Lorsque je sors de TiKer ce soir-là, le ciel est encore
clair à l’ouest, où se découpe la longue silhouette de Ronarc’h sur laquelle
s’étire les sommets élégants du Pouce, du Pain de sucre ou encore du Wyville.
Après ces longs mois aux journées courtes, où le soleil se levait après moi et
se couchait bien avant le dîner, il est agréable de voir enfin un coucher de
soleil débuter alors que la vaisselle du repas est déjà essuyée et rangée.
C’est comme un avant-goût de vacances, comme lorsque l’on est au collège et que
les journées qui rallongent autant que les manches raccourcissent nous font
dire que les vacances d’été se profilent à l’horizon.
L'été est pourtant tout près,
bien caché derrière cette belle palette de nuages
Pour les derniers
survivants de la 62ème mission, c’est effectivement les vacances qui
s’annoncent d'ici quelques semaines - mais pas vraiment estivales une fois de retour dans l’hémisphère
nord :-)
Mais rien ne sert de se projeter déjà vers l’après Kerguelen
– profitons du moment présent. Mon regard suit la route qui descend du mât des
couleurs vers la flottille. Avant de l’atteindre, et après avoir contourné
trois ou quatre éléphants de mer affalés sur la chaussée, on longe un immense bâtiment
de tôle : le hall transit. C’est le lieu de stockage de toutes les marchandises
qui entrent et sortent du district, et accessoirement qui constitue également
notre gymnase pour les activités sportives collectives (badminton, volley,
basket et jeux improvisés sur le béton qui se transforme à l’occasion en
pataugeoire).
Epreuves de "Force Ker" au hall transit durant la campagne d'été 2012
Au lieu de poursuivre vers la flottille, mes pensées obliquent
virtuellement à gauche pour suivre une route qui s’éloigne du « centre ville »
en longeant la côte où les bonbons se dorent la pilule. Un autre hangar fait
face au hall transit, le B17, l’atelier de l’IPEV qui sert également de lieu de
stockage du matériel et de l’ensemble des vivres servant au ravitaillement des
cabanes.
Le hall transit à gauche et le B17 à droite
Au-delà, côté mer, un quadrillage en béton est le dernier témoin de
l’ancien port pétrolier – qui se trouve désormais de l’autre côté de la
chapelle.
L'ancien port pétrolier, le B17 encadré de containers et le hall transit devant la flottille, le Biomar en vert puis la chapelle et au loin : le Ross
Un peu plus loin, une route remonte vers le mât des couleurs. Sur sa
droite, une palissade en bois, derrière laquelle se dressent deux serres –
derniers vestiges d’un grand jardin potager datant des premières années de la
base où les hivernants – isolés pendant 12 mois (un seul bateau par an)
subsistaient grâce à la ferme et aux produits frais qu’ils étaient parvenus à
faire pousser (salades, tomates – ces mots-là font aujourd’hui rêver).
L'une des deux serres réaménagée en coin détente
Plus
haut, plusieurs bâtiments de l’infra se font suite : chez Catherine,
l’ancien corps de ferme devenu atelier du chaud-froid (duo constitué par le
plombier chauffagiste et l’électronicien frigoriste) et de l’EDK (électricien
de Kerguelen), puis la menuiserie et enfin les demi-lunes. Ici sont stockés une
partie des engins de levage et de manutention, tandis que sous la dernière des
trois demi-lunes se trouve KerPoub, la zone de tris de déchets où nous passons
chacun notre tour chaque mardi pour trier les poubelles de cette petite
communauté et brûler tous les déchets papiers et organiques à l’incinérateur
(ma partie préférée des corvées collectives !). Au milieu de tous ces
bâtiments de travail, un peu de loisirs situé dans le prolongement des L1 et
L2 : le CinéKer !
La menuiserie et l'atelier chaud-froid
CinéKer
Mais revenons sur la route qui suit parallèlement la côte :
on passe maintenant un petit pont qui enjambe le cours d’eau qui sert, bien plus
haut, au captage de l’eau douce de la base.
On capte l'eau...
... puis l'on y pêche...
... puis l'on s'y baigne !
A droite un petit sentier file vers
un grand bâtiment blanc, la SIDAP. Entre 1968 et 1972 il a fait office
d’abattoir dans une ultime tentative d’utilisation de la ressource éléphant de
mer. Il a aussi servi pour les animaux de la ferme, avant d’être remplacé par le petit abattoir à agneaux situé près de
la menuiserie. Abattoir qui lui aussi a finalement soufflé sa dernière bougie
cette année, comme tant de bâtiments de PAF avant lui…
La SIDAP qui sert désormais au stockage du matériel de l'infra
Exit PAF, nous voilà désormais sur la route exotique de
Courbet : la « Road 66 », sur laquelle le vent est en infraction
quasi journalière avec sa limitation de vitesse à 40km/h. Elle débute par une
longue pente (de quoi commencer le footing en beauté) qui nous éloigne de la
base tout en offrant de son sommet un superbe point de vue duquel on embrasse d’un
seul regard tous les bâtiments de la base, tout en découvrant le golfe du
Morbihan et ses îles, puis au-delà, les jours de beau temps, le mont Ross et
ses petits voisins montagneux de la Grande Terre.
La route 66
Au sommet de la côte une route part sur la gauche, et après
être passé devant le CER (l’ancien bâtiment du BCR, actuellement dépôt
rassemblant toutes les reliques du patrimoine attendant la construction d’un
musée) on rejoint par un sentier caillouteux le château d’eau de PAF, nous
fournissant chaque jour (à quelques exceptions près durant la 62, l’ancienneté
du réseau ne nous ayant pas tenu à l’écart de quelques fuites asséchant les
réserves) une eau potable affectueusement baptisée « Keraline ».
Le château d'eau se dissimule sur les hauteurs de PAF,
entre terriers de lapins et étendues caillouteuses
Délaissant
CER et château d’eau, on poursuit vers l’Est. La route s’étend sur une poignée
de kilomètres dans ce désert caractéristique de la péninsule Courbet :
interminables champs de cailloux à main gauche et étendues partiellement
érodées d’acaena à main droite.
Une longue tige rouge et blanche s’étire vers
les nuages bas peu après le CER : le mât iono (ancien outil d’analyse de
la ionosphèret et qui sert désormais au CNES pour tester leur antenne),
excellent point de repère que l’on soit sur Courbet ou dans le golfe depuis le
chaland.
La route allant du CNES vers PAF, sous l'ombre du mât Iono à droite
Un kilomètre plus loin, une parabole au bord de la route nous annonce
l’intersection conduisant au bâtiment de Météo France où chaque jours nos trois
météos font la pluie et le beau temps – enfin surtout la pluie et le vent ces
temps-ci. Au pied du mât iono comme autour de la météo s’étendent sur le sol
d’étranges toiles d’araignée vibrant dans les rafales : ce sont les
capteurs du CEA (Commission de l’Energie Atomique et aux énergies Alternatives).
Bulletins météos biquotidiens et lâcher de ballon-sonde journalier
Les capteurs du CEA .... Un tech météo en pleine action
Un décor lunaire encadre CEA et CNES
Encore un ou deux kilomètres et nous voilà au CNES. Trois immenses boules
blanches, les radômes, nous accueillent dans la zone « high-tech » de
PAF, avec le centre de surveillance des satellites qui tourbillonnent tout
autour du globe, ainsi que les bureaux des trois Géophy de l’IPEV, chargés de
programmes scientifiques aussi variés que la surveillance du magnétisme, des
rayonnements cosmiques, de la sismographie, de l’activité aurorale, de la
marégraphie, etc…
Chaque radôme abrite une immense parabole, deux pour le CNES
avec, pour la plus grosse baptisée 2GHz, le suivi des satellites européens – dont
ils s’assurent en permanence du bon fonctionnement tout en servant de relais
pour le centre de contrôle à Toulouse – et, pour la plus petite le système
RadarSat qui surveille en permanence la Zone Economique Exclusive. Le troisième
radôme héberge la petite dernière :
depuis janvier s’y trouve une des antennes du projet européen de positionnement
par satellite GALILEO, installée durant la campagne d’été par nos deux belges à
l’humour inoubliable.
(sauf quand il pleut sur un tracteur)
Au-delà du CNES, c’est la péninsule Courbet. Ne reste
plus qu’entre cette immensité plane et PAF qu’un long bâtiment qui porte sur
lui les années passées à supporter les intempéries : le Fusov. Son nom lui
vient d’une ancienne activité CNES-Russe de lancement de fusées vers la haute
atmosphère, dont certaines parsèment encore la plaine alentour de carcasses aux
têtes endormies profondément enfoncées dans le sol. Non loin de là se dresse
les hautes antennes siamoises du SuperDarn, système d’analyse et de
surveillance des activités ioniques dans la ionosphère afin d’analyser le
phénomène des aurores australes (la version moderne du Mât Iono).
Détail d'un Weasel abandonnée
dans le hanger Fusov
La "rateau" de SuperDarn
Même depuis
le parvis de TiKer, il me semble entendre ses longs haubans siffler dans les
rafales de vent. Ce chemin de PAF au CNES, je le connais par cœur. Je pourrai
le repeindre les yeux fermés, tant chaque détail de cette longue route
s’étirant vers l’horizon semble s’être ancré profondément en moi. Les mains enfouies
dans les poches de ma veste pour les protéger du froid, j’observe les boules du
CNES, si petites vue d’ici, avec un regard déjà nostalgique. C’est une chance
exceptionnelle de pouvoir côtoyer de telles installations, de suivre
quotidiennement le travail de ces ingénieurs et scientifiques qui président à
la ronde de milliers de petits satellites s’agitant au-dessus de nos têtes
inconscientes de ce ballet interminable, à peine trahi par un trait de lumière
barrant furtivement le ciel étoilé.
Le CNES à l'écoute du ciel
Photographie/oeuvre de Sébastien LACOUR - KerChef CNES 62-63
Pour l’heure je n’irai pas au CNES admirer le lever
d’étoiles derrière la plus grande boule blanche de notre « French
NASA », ni à la météo admirer le plus beau point de vue de PAF sur le
golfe et la péninsule Ronarc’h. Je n’irai pas non plus au B17 bricoler avec le
géner ou au hall transit enchaîner quelques échanges de volant de badminton. En
effet, il me reste un dernier endroit de PAF dont je n’ai pas parlé. Et à moins
de dix jours de partir pour de bon, il est plus que temps de vous faire découvrir cet
ultime recoin de PAF, le théâtre de mon quotidien : l’hôpital SAMUKER.
Le bureau médical
La chambre du Bibou/de la Bibette
La salle d'attente
(rarement comble, je dois le reconnaître...)
Le cabinet dentaire
(probablement mon poste de travail préféré cette année)
La salle de soins
Le laboratoire - et son petit musée
Le cabinet de radiologie
(mon deuxième poste de travail préféré)
Deux chambres d'hospitalisation (pour trois lits au total)
La pharmacie
(ici côté médicaments oraux - il y a encore 8 rangées comme celles-ci -
aaah les longues journées d'inventaire...)
L'office
Le bloc opératoire
La SAMUCar
Un cadre incroyable pour une médecine un peu... décalée...
... pour laquelle nous faisons déjà partie du passé
62 années de médecine aux Kerguelen
Après ces longs mois à voir des éléphants de mer, des bras de mer, des hangars et des fleurs improbables aux Antipodes, j'en avais presque oublié que ça validait 2 de tes semestres !
RépondreSupprimerCa m'intriguait de savoir dans quels conditions tu travaillais. Tu t'es servi du bloc ??
Profites-bien de cette prolongation avant le retour au reste de ta vie. Elle sera toute aussi pationnante, après une expérience aussi enrichissante, tu sauras te débrouiller pour que la suite le soit aussi.
Bon retour et bon vent,
Marie-Laure, qui prolonge son aventure sous les tropiques (j'y ai croisé un de tes compagnons d'aventure sur le Marion Dufresne à l'aller...)
Merci beaucoup pour ton message :-)
RépondreSupprimerEt bien fort heureusement à part pour entretenir le bloc toutes les semaines et faire des exercices de formation de l'équipe d'aides médicaux volontaires, je n'ai jamais eu d'autres raisons d'y rentrer donc c'est bien pour tout le monde - sur les autres districts en revanche ils ont eu un peu de petite chirurgie cette année
J'avais vu effectivement que tu continuais à profiter du soleil des tropiques - tu as bien raison !
Et qui avais-tu croisé qui avait pris le Marion Dufresne ?
Encore merci et bonne continuation
Bizz
Johan, un ancien brestois qui a fait son internat à Nantes puis un an sur le Marion Dufresne, c'est un ami de Tania, IMG ici, que tu as sans doute connu à Brest aussi.
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