Nouvelles du printemps austral




 










 Fin de coucher de soleil et premières étoiles derrière Ronarc'h


L’aventure que nous vivons ici ne mériterait pas de porter ce nom sans quelques rebondissements. Après l’annonce de l’accident du Marion Dufresne qui a fait comme un coup de tonnerre sur les districts sub-antarctiques, amenant 150 personnes à cohabiter sur Crozet dans une organisation merveilleuse où nous ne pouvons que féliciter à la fois la logistique mais aussi la bonne volonté et le positivisme de tous ces naufragés colocataires involontaires (sur une base qui héberge habituellement une vingtaine de personnes), il a fallu sur les autres districts d’Amsterdam et Kerguelen se faire à l’idée d’une remise en question non seulement de l’approvisionnement en vivres, en matériel, en courrier, mais aussi un chamboulement complet du calendrier de cette fin d’année. Exit OP3 et OP4, les deux dernières rotations de l’année 2012 par lesquelles Laëtitia puis moi devions quitter l’archipel, et qui représentaient pour Martin le médecin de bord les dernières rotations, en solitaire sur OP3 puis avec son remplaçant sur OP4. 


 Le Marion Dufresne à Crozet avec le Léon Thevenin en fond 
(image de la page Facebook des TAAF)

 Quand on arrive ici, fin 2011, on sait que c’est pour 12 mois, et qu’en décembre 2012 il faudra partir, on sait même déjà à quelle date précise on arrivera à la Réunion à la fin d’OP4. Tout est programmé. Drôle de sensation que de se trouver d’un seul coup dans l’inconnu complet : durant les premiers jours qui ont fait suite à l’accident survenu entre Pointe Basse et Lapérouse, il était encore impossible de dire comment les TAAF nous feraient rentrer chez nous, et encore moins quand ! D’un seul coup plus aucun cadre ne vient programmer les mois qui s’étalent devant nous…
Depuis, les choses ont bien évolué, et après des journées entières de remises en questions et d’interrogations, de changement de plan en changement d’organisation, le programme est de nouveau fixé. Le Marion Dufresne fait actuellement route vers Durban avec un équipage réduit et escorté par le Coral Sea Fos, et ces deux navires doivent tout deux faire face à une météo exécrable. 

Le Coral Sea Fos à Crozet
(image de la page Facebook des TAAF)

Pendant ce temps, le Léon Thévenin transporte à son bord les naufragés du Marion Dufresne, récupérés à Crozet et prévus d’arriver à Cap Town le 30 novembre. 

 Le Léon Thevenin à Crozet 
(image de la page Facebook des TAAF)

Et enfin, l’Osiris a quitté samedi matin l’île de la Réunion et fait route vers nous. Le dernier chamboulement me concernant est que, finalement, je dois partir avec ce navire, dans moins deux semaines.

Ça semble bien dérisoire en comparaison de tous les bouleversements que cet accident a entraîné dans la vie de chacun et pour la logistique des TAAF, mais après avoir vécu ici pendant près d’un an, et m’être finalement faite à l’idée de passer encore ici quelques semaines de plus afin d’assurer la passation avec nos remplaçants, j’ai quelques difficultés à m’imaginer quitter pour toujours cet endroit. Chaque moment passé ici, chaque regard posé sur le paysage et la nature qui nous offre chaque jour un éternel spectacle me rappelle pourquoi j’ai voulu venir, pourquoi je suis restée, et pourquoi j’ai été si heureuse ici. Difficile de se faire à l’idée qu’il faudra bientôt renoncer à tout cela, et partir « précipitamment ».
Mais, la roue tourne, nos successeurs arrivent, et il faut savoir laisser la place. Nous ne sommes que de passage, des locataires éphémères d’un archipel aux milles merveilles où nous ne laisserons rien de plus qu’une empreinte dans la terre, bientôt effacée par les pas de nos heureux successeurs. 

En attendant, profitons ensemble, encore un peu, de tous les objets d’émerveillement que nous offrent les Kerguelen…

  

Une douce journée de printemps


Si la météo que nous subissons actuellement va à l’encontre de ce que nous laisse penser le calendrier – à savoir que c’est actuellement le printemps dans l’hémisphère Sud – il existe fort heureusement quelques rares mais d’autant plus exceptionnelles journées de soleil qui nous font prendre conscience du bonheur tout simple que représente un matinée sans vent, un soleil sans nuage et une mer sans vague. 


 Et même si les tempêtes s’enchaînent les unes après les autres depuis plusieurs semaines, ces journées de soleil nous permettent de remettre le nez dehors et de réaliser que oui, effectivement, le printemps est là. Ça n’est pas la chaude caresse d’un soleil timide qui nous le dit, mais bien tout un cortège de signes que nous envoie la nature, comme le ferait un orchestre en train d’accorder ses instruments, annonçant la grande symphonie de l’été.

Le retour de l'éléphant de mer dans un Central Park de nouveau vert


Qu’il est bon alors de prendre une heure pour soi, ici pour marcher dans l’acaena qui reverdit, l’appareil photo rivé à l’œil, un autre jour pour aller faire un footing sur la route 66, qui nous conduit de la base jusqu’au CNES, sous l'oeil moqueur ou indifférent des goélands, cormorans et pétrels géants qui savourent eux aussi leur premier bain de soleil. 















Ou encore un matin lorsque je descends simplement voir depuis le rivage les plongeurs militaires qui coupent inlassablement laminaires et macrocystis, de longues algues de plusieurs mètres à la pousse effrénée, et qui envahissent la flottille et le port pétrolier. 


 Laminaires qui envahissent le port pétrolier 
(bloquant le passage de la manche à carburant)

Les bonbons sont sevrés désormais, leurs mères reparties se nourrir au large, et il n’est pas rare que plusieurs d’entre eux, incorrigibles curieux, viennent tourner autour des plongeurs, grignoter leurs palmes ou tâter les cagoules. Dans ces rares moments de communion sub-aquatique, difficile de dire lequel des deux, plongeur néoprène ou nageur à fourrure, est le plus émerveillé par cette rencontre...


Les petits jouent pour "faire comme" les grands...


 ... avant de venir rendre visite au "jardinier" de marine : Fred 
 (électricien et plongeur)
 Puis une bonne sieste bien méritée après toutes ces émotions !

Et oui, le printemps est partout, dans ces couples de grand albatros qui se retrouvent autour de leur poussin en passe de prendre son envol, et partagent une rare journée de retrouvaille où chacun comble l'autre de caresses délicates du bout du bec...


 Tendresse d'albatros (et entraînement de vol pour le jeunot)

 ... dans ces délicates boules d'aceana en pleine éclosion qui se couvriront bientôt d'épines si terriblement agaçantes...




Premier bourgeons puis épanouissement de la fleur d'acaena
qui élance ses tiges au-dessus d'un tapis vert qui vient masquer les branchages séchées de l'hiver

... dans les longues crêtes de plumes noires aux reflets bleutés que développent les cormorans de Kerguelen se préparant à la douce période de séduction...

 
... dans ces touches de vert pâle au coeur des coussins d'azorelle, trahissant l'éclosion des fleurs discrètes de ces reines de lenteur...



 


... dans le chant des éléphants de mer qui reviennent hanter jours et nuits les rues calmes de Port-Aux-Français, leurs silhouettes pataudes envahissant la grève, le quai, Central Park et chaque recoin de bâtiment ensoleillé... 




 Une ombre sous les étoiles...

... dans le passage furtif d'un pétrel géant antarctique, reconnaissable à la pointe verte de son bec, tandis que son cousin sub-antarctique (pointe du bec rouge) couve déjà son oeuf sur son nid au milieu de cailloux et touradons...
 Pétrel géant antarctique                       ...                       et pétrel géant sub-antarctique sur nid

... dans le retour sur terre des élégantes et non moins redoutables otaries...


 Le printemps, c'est cela, le retour de la vie, la démonstration éclatante et vibrante de la marche inéluctable de la nature qui se régénère - en existe-t-il un plus beau témoin que ces poussins de manchots papous sautant pour la première fois hors du nid avec leur duvet gris pâle qui les fait ressembler à d'attendrissantes peluches à qui un Gépetto bien inspiré leur aurait insufflé la vie ?

  
Assise sur les rochers, les jambes pendantes au-dessus de l’eau cristalline à travers laquelle on distingue grandes algues et étoiles de mer, le sourire qui se dessine sans m’en rendre compte me fait réaliser une simple vérité : qu’il est bon d’être là, tout simplement.


Incroyable spectacle nocturne : un arc-en-ciel de lune

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