence. Lorsque nous parvenons à l’endroit où il se tenait, on ne peut que constater l’ampleur des dégâts que provoque un renne dans les fragiles coussins d’Azorelle. La plupart des touffes sont éventrées, retournées par ses sabots ou ses bois, afin d’en grignoter les racines. Difficile de ne pas prendre conscience de l’impact dévastateur lié à l’introduction d’un animal pourtant si fascinant. 

 
Nous contournons le volcan du diable dont nous avions initialement prévu d’aller saluer le sommet, mais dont le projet a été bien vite abandonné devant la météo exécrable. Encore trente minutes de marche au bord des lacs d’enfer puis d’Armor, et enfin, la base apparaît. Des bâtiments bariolés aux couleurs pastel, posés sur les rochers entre les deux eaux agitées, l’une du lac, l’autre du golfe.
Côté mer, le chaland aussi arrive tout juste. A peine le temps de poser notre sac à dos, de saluer Denis et Gwenn sur le chaland, Pascal et Guillaume EDK pour le chantier, mais aussi les trois ResNat, et nous voilà à décharger les kilos de matériel de bricolage. Nous sommes le 21 août, et pour moi, la vie de chantier va commencer.
 
















Ce soir les vêtements sèchent
Demain, le chantier commence !


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