Direction le Sud - 04/12/2011, à bord du Marion Dufresne, quelque part au milieu de l'océan Indien

Je peux enfin envoyer quelques nouvelles (adresse mail pour le Marion créée contre la modique somme de 15 euros - avec envoi de pièce jointe totalement interdit : désolée pour les photos, il faudra attendre)


Nous avons dépassé le 38ème parallèle cet après-midi Jusqu'à présent, le temps est magnifique et il fait encore très chaud (malgré une petite averse pendant la nuit et un ciel gris en début de matinée)


Le Marion Dufresne a donc quitté Le Port à la Réunion vendredi 2 décembre à 17h. Nous sommes 112 passagers à bord (dont 9 touristes) avec en plus 48 membres d'équipage. Les cabines sont pleines à craquer, je partage la mienne avec une scientifique qui sera débarquée sur le glacier Ampère (qui descend depuis la calotte glaciaire Cook) dès que nous serons en vue de Kerguelen. Elle et ses deux collègues ne rejoindront la base de Port-Aux-Français que trois au quatre semaines plus tard.



Ce navire magnifique est fait d'une multitude de ponts et de coursives où je persiste à me perdre encore par moments (et oui, moi pas avoir sens de l'orientation...). Mais, une fois arrivée à destination, la vue depuis la proue ou la passerelle est absolument époustouflante (j'aurais adoré vous faire partager cela en photo mais ça devra attendre mon arrivée sur Kerguelen).




Quelle étrange sensation que de se trouver ainsi au milieu de nulle part, avec l'océan d'un bleu profond s'étirant à perte de vue. Seuls quelques rares pétrels (oiseaux marins assez proches du goéland) ou des poissons volants (que je n'ai pas encore eu la chance d'observer) nous rappellent que la vie existe encore au milieu de ce désert liquide. A chaque mouton d'écume venant surmonter la houle (qui est plutôt indulgente pour le moment), je crois voir le signe d'une baleine venue nous saluer - doux rêve pour le moment :-)


La vie à bord est très réglée

- 7h : petit-déjeuner (jusque 8h15 au plus tard)

- activités du matin et de l'après-midi (exercice d'évacuation, instruction sécurité relative à l'hélicoptère, présentation des TAAF, de l'IPEV, conférences des scientifiques) - et au milieu de tout ça nous devons caser la formation AFPS à faire à tout le personnel débarquant sur les districts --> une centaine de personnes à former aux gestes de premier secours en quelques jours

- 11h00 : premier service du déjeuner

- 12h15 : deuxième service du déjeuner

- 18h00 : premier service du dîner

- 19h15 : deuxième service du dîner

- 20h40 : film (grande découverte avec "Le Diable s'habille en Prada" - amusant mais totalement en décalage avec ce que l'on vit actuellement)


Durant les temps libres, chacun vaque à ses occupations, les scientifiques préparent leurs articles et le matériel, les ornithos scrutent l'horizon avec leurs jumelles pour faire un relevé précis de toutes les espèces rencontrées, les logisticiens de l'IPEV se plient en quatre pour faire en sorte que tout fonctionne une fois arrivés sur les districts, etc... sans compter les apéros au bar d'Emilien.


Pour ma part, entre l'organisation des formations AFPS, les discussions avec nos futurs co-hivernants, les ballades sur les différents ponts pour admirer la vue et cette machine incroyable qu'est le Marion-Dufresne, le tri des photos, etc... la journée est globalement bien remplie - durant les temps libres j'en profite pour me pincer. Pas par masochisme, juste parce que j'ai vraiment du mal à réaliser que je suis là, assise dans la bibliothèque du Marion Dufresne, ce navire qui me fait rêver depuis des années. J'y suis !


Le navire nous rappelle sans cesse sa présence sous nos pieds : les traversées de couloir se font en zig-zag permanent (et ceci n'a rien à voir avec le fait que l'alcool se vend ici à des prix défiant toute concurrence... 40 centimes la bière par exemple), l'océan derrière les hublots monte et descend inlassablement, et parfois avec une telle amplitude qu'à un moment on admire la danse paisible des vagues, et la seconde suivante on ne voit plus que le ciel azur. Cela tout en retenant son verre pour éviter d'arroser les cuisses du voisin.

Je vous laisse imaginer ce que ça donne de prendre une douche quand le roulis s'accentue un peu... Pendant ma première douche, je me suis laissée surprendre par une vague un peu plus violente. Le sursaut m'a précipité vers la porte de la salle de bain (que je n'avais évidemment pas fermée à clef) et j'ai bien failli passer à travers le panneau pour atterrir au milieu de la cabine, nue comme un ver, et encore toute savonneuse. On ne m'y reprendra pas à deux fois, mais qui sait ce que ça donnera lorsque la houle sera vraiment vicieuse... ?

Pour le moment, à part quelques rares personnes, il ne me semble pas qu'il y ait trop de mal de mer. Petit à petit depuis notre départ j'ai remarqué l'apparition d'une secte dont les nouveaux membres ne cessent de la rejoindre. C'est facile de les reconnaître, ils ont un signe distinctif flagrant : le patch de scopolamine collé derrière l'oreille.

J'ai bien peur de devoir en faire partie d'ici quelques jours - j'attends de voir ce que ça donnera lorsque nous aurons dépassé le 40ème parallèle et que les creux dépasseront les 5 mètres...

La navigation devient alors tout un art !


Nous sommes le 4 décembre, dans trois jours nous arriverons en vue de Crozet, et il sera déjà temps de dire au revoir à Philippe (le BibCro) et la ribambelle de scientifiques et logisticiens qui viendront remplacer les hivernants 2011. Je devrais également me séparer de Nina, une amie de Brest qui va passer un mois à Crozet pour gérer la logistique avant de nous rejoindre sur Kerguelen sur la rotation de Janvier 2012. (pour mémoire, celle-ci part de La Réunion tout début janvier, il vous reste donc quelques jours si vous voulez m'envoyer du courrier pour qu'il arrive fin janvier sur Ker.)


J'ai du mal à imaginer ce que doivent ressentir en ce moment les hivernants actuels. Pendant un an ils ont vécu sur ces bases, se sont appropriés ces îles sauvages. Et voilà qu'avec notre arrivée, tout va être chamboulé, comme si l'on prenait soudain possession de leur territoire. Probablement que certains sont pressés de partir et de retrouver la métropole et leur famille, mais je ne pense pas que ça soit la majorité. La vie sur base crée une atmosphère si particulière, totalement (ou presque) coupée du reste du monde. Nous serons perçus comme des envahisseurs, qui les chassent de leur chambre, de leur fonction, de leur archipel.

Pour le moment, je ne peux qu'imaginer ce qui est sur le point de m'arriver. Le premier regard sur les falaises escarpées de Kerguelen, le premier pied posé sur le ponton de Port-Aux-Français. Que se passera-t-il dans ma tête lorsqu'il faudra dire au revoir au Marion Dufresne, lorsqu'il s'éloignera lentement de la base ? Que peut-on ressentir à ce moment précis où l'on réalise que cette fois-ci c'est fait ? Nous sommes arrivés sur ce territoire isolé et hostile, cette terre aux allures de commencement du monde, portant dans ses sources d'eau chaude la genèse de la vie sur notre planète (ces petites bactéries associées en colonies filamenteuses qui sont nos plus lointains ancêtres). Comment envisager, appréhender, apprivoiser, cette base où l'on va passer les 13 prochains mois de notre vie ?


La réponse dans 10 jours.

1 commentaire:

  1. Et les gens sont sympa? Il y en a de ton âge? On veut des noms :)
    (le seul mentionné étant le barman, bravo...)

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