Terre en vue !! - Mercredi 7 décembre, Ile de la Possession

Réveil plus que matinal aujourd'hui. Le soleil se lève désormais à 3h30, et le commandant nous avait annoncé une arrivée en vue de l'archipel de Crozet, notre première étape, vers 4h30 du matin. La veille, j'avais remarqué avec étonnement que pour la première fois, en me promenant le long de la coupée, on pouvait sentir une odeur de mer.
Jamais depuis 5 jours je n'avais ressenti ce parfum familier si rassurant alors que nous étions en plein milieu de l'océan ! Serait-ce donc plutôt une odeur de rivage ?


Bref, à 5h ce matin, je soulève difficilement une paupière, jette un rapide coup d'œil à travers le hublot et décide de me rendormir aussitôt : brouillard, brouillard et encore brouillard. On ne voit même plus l'océan sous nos fenêtres, et le Marion a été contraint de faire chanter sa corne de brume toute la nuit.

 

Après avoir stationné pendant une bonne partie de la nuit puis de la matinée au large de Pointe Basse (Nord-Ouest de l'ile, où l'on devait déposer le premier lot de matériel et personnel), l'OPEA (le chef TAAF chargé de l'organisation à bord) décide finalement de quitter ce point pour rallier directement la base Alfred Faure. La chance nous sourie car vers 10h30, la brume se déchire, et je peux enfin poser un premier regard sur une île sub-antarctique. L'océan indien est avare, et la brume ne s'est levée que très lentement, révélant petit bout par petit bout les contours déchiquetés que nous convoitons tant.


La base Alfred Faure est située sur l'île de la Possession, qui constitue avec trois autres îles (Ile de l'Est, Ile des Cochons et l'Ile des apôtres) l'archipel de Crozet. Bâtie au sommet de magnifiques falaises dignes des plus belles aventures de Stevenson (je verrai bien un ou deux trésors dissimulés dans ces grottes brumeuses), elle surplombe ainsi la baie du Marin. Si je ne m'abuse (et je n'ai malheureusement aucun moyen de vérifier, n'ayant plus accès à Dr Google... [frustration]), c'est l'endroit où les français ont débarqué pour la première fois sur l'île. C'est aussi et avant tout le lieu de vie d'une magnifique manchotière, coupée en deux par la cale où débarque une bonne partie du matériel. Des passerelles ont été construites afin de permettre aux manchots royaux de passer d'une moitié à l'autre.



la manchotière

Les manchots... première rencontre incroyable. Tandis que nous étions tous sortis sur la passerelle pour admirer la base et les premières falaises de l'île émergeant du brouillard sous un soleil estival (estival mais sub-antarctique - donc bonnets, gants et doudounes sont de rigueur), des cris d'excitation ont soudain retentis de part et d'autre.

Le long de la coque, des manchots royaux étaient venus inspecter cet étrange animal bleu et rouge venu jeter son ancre au large de leur manchotière. De véritables fusées noires et orange se sont mises à barboter autour du Marion, pour le plus grand plaisir de nos yeux.

Patauds sur terre, de vraies torpilles sous l'eau.

Sitôt le brouillard levé, le ballet aérien de l'hélicoptère a pu débuter. Deux allers et retours rien que pour le courrier (la tradition veut qu'il soit le premier à descendre du navire). Puis il était déjà l'heure de dire au revoir à Philippe qui, les yeux ébahis, ne réalise pas encore ce qui lui arrive ("Mais qu'est-ce que je fais là ?"). A peine le temps de lui faire un signe de la main qu'il est déjà arraché à l'héliport dans le rugissement des pales. Une minute plus tard, le voilà déposé sur son nouveau lieu de vie pour les 12 prochains mois.

La valse de l'hélicoptère s'est poursuivie ainsi toute la journée, bien vite rejoint par la portière, une espèce d'énorme radeau tiré par un petit bateau. On comprend mieux pourquoi la mer doit être - à peu près - calme, charger des caisses de plusieurs tonnes sur un radeau de fortune étant un sacré pari. Lorsqu'on admire la vitesse avec laquelle hivernants et matériels sont débarqués sur l'île, on ne peut que saluer l'adresse des logisticiens qui se plient en quatre pour améliorer notre hivernage.

 
Après un déjeuner à effectif réduit, j'ai la chance à mon tour de pouvoir m'envoler vers Alfred Faure. Court mais intense baptême de l'air au-dessus de la houle grouillante de manchots, le long des falaises abruptes avant de piquer vers le grand H de l'héliport de Crozet.

Pas de temps à perdre ; sitôt descendu, Luc le guide nous entraîne, les neufs touristes qui se sont offerts le voyage de leur vie et moi-même (chargée de médicaliser la sortie de ces passagers payants) vers la manchotière en contrebas, à Port Alfred.


On les sent d'abord. Une odeur forte mais pas pour autant insupportable.

Le parfum de milliers de manchots agglutinés les uns contre les autres, slalomant entre les corps avachis de quelques éléphants de mer. Puis, on les entend. La cacophonie incessante d'adultes appelant leur petit, de poussins appelant leur garde manger, de manchots pestant contre un voisin trop maladroit. Puis enfin, on les découvre. Ce premier regard posé sur la manchotière, c'est comme une grande claque dans le dos. "Tu vois ! C'est pour ça que tu es là !"

Waoo. J'ai encore du mal à y croire. Des milliers de manchots à perte de vue, à la robe noire et blanche si distinguée, joliment relevée par cette larme d'orange sur le côté du crâne. J'aurais pu passer la journée à les observer, à s'amuser de leur maladresse sur terre, à s'émerveiller de leur agilité en sortant de l'eau, à s'attendrir de leurs échanges câlins se manifestant par des effleurements de bec ou des croisements de palmes (ou nageoires ? ou ailes ? ou pattes ?).

Vivement que je retrouve internet pour partager avec vous le souvenir indélébile de ce moment incroyable (5 gigas de photos... je me suis un peu laissée aller).

Malheureusement, le temps nous est compté, et il est déjà temps de partir. Un dernier regard, un dernier éclat de rire face à leur dandinement en file indienne, entrecoupé des pas précipités des petits chionis chapardeurs, sous le regard patient des terribles skuas. Puis retour à la base. L'hélicoptère poursuit son œuvre de cordon ombilical entre les îles sub-antarctiques et les terres plus "civilisées" - des caisses remplies de fruits et légumes s'envolent du Marion pour traverser en un temps record l'océan qui le sépare de la base.



Après avoir admiré quelques uns de ses va et vient, les deux ornithos de la base nous entraînent à la rencontre des Albatros. Un peu en contrebas d'Alfred Faure, ces seigneurs des airs - plus grand oiseau volant qui soit - ont établi leurs nids. Presque toujours fidèles, ils reviennent ainsi toujours au même endroit restaurer ce cocon posé à même le sol, duquel éclora un albatros juvénile qui mettra un an à apprendre à voler. Ou plutôt, à se jeter dans le vide. Car embarrassé par l'envergure de leurs ailes aux proportions inégalées, les albatros ne peuvent décoller sans commencer par se précipiter d'une falaise.

Rencontre troublante que de se tenir à quelques mètres des ces oiseaux impressionnants par leur taille, subjuguant par leur vol, et pas le moins du monde perturbé par notre présence.


Toutes les bonnes choses ont une fin, et cette journée était particulièrement merveilleuse. 18h, il est temps d'abandonner les lieux, les rendre à leurs propriétaires temporaires. Je leur confie Philippe, qui découvre son hôpital avec l'aide de son prédécesseur, ainsi que Nina, qui restera un mois sur Crozet avant de nous rejoindre à Kerguelen sur la rotation de janvier.

Dans six jours, Kerguelen. Il sera alors temps à mon tour de réaliser pour de bon ce qui m'arrive, de prendre la mesure de ce que j'ai décidé de vivre, à 13 000 km d'une vie qui n'a décidément rien de commun avec ce que je m'apprête à expérimenter. 

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