Quand il fait beau, depuis les marches de la Résidence, on
bénéficie d’une vue imprenable sur toute la partie sud-est des Kerguelen,
depuis le mont Ross à main droite
jusqu’à la presqu’île du Prince de Galles à main gauche, en passant par la
presqu’île Jeanne d’Arc, le golfe du Morbihan, la presqu’île Ronarc’h et la
passe royale. A deux kilomètres de la flottille, l’îlot Channer forme un radeau
immobile face à Port-Aux-Français, et surtout un point de repère que les
bateaux doivent contourner, du Marion Dufresne au plus petit palangrier, afin
d’éviter de s’échouer dans les hauts fonds ou d’empêtrer son hélice dans ces
bains d’algues impénétrables.
Tout en fixant la forme parfaitement symétrique du Pouce, le
sommet le plus reconnaissable de la presqu’île Ronarc’h qui nous contemple
chaque jour du haut de ses 744m, je quitte la Résidence pour redescendre
vers les L. Quelle ironie que d’être condamnée à contempler chaque jour une
montagne si envoûtante, ses pentes nervurées de blanc semblant lui donner vie,
sans jamais pouvoir l’approcher, et encore moins la gravir…
Après avoir dépassé le L10, je rejoins le L7 qui marque
l’angle de la route parallèle à celle où s’alignent L10, L9 et L8. Le L7 est
l’ancien bâtiment des marins, reconvertie en une salle de sport flambant neuve
depuis la mission 62. A quelques appareils près dont la mécanique ou
l’électronique nous jouent des tours, nous sommes particulièrement bien équipés
– et il ne se passe pas une journée sans qu’une dizaine de personnes ne viennent y dépenser les kilos en trop que
les cuisines nous ont fait gagner.
Le L7
fait face à l’ancienne salle de sport, une vieille fillod qui tombe en ruines
et où ne reste plus qu’un vieux pan d’escalade qui mériterait bien une petite
cure de rajeunissement.
Dans le prolongement du L7, direction le « centre
ville », viennent logiquement L6 et L5, récemment remis à neuf par
l’équipe infra – le L6 n’est d’ailleurs pas encore achevé.
L6, L5, L4 et Louison
Face à eux, le plus
haut bâtiment de PAF : le Louison. C’est le seul, avec la tour météo et
TiKer, à posséder un étage ; il abrite les chambres de l’équipe infra, de
l’armée de terre et, durant l’été, de certains campagnards. Son nom provient de
l’amante de Yves de Kerguelen qu’il fit venir clandestinement lors de son
second séjour dans « ses îles de la Désolation ».
Le Louison émergeant au-dessus des derniers L
La petite route –
si on peut appeler comme cela un étroit passage de béton – cède la place à un
terre-plein de cailloux irréguliers qui vient se terminer au pied du dernier de
cette enfilade de blanc, rouge et bleu : le L4, qui héberge les chambres
et bureau des employés de la Réserve Naturelle des TAAF (dont le nombre va
passer de trois cet hiver à plus d’une dizaine cet été !).
L'équipe de la ResNat devant le L4 (photo de la Réserve Naturelle)
Thibaut - espèces introduites (saumons et rennes)
Thomas - ornithologue
Alexis - chasseur
A l’autre extrémité du L4, on rejoint la rue principale qui
descend depuis le BCR, juste sous la tour météo. On arrive alors sur le rond
point, marqué par le mât des couleurs au pied duquel se déroulent toutes les
cérémonies officielles. Sur toutes les photos anciennes de PAF que j’ai pu
retrouver, le mât des couleurs y figure systématiquement : il ne faut pas
oublier que la base a toujours été habitée par des militaires – c’est donc un
lieu incontournable, à se demander s’il n’a pas été construit avant tout le
reste ?
Cérémonie du 14 juillet - aux tout débuts de la base
Et justement, nous sommes aujourd’hui le 11 novembre 2012 :
voilà 94 ans que nous célébrons l’armistice de la première guerre mondiale, à
une époque où l’on a trop tendance à croire que cela fait désormais
« partie du passé ». Le peu d’actualités que je reçois ici (même si
j’ai tendance à préférer – peut-être à tort – ne pas trop suivre les informations)
nous démontrent chaque jour que les leçons tirées de la guerre 14-18 ont été
bien vite oubliées… C’est la première cérémonie de la mission 63, la dernière
pour Laëtitia qui, en tant que capitaine du service de santé des armées, fait
la revue des troupes avec le DisKer, le représentant de l’IPEV (aujourd’hui
Lala en l’absence de Baptiste) et le commandant des troupes. Chaque cérémonie
aura eu sa particularité météorologique : après un 8 mai sous des trombes
d’eau, le 14 juillet sous la neige, nous bénéficions aujourd’hui d’une fin de
matinée ensoleillée, même si le vent nous gèle les mains et fait voler drapeaux
et casquettes…
Les trois armes de la mission 63
Marine - Armée de terre - Armée de l'air
Charles à la sono
La médaille des TAAF
Tandis que je tourne autour des militaires tous bien alignés
(marine, armée de terre, armée de l’air) pour le « reportage photo »,
je vois de l’autre côté de la route les quatre derniers bâtiments de vie :
en fait les trois premiers L – le L3 (logement des cuisines), le L2 (bureau de
l’IPEV et logement des chefs des opérations logistiques pendant l’été) et enfin
le L1 (armée de l’air) – et pour finir Ker Avel, l’hôtel « Trois
Godons » de PAF (il paraît que ça n’est pas très confortable…) qui sert
durant les OP, en campagne d’été et pour héberger des voyageurs de passage
(comme les commandos de la mission pétrel 2012 – pour qui c’était au contraire
du grand luxe après 10 jours de tente sous la neige). Entre le L2 et le L3 se dresse un grand arbre dont la taille ne dépasse pas celles des bâtiments - c'est un tuya, en fait constitué de 6 pieds différents, le tuya étant le seul arbre des terres antarctiques et sub-antarctiques (on ne peut compter le phylica d'Amsterdam qui est une île sub-tropicale). On trouve un autre tuya sur Kerguelen, devant SAMUKER (mais ça, c'est une histoire que je vous conterai plus tard...)
A côté du mât des
couleurs, un long piquet de bois peint en blanc, couvert de flèches. Cet objet
est à une base polaire ce qu’est le mât des couleurs à une base
militaire : incontournable. Sur les flèches, des dizaines de nom, suivi de
nombre à plusieurs chiffres : y sont gravés les villes d’origine de gens
passés ici et qui, par cette flèche, rappellent à leurs successeurs dans quelle
direction se trouve « la maison », et à quelle distance : 4500, 12 550, 15 675, la surenchère
donne le tournis ! Tout autant de noms qui font rêver ou rendent
nostalgiques : La Réunion, CapeTown, Paris, Moscou, le Béarn… Ne
manque plus qu’une petite flèche blanche et noire pointant vers… chez moi.
Lever de soleil derrière TiKer
(les fenêtres illuminées trahissent les cuisines déjà au travail)
Pour prolonger cette ivresse, je m’offre un petit tour de
rond point qui, après 360° de rotation, me ramène devant TiKer. En breton,
TyKer veut dire : la maison de la ville – c’est-à-dire la mairie. A PAF,
TiKer c’est le centre névralgique de la base : cet immense bâtiment bleu
et blanc abrite en effet les cuisines, la boulangerie, la salle à manger et
l’inévitable Totoche, le bar. Outre ce lieu de détente et d’éventuelles soirées,
on bénéficie également de billards, de baby foot, d’une table de ping-pong et
autres cibles de fléchettes, sans compter la salle de musique.
TiKer, c’est là que travaille chaque jour l’équipe cuisine
qui nous sert matin, midi et soir des repas variés, tâche pas toujours aisée
quand on sait que les produits frais (légumes et fruits) disparaissent à peu
près en trois semaines après le passage du Marion-Dufresne.
Vaisselle collective après chaque repas
On y mange bien,
très bien, trop bien même, à en juger par l’assiduité avec laquelle certains
font chauffer les appareils à la salle de sport… Mais la nourriture ici a une
place centrale : les cuisines, c’est l’équipe la plus importante de toute
la base ; le bien-être global d’une mission dépendra en grande partie de
la qualité des repas servis (y compris de la fréquence des gâteaux préparés) –
je ne connais pas grand monde sur base qui soit ainsi jugé pluri-quotidiennement
pendant les six, huit, douze mois qu’ils passeront sur Ker. Rien que pour cela,
on peut leur dire : chapeau !
Fin de journée à TiKer... (sous l'oeil attentif d'un goéland opportuniste)
... et début de nuit sur TiKer endormi !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire