Au moment où j'écris ces lignes, le Marion Dufresne fait route à travers le golfe du Morbihan. Par la fenêtre, je le vois actuellement au loin qui arrive à hauteur du "goulet" (déformation brestoise qui me fait l'appeler ainsi je pense). OP 3 a fini sa mission à Kerguelen, et le navire emmène avec lui onze des hivernants de Ker 61.
Nous leur avons dit au revoir il y a quelques heures sur la DZ de PAF. Pour beaucoup, ceux avec qui ils ont partagé les mois qui viennent de s'écouler, accrochés à ce bout de rocher, c'est un adieu difficile à digérer. Avec Laëtitia, nous nous tenions au milieu de ces embrassades et déchaînements d'affection entre ces naufragés volontaires que l'aventure et l'isolement ont rapprochés, jusqu'à former une vraie famille. Rentrer dans le grand cercle de la famille polaire. Difficile d'imaginer ce qu'ils peuvent ressentir en cet instant, au moment de devoir se dire au revoir après tant d'épreuves et de fous rires partagés, sachant qu'ils ne se reverront peut être jamais. Difficile de se tenir au milieu d'eux, sachant que d'une certaine façon, c'est un peu nous qui les chassons. Ne connaissant pas la plupart, ou que depuis quelques jours, les larmes nous montent pourtant aux yeux. L'émotion et l'affection qu'ils partagent est trop forte.
Cela fait drôle d'imaginer que ça sera notre tour dans un an, et qu'alors nous aurons autant de difficultés et de nostalgie en se séparant de nos "Kerlocataires".
Mais quelle idée de parler de départ alors que nous venons à peine d'arriver !
Cela fait maintenant quatre jours que nous avons posé le pied sur ce coin de cailloux et de mousse ; j'ai l'impression que quatre semaines se sont écoulées tant de choses se sont passées. La rencontre avec JB et Yanis, nos prédécesseurs ; la visite de l'hôpital avec les transmissions d'informations et consignes (pharmacie, laboratoire de biologie, cabinet dentaire, bloc opératoire, chambres d'hospitalisation, chambre noire de radiologie, dossiers médicaux, élimination des déchets...) ; la rencontre avec les hivernants déjà présents ; l'installation de ceux avec qui nous sommes arrivés ; rencontre avec Patrick Haon, le DisKer (chef de district, à la fois maire, représentant du préfet, officier de police judiciaire) ; les soirées à Totoche, le bar de la base ; rédaction des derniers courriers avant le départ du sac postal pour le Marion ; etc...
Yanis, le BibouKer 61, nous a comblées par sa bonne humeur et son humour. En tant que nouveau BibouKer 62, la pression est grande pour moi de passer après lui, que ses qualités humaines ont fait de lui un compagnon d'aventure de toute évidence aimé de tous. J'espère pouvoir relever le défi.
Jean Baptiste et Yanis n'ont eu que quelques jours pour nous confier les clefs (ainsi que bips et téléphones) de leur bijou. En un an, on s'approprie SAMUKER comme s'il avait toujours été sien - difficile moment que la passation, quand ils sont encore chez eux et qu'on est pas encore tout à fait chez nous, mal à l'aise à l'idée de les chasser d'un endroit dont ils ont tiré tant de bonheur et d'expériences incroyables.
Et tant de choses à apprendre, à découvrir, à côté de tout cela. Marcher dans PAF pour s'en approprier chaque lieu. Cela m'a toujours amusé cette sensation d'inconnu que l'on a lorsque l'on arrive dans un endroit pour la première fois, que l'on observe chaque détail avec étonnement, tout en sachant au fond de soi que dans deux, trois semaines, tout cela sera aussi familier que les rues de la ville où l'on habitait auparavant. Rien à voir entre Brest et PAF, si ce n'est peut être les trous dans la route défoncée... :-)
Le détail le plus surprenant, le plus amusant, et sans doute le plus passionnant (mais il me reste encore un tas de choses à découvrir), c'est la faune de PAF. Je ne parle pas là des VAT de Ker (Volontaires à l'Aide Technique, qui en fait ont changé de statut et sont maintenant - d'ailleurs j'en fais partie - VSC, Volontaires au Service Civique) bien que le PopChat, les PopRennes, les écobios, les ornithos, etc... constituent un écosystème à eux tout seul - mais je reviendrai là-dessus plus tard. Non, la faune dont je parle, c'est de celle que tu croises en flânant entre les bâtiments. Ton regard saute d'un horizon à l'autre, du golfe du Morbihan au mont Ross (1850 m, point culminant de Ker) dont le sommet enneigé est exceptionnellement peu nuageux actuellement, puis se pose sur un troupeau de goélands assis à quelques mètres de toi, pas le moins du monde intimidés par ton passage (là où en métropole ils se seraient envolés depuis belle lurette). Un vrai bonheur pour les photos ornithos (c'est presque de la triche). Et puis tu te mets à admirer un rocher à côté du petit lac en contrebas de l'hôpital. Jusqu'à ce que ce rocher soulève sa patte droite en forme de nageoire afin de se gratter sous le menton en te lançant un regard larmoyant, l'un de ses orifices émettant un incroyable son aérien (difficile de dire si ça provient de l'entrée ou de la sortie...). C'est ça la vie à PAF, des éléphants de mer à chaque intersection - voire carrément sur la route, et alors difficile de l'en déloger - des lapins qui te courent dans les pattes (n'en déplaise à la réserve naturelle - satanées espèces introduites), des goélands qui se posent à la sortie du restaurant pour guetter un quinion, des manchots papous sur la jetée du port, des manchots royaux de l'autre côté de la plage, des cormorans aux yeux fardés de bleu...
Bébé éléphant de mer - plus communément appelé "Bonbon"
(d'une taille d'ores et déjà respectable) assez mécontent de mon passage)
Signalisation PAFienne
On était venu pour du sauvage, de l'authentique, de l'extrême. Je crois que l'on va être servi !
Coucher de soleil sur le golfe du Morbihan, depuis l'hôpital
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