A la rencontre du seigneur des Kerguelen - Première partie


Si vous regardez de plus près le blason des TAAF, vous noterez qu’un animal est particulièrement mis en valeur : l’éléphant de mer

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Et à juste titre... en effet, si je devais ne citer qu’une seule espèce emblématique des Kerguelen, ce serait bel et bien l’éléphant de mer que je choisirais. Car il est omniprésent, aussi bien par l’abondance de sa population, du fait son impressionnant gabarit qui ne passe pas inaperçu, de par  la puissance de ses vocalises qui, durant l’été, viennent joliment fleurir le silence de jour comme de nuit, mais aussi par l’importance que cette espèce a représenté dans l’histoire récente des Kerguelen.

 Si j’ai mis tant de temps à m’atteler la rédaction d'un message sur cet animal exceptionnel, c’est qu’il m’aura fallu autant de mois passés ici depuis mon arrivée, non seulement pour réaliser l’importance de cette créature à l’allure si pataude et inesthétique, mais aussi et surtout pour en apprendre suffisamment pour tenter de vous en présenter une image la plus fidèle. Et pourtant, je suis bien loin de prétendre connaître tout de nos encombrants, bruyants et odorants voisins : quand bien même je serais parvenue à recueillir tout le savoir de Guillaume, notre nouveau PopEléph arrivé à OP2, que je ne pourrai toujours pas prétendre « connaître et comprendre l’éléphant de mer », et pour cause, les biologistes actuels sont encore bien loin d’avoir tout découvert sur ces incroyables créatures.
Et Guillaume justement, m’a offert récemment la possibilité de lever un peu plus le voile sur la vie cachée de l’éléphant de mer austral. Guillaume, c’est notre pacha à nous. Un géant barbu au regard aussi doux que son caractère, aussi fasciné par son sujet d’étude que par son yukulélé (qui semble  d’autant plus petit que ce jeune homme frôle les 2m de haut !). Marchant dans l’immense ombre de notre nouvel ami, me voilà donc en route pour la pointe Morne, pour une semaine d’aventure au pays des éléphants de mer.

Classe : Mammifère – Genre : Phoque – Nom de code : Mirounga leonis


Parmi toutes les espèces de phoque, l’éléphant de mer austral est le plus grand de tous – les mâles adultes, mesurant 3 à 6 mètres de long, pèsent de 1 à 4 tonnes ! La différence est très marquée avec les femelles dont le poids n’excède pas les 500kg pour 2m70.

Un rapport de force légèrement inégal

Pour donner une échelle 
(sachant que les deux humains sont plutôt grands, et cet éléph plutôt petit)


 L’autre distinction entre les deux sexes, et qui lui a valu son nom d’ « éléphant » de mer, est le volumineux museau retombant devant sa bouche telle une courte trompe – celle-ci lui sert de caisse de résonnance lorsqu’il rugit (ou éructe) afin d’affirmer sa puissance et son autorité sur le harem

Pas content !

 Car – et ça en fera sans doute rêver certains – l’éléphant de mer est polygame. En effet, durant les périodes de naissance de reproduction et de mue, les éléphants de mer se rassemblent sur les plages en groupe d’une cinquantaine d’individus, toutes des femelles, sur lequel règne un grand mâle dominant. Une dizaine de mâles « célibataires » occupent l’espace autour du harem, tentant parfois de saisir une femelle un peu isolée ou avant qu’elle ne rejoigne la mer, ou pire viennent affronter le mâle dominant afin de le détrôner. Cela donne lieu à d’impressionnants combats dans lesquels les deux créatures de plusieurs tonnes chacune se redresse sur le partie postérieure de leur corps – afin de faire montre de leur puissance – éructent et rugissent, avant de se précipiter l’une contre l’autre, frappant à coup de tête, de torse et de dents. 


 Combat de jeunes mâles adultes 
(photographie de Philippe Rouault - chef météo 62)

Joute nautique sous l'arbitrage du Mont Ross

Un combat ne dure jamais longtemps : la plupart du temps, il s’achève avant même d’avoir commencé, le rugissement du mâle dominant suffisant à dissuader l’adversaire plus « maigrichon » (tout est relatif). Mais lorsqu’ils doivent en venir aux… nageoires, les deux partis en ressortent généralement le corps lacéré de plaies profondes qui laisseront d’impressionnantes cicatrices (il paraît que ça fait craquer les femelles…).
 

 Tout irait pour le mieux si ce genre de combat se déroulait sur la plage, à distance du harem. Malheureusement généralement les spectateurs involontaires ne sont pas épargnés de dommages collatéraux : lorsque le pacha (le mâle dominant) voit un adversaire, il se précipite vers lui en fonçant à travers le harem. Se servant de ses nageoires ventrales comme de pattes avant, il ondule le reste de son corps pour avancer à l’image d’un immense rouleau compresseur, faisant fi des femelles qui auraient tardé à s’éloigner de son chemin, frappant voire écrasant les bonbons qui n’ont aucune chance face à une telle masse en mouvement. 

 Chaud devant !

La vie de pacha n’est donc pas de tout repos, et il n’est pas rare de voir un harem changer de pacha plusieurs fois dans la même journée.

Pour acquérir une telle masse et une telle énergie, l’éléphant de mer doit accumuler d’importantes quantités de graisse lors de ses longues périodes en mer. L’année d’un éléphant de mer pourrait se découper de la façon suivante (les mois sont donnés approximativement d’après mes propres observations, il y a très probablement des erreurs dans mon estimation) :
-          - Septembre – novembre : retour sur terre, constitution des harems avec naissance des bonbons puis reproduction une fois que le petit est sevré

Harems à perte de vue


-          - Décembre – janvier : période en mer pour chasser (seuls les petits restent sur terre)
-          - Février – mars : retour sur terre pour muer
-          - Avril – août : période en mer pour chasser
La gestation dure 9 mois comme chez l’être humain, en revanche comme vous avez pu  le constater précédemment, les femmes sont fécondées quasi-simultanément à la naissance du petit précédent – il se trouve que l’éléphant de mer est capable de suspendre la gestation afin de se laisser le temps de reconstituer des forces, et de faire en sorte  puis que la naissance suivante survienne un an plus tard à la bonne saison.

 
 Portrait de famille

Les études effectuées sur les éléphants de mer – et qui sont encore en cours – ont démontré que ce mammifère marin, au comportement solitaire en haute mer à l’opposé de ces grands rassemblements par milliers sur la plages bombées de côte d’az… euh des côtes de Ker –  plonge entre 400 et 1000m de profondeur pour chasser calmars et poissons, pour des apnées d’environ vingt minutes. Des pointes records ont été enregistrés à 2000m de profondeur ! pour près de 2h d’apnée ! Ils ne passent apparemment que très peu de temps en surface, quelques minutes le temps de reprendre de l’oxygène, et dorment en apnée, entre deux eaux. L’oxygène est stocké dans le sang (environ 46kg de sang pour un petit mâle d’une tonne) et les muscles. 

Un mâle périphérique
 
La population mondiale d’éléphant de mer australe serait autour de 700 000 individus, le sud de l’océan Indien avec Kerguelen et ses voisines sub-antarctiques représentant l’habitat de la deuxième sous-population la plus importante (après l’Atlantique Sud avec en particulier la Géorgie du Sud) : 200 000 individus dont les trois quarts seraient sur l’archipel des Kerguelen. En revanche, pour chasser, l’éléphant de mer descend bien plus au sud, entre le continent Antarctique et le front polaire (ligne de convergence entre les eaux glacées de l’Antarctique et celles plus chaude des océans Atlantique, Indien et Pacifique). 


Un voyage de plusieurs milliers de kilomètres, 2000km aller, 2000km retour, à raison de 60 plongées par jour en moyenne

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Le trajet d'éléphants de mer suivis par balise Argos
 Image tirée de

De quoi nous laisser admiratif, face à une créature qui défie le Guiness Book, tout en nous charmant par son allure pataude et placide une fois sur terre. Un géant calme au passage de l’homme, attitude que j’admire aujourd’hui, mais qui par le passé a inspiré bien des massacres… 

 Finalement, un coeur tendre se cache 
sous cette carapace de graisse et de muscle !

 Mais cela, ce sera l’objet du prochain message !



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