Chasse, pêche nature et tradition - Première partie




Quel est le point commun entre du pâté de rennes, du lapin à la moutarde, des moules au curry, du saumon fumé, du carpaccio de truite, du rôti de mouflon et des côtelettes d’agneau ?

Nourriture 100% d’origine contrôlée Kerguelenienne !

 Lorsque Yves Joseph de Kerguelen de Tremarrec a découvert l’archipel qu’il nommera par la suite les îles de la Désolation, il s’attendait à prendre possession au nom du roi de France d’un immense continent hébergeant faune et flore luxuriantes. Au lieu de ça, bien qu’étant le premier homme à poser les yeux sur ces terres noires à la végétation rase et éparse, il n’osera même pas y mettre le pied. Regagnant la France à la hâte, il entretiendra tant bien que mal le mythe d’une terre miraculeuse, d’un nouvel eldorado austral, jusqu’à ce que la supercherie soit dévoilée. C’est alors, avant que l’on donne à ce territoire du bout du monde le nom de son triste découvreur,  qu’il baptisera cet archipel de ce sinistre surnom « d’îles de la désolation », surnom qui poursuit encore aujourd’hui ce chapelet d’îles volcaniques. Il est vrai que son sol rocailleux, sa météo changeante et en particulier ses tempêtes incessantes ne constituent pas le meilleur substrat qui soit pour accueillir la vie végétale (on compte seulement deux arbres sur Kerguelen, deux thuyas à PAF, abrités devant SAMUKER et derrière le L2). 

 Le thuya de SamuKer 
(devant l'hôpital et notre ambulance !)

En revanche, depuis que l’homme côtoie ces côtes d’apparence inhospitalières (d’abord pour la chasse à la baleine ou à l’éléphant de mer, puis pour la pêche, le rayonnement géopolitique de la France et la découverte scientifique), il a su y implanter une vie animale jusque là inconnue. Pour le meilleur, et pour le pire…
On commença par y déposer des lapins : la cause en est-elle l’alimentation d’éventuels naufragés, où par intérêt scientifique lors d’une mission britannique en 1874 … ? Toujours est-il que, connaissant leur incroyable – et pas du tout volée – réputation de reproducteurs infatigables, je vous laisse imaginer à quelle vitesse ils ont envahi les terres accessibles. 


 
 
De nos jours, il est impossible de faire un pas sans entrevoir une dizaine de ces rongeurs aux conséquences dramatiques sur la végétation endémique. Les immenses tapis d’azorelle qui constituaient un terrain idéal à la pousse de l’emblématique choux de Kerguelen ont été ravagés par le nuisible, remplacés par cet acena uniforme. 

 Tapis d'azorelle indemnes sur l'île d'Australia (pas de lapin)


Le choux de Kerguelen est obligé de pousser dans des zones inaccessibles 
pour échapper à l'appétit insatiable du rongeur



 Acena

Le mal est fait, et n’est plus réparable, preuve étant faite sur les îles où l’on a pu exterminer le lapin ; dans ce cas-là, c’est le pissenlit (lui aussi espèce introduitepar l’homme) qui vient concurrencer et remplacer l’acena, se retrouvant subitement libre de tout prédateur. Difficile de réparer l’irréparable après deux cents ans d’évolution...

 L'arrivée du lapin a favorisé l'acena aux dépens de l'azorelle, 
et désormais tenter de retirer le lapin aggrave la situation 
en faisant exploser la croissance des pissenlits

Après la construction de la base de Port-Aux-Français, le problème de l’alimentation de ses habitants en vivres fraîches s’est posé (pas question de reproduire les drames de Port Couvreux ou Saint Paul, où ses habitants ont été décimés par le Béri-Béri et le Scorbut). Dans cette optique, en 1952, des moutons furent installés sur Longue. Issus de la race Bizet, ils furent importés sur la plus grande – d’où son nom –  île du Golfe en provenance de Géorgie du Sud. 

 Moutons de Bizet 
Photo de Thomas Biteau - Réserve Naturelle

Puis, en 1956, sur l’île Haute (là aussi ce sont ses mensurations qui sont à l’origine de son nom – on manque parfois d’imagination), ce sont des mouflons et des rennes qui furent importés. En tout et pour tout, deux mouflons du zoo de Vincennes (banlieue parisienne) et treize rennes de Suède. 

 Mouflon de Haute
Photo de Thomas Biteau - Réserve Naturelle

 Rennes 
(vus à Port Couvreux - Grande Terre)

Chacune de ces espèces se porta si bien qu’elle constitua rapidement un troupeau d’une centaine de têtes! (pas si stériles que ça ces îles finalement). Une telle surpopulation entraîna une concurrence inévitable entre les rennes et leurs colocataires à la patte plus montagnarde. Si bien qu’ils abandonnèrent l’île Haute à la nage en 1981 pour rejoindre la Grande Terre où de quelques couples ils sont passés à plusieurs milliers. Plusieurs milliers de rennes, qui achevèrent de menacer la survie des coussins d’azorelle (qui rappelons-le à une croissance extrêmement lente d’un millimètre par an) et d’enrayer sérieusement la présence du lichen arborescent, tout aussi fragile.

 Lichen arborescent 
Il ne pousse plus que sur les rochers et hauteurs inaccessibles pour les rennes

 

Pour ce qui est des lacs et rivières, là aussi l’ambition commerciale frappa Kerguelen de plein fouet. Entre 1951 et 1980, des centaines de milliers d’alevins de truites, saumons et ombles sont acheminés par bateau depuis la métropole avec un double objectif : mettre en place un élevage de saumons à ArMor (dont les anciens bâtiments existent encore) et alimenter l’eau douce en source halieutique pour la pêche sportive et alimentaire de Port Aux Français. La plupart des alevins décèderont pendant le voyage, jusqu’à 1975 où la technique s’améliore. C’est ainsi que furent ensemencés les rivières Château, Grisanche, du Sud, les lacs d’ArMor, de Korrigans, de Val Studer.  Suivant les côtes et remontant les cascades, sur un territoire indemne de tout prédateur, ces trois espèces de poissons se propagèrent rapidement à l’ensemble des cours d’eau accessibles de l’archipel. 

 Truite
 Saumon



Moutons, mouflons, rennes, truites, saumons… Ne manquent plus que les moules…  Il existe deux sortes de moules sur l’archipel, une endémique et une introduite. Contrairement à ce que l’on croit le plus souvent, ce sont les moules noires ou bleutées à la coquille lisse qui sont endémiques ; les introduites sont de superbes et énormes moules violettes à la coquille striée. Leur seul prédateur est représenté par les goélands, se servant tout simplement de la gravité pour faire éclater le coquillage en le lâchant en plein vol au-dessus de rochers. Ainsi, il n’est pas rare de tomber, en longeant la côte, sur un immense tas de coquilles brisées dessinant une belle tâche bleutée sur la grève noire – « tiens, voilà un restaurant de fruits de mer ! ».

Moule introduite et moule endémique


Pas de prédateur pour les uns, prédateurs goélands uniquement pour les autres ?

Tout cela n’est pas tout à fait vrai…  En effet, il a toujours été autorisé de chasser ces créatures (puisque c’était bien là la raison de leur introduction – avaient-ils alors conscience ou non des conséquences dramatiques qui en découleraient pour la flore originelle ?). Mais, c’est désormais une politique de régulation bien plus sévère qui a été mise en place. Si l’archipel des Kerguelen est une réserve naturelle depuis 2006, toutes les espèces endémiques végétales et animales qui s’y trouvent sont donc strictement protégées. En revanche, c’est loin d’être le cas des espèces introduites, considérées comme nuisibles et « persona non grata » (au même titre que les souris arrivées accidentellement par bateau et les chats introduits par l’homme pour chasser les précédentes – mais qui réalisèrent bien vite que les jeunes poussins et petits pétrels étaient tout aussi comestibles) 

 Souris - le fléau des cabanes !


 Chat des champs


Chat de LA ville

 La réserve naturelle des terres australes emploie chaque année un chasseur et un berger. Le berger s’occupe du cheptel de moutons de Bizet, qui s’est élevée jusqu’à 3500 têtes (représentant un rare réservoir indemne de toute maladie d’une race de moutons originaires du Cantal et actuellement en voie d’extinction en France) : entretien des clôtures, tonte, sélection des agneaux pour l’abattage. Le chasseur est un VAT qui l’assiste dans sa mission d’abattage et d’entretien de l’île Longue, et qui surtout passe de longues semaines sur l’île Haute à pister le mouflon.

2012 est une année tristement exceptionnelle pour Kerguelen. La mission 62 de ker qui représente effectivement la fin d’une époque : l'extinction du mouflon de Haute, et la fin du mouton de Longue. Evènement auquel les hivernants ont pu assister, directement ou non…

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