Nous ne sommes plus qu’à moins de deux jours de l’arrivée de l’Osiris, qui ne devrait rester que quelques heures au mouillage avant de repartir en direction d’Amsterdam : juste le temps de faire descendre les nouveaux arrivants de la 63 (l’ensemble des VAT, l’équipe médicale constituée par Pierre-Emmanuel (Bib) et Béatrice (Bibette),un réunionnais de l’infra et deux marins : le nouvel EDK et le nouveau mécano chaland), décharger matériel et vivres urgents, charger la dépêche postale et nos bagages, puis, enfin, nous-même, quatorze partants de l’ancienne mission 62. L’arrivée du navire contrôleur avec deux jours d’avance a contraint à écourter les manips sur le terrain, et malheureusement annuler ma dernière sortie hors base que j’attendais comme une ultime bouffée d’air pur. Une fois de plus, Kerguelen sait se faire désirer, et préserver sa part de mystère…
Quelle étrange sensation que de ranger une à une les affaires dans la malle et les sacs que je n’avais plus touché depuis un an ! Un léger déchirement m’étreint en retirant les photos du mur de cette chambre qui, désormais, n’est plus la mienne mais est déjà prête à accueillir Béatrice qui doit être impatiente – comme je l’étais moi-même il y a un an – de débuter cette mission et de faire ses premiers pas sur ce territoire du bout du monde.
Encore quelques heures à errer sur la base et il ne restera bientôt plus dans ces lieux que l’ombre de notre passage, dont les derniers témoins seront sans doute quelques photos sur l’ordinateur commun et mon écriture maladroite sur les boîtes de médicaments à la pharmacie…
Tout cela doit sembler bien morose à la lecture de ces quelques lignes, mais, à l’instar de toute expérience humaine, tout n’est pas blanc ou noir. Je suis déçue de rentrer de manière si précipitée, au regret de ne pouvoir assurer une passation digne de ce nom avec la nouvelle équipe médicale, navrée d’abandonner un endroit aussi incroyable, mais, au fond, heureuse à l’idée de retrouver bientôt ma famille, mes amis... et, aussi, je dois le reconnaître, un certain confort qui nous a fait défaut ici – et qui pour moi ne tient qu’en quatre mots : salade, fruits, légumes frais. Ça peut sembler être de bien petites préoccupations mais, je l’ai déjà dit, la nourriture occupe ici une place primordiale dans l’équilibre du moral du groupe – et je dois reconnaître que manger des fruits frais est devenue une véritable obsession, au point d’en rêver la nuit. Si bien que le bonheur d’une journée ne peut ainsi tenir qu’à peu de choses – en l’occurrence aujourd’hui au fait de découvrir sur la table du déjeuner un énorme plateau de salade de pissenlits (généreux présent de l’île Haute ramassé la veille) et qui aura constitué l’essentiel de mon repas.
Et tout en savourant chaque bouchée de cette fraîcheur condensée dans quelques centimètres de longues tiges vertes et croquantes, je ne peux qu’y découvrir une curieuse métaphore de ce qui est en train de nous arriver : se préparer à partir, boucler (difficilement) ses malles, ranger pour la dernière fois SAMUKER, nettoyer pour la dernière fois le bar Totoche, faire son dernier tour de déchets à KerPoub, tout ces indices qui signalent un à un l’imminence du départ, et qui laissent au cœur et à l’esprit une saveur douce-amère
Douce comme le vert lumineux de ces longues feuilles de pissenlit, dont la fraîcheur inonde le palais et la bouche d’une bouffée de bien-être qu’on n’aurait jamais soupçonné pouvoir provenir d’un si petit brin d’herbe – douce comme l’idée d’être bientôt à la maison, de revoir la famille, de retrouver ses amis et le calme d’un lieu où l’on ne vit pas 24h/24 avec les mêmes personnes pendant plusieurs mois
Amère comme la sève piquante que l’on extrait de la tige de pissenlit en la broyant entre ses dents – amère comme le fait d’abandonner derrière soi des gens avec qui, malgré tous leurs défauts et surtout grâce à toutes leurs qualités, l’on a appris à vivre au quotidien, amère comme le fait de poser une dernière fois les yeux sur un éléphant de mer, un manchot, les sommets enneigés, un coucher de soleil, un lever de lune, la valse des étoiles, un vol d’albatros fuligineux, une lointaine aurore australe illuminant de blanc le sud… bref, tout ce qui fait la beauté, l’exception et la féérie de ces lieux, sans savoir si l’on pourra les revoir un jour.
Eléphant de mer actuellement de retour sur terre pour la mue
Quant aux personnes avec qui je partage cette aventure depuis 3 à 12 mois, en attendant de se dire au revoir, nous fêtons ensemble notre dernière soirée tout en inaugurant le nouvel aménagement de la serre - l'occasion de prolonger un peu plus l'expérience humaine que la base nous a faite vivre tout au long de l'année - et ce depuis 1950 !
Stéphane - Technicien télécom Bruce - ouvrier polyvalent
Claudy - ouvrier polyvalent Jean-Marc - Technicien frigoriste
Laurent - technicien télécom Laëtitia - médecin chef
Imran - second de cuisine Maxime - ornitho
Nathanaël - PopChat Thibaut - ornitho
Charles - informaticien Marion - écobiotte
Brice - bosco Richard - plombier chauffagiste
Arnaud - gérant postal Gwenn - mécano chaland
Christophe - mécano centrale Jérôme - pâteux
Julie - écobiotte Guillaume - EDK
Alexis et Thibaut - ResNat/Gestion des espèces introduites
Philippe et Philippe - chef centrale et météo
Fred - électricien CNES Jean-François - chef de district
Francis - chef de cuisine Thierry - ouvrier bardage
Samuel - maçon démolisseur Edgar - menuisier
Guillaume-Pacha - PopEleph François - technicien CNES
Willy - chef Appro Rémi - chef météo
Dominique - ouvrier polyvalent Lahcen - chef géophy
Nathalie - météo Xavier - chef infra
Jean-Marie et Laurent - Chef et mécano garage
Sébastien - chef CNES Thomas - ResNat ornitho
Quatrième et dernière photo de groupe pour les "survivants" de la mission 62
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première photo de groupe de la mission 63
Magnifique voyage que tu nous a fait partagé cette années. merci
RépondreSupprimerprend soin de toi pour le retour, la bretonie t'attend
des bises
Je ne m'étais permis jusqu'à lors de t'écrire car KER appartient, pour mon monde, à Thibaut l'ornitho.
RépondreSupprimerMais, sur le seuil de votre retour, je voulais te remercier d'avoir tenu avec tant d’assiduité ton blog!
Ça été un bonheur de te suivre et par ton biais de suivre le reste de la base : une description des lieux, des nouvelles en temps réel, des sensations, quelques couleurs, toutes ces choses que je ne pouvais pas avoir souvent avec Tibo sans cesse en manip!
Donc merci d'avoir fait vivre pour moi cette terre du bout du monde.
En te souhaitant un excellent retour, ou plutôt un excellente continuation!
Bien à toi,
Cécile
Simplement merci pour ce blog, et pour ces émotions si bien retranscrites depuis l'autre coté du globe.
RépondreSupprimerJ'ai vécu pour ma part un fantastique voyage immobile en votre compagnie...
Que la douceur de cette année reste à jamais dans votre mémoire, en submergeant ce goût amer si compréhensible à la veille de ce départ.
Bon vent!
Kenavo
Philippe